J’étais en Loge le week-end dernier. Car oui, nous pouvons nous réunir en journée, sous réserve du respect des gestes d’hygiène, les fameux gestes barrières pour lesquels les youtubers McFly et Carlito ont accepté un défi de l’Elysée… Bon, je ne reviendrai pas sur la pertinence de passer du gel ou du spray désinfectant sur des gants, à plus forte raison des gants de cuir, ni sur le matériel… D’ailleurs, pour faire bonne mesure, comme exceptionnellement j’étais Expert, j’ai décidé d’amener ma propre épée. En effet, j’ai réalisé combien poser l’épée au sol pour installer le Temple était symbolique d’une défaite. Et puis, le doux son d’une arme qu’on dégaine produit son petit effet… Mais bon, je m’égare.
En réalité, avant l’ouverture des Travaux, j’ai revu un Frère occupé depuis un moment. Selon quelques indices qu’il avait distillés, je m’attendais à ce qu’il m’annonce un heureux événement. Mais à sa tête, j’ai compris que quelque chose avait tourné au vinaigre. Le Frère a fini par m’annoncer que son épouse était enceinte, mais que l’embryon avait cessé de se développer assez vite. Donc son épouse faisait une fausse couche, et devait passer au bloc opératoire pour se faire retirer la poche. Il m’a aussi raconté les restrictions à l’hôpital pour accompagner son épouse dans cette épreuve. Et oui, les mesures prophylactiques laissent les patients bien seuls à l’hôpital : ni accompagnants, ni visites. Heureusement, les soignants le savent et parviennent à conserver un peu d’humanité et de bienveillance dans ce monde décidément devenu fou.
Nous avons été quelques uns à soutenir ce Frère dans le malheur. Car une fausse couche, pour des parents, est un malheur. Un malheur statistiquement fort, qui plus est. En effet, j’ai appris qu’une grossesse sur cinq n’arrivait pas à terme et finissait en fausse couche. Une statistique énorme, mais dont on parle, somme toute, assez peu (même si les sites spécialisés évoquent plutôt bien ces statistiques). Je suppose qu’il s’agit encore d’un sujet tabou… Toujours est-il qu’une femme qui vit une fausse couche ne doit pas être accusée de quoi que ce soit. Il s’agit de phénomènes naturels, aussi tristes qu’ils puissent être, phénomènes qui n’ont rien de honteux. Et quand un embryon n’est pas viable, on est prié de ne pas accuser la femme d’être une mauvaise mère, comme ça peut se faire dans certains milieux traditionalistes. Je pensais aux petits rigolos qui s’enchaînent devant les cliniques ou ceux qui s’estiment être des « survivants » (notons que ce sont les mêmes qui prônent le complot judéo-maçonnico-reptilien de l’internationale pédo-satanico-islamo-capitalo-gauchiste). Une femme qui vit le drame d’une fausse couche et qui doit subir un avortement n’a pas à être socialement jugée. Elle doit au contraire être accompagnée, soutenue et soignée. De même, une femme qui souhaite interrompre une grossesse doit être respectée et médicalement accompagnée. Elles ont le droit de disposer de leur corps. Et au passage, je rappelle qu’une IVG n’est jamais une opération de confort. Mais je m’égare.
Pour en revenir au soin, en dépit des tentatives des représentants de l’État pour détruire le système hospitalier et tout le système de soin, celui-ci fonctionne encore et les soignants, bien que conspués par nos dirigeants, parviennent encore à faire leur travail. On a tendance à l’oublier, mais « le soin est un humanisme » (cf. le récent tract rédigé par la philosophe et psychanalyste Cynthia Fleury), et le fait d’être bien entouré permet à un patient d’aller mieux plus vite. Malheureusement, je crains que la situation n’aille pas dans le sens du soin.
Les mesures de protection prises à l’occasion de la pandémie ont atomisé les structures sociales et tendent à reproduire l’individualisme exacerbé que prônent nos politiques. Nous vivons dans une fiction dont l’individu est le héros. Ce héros s’imagine réussir seul, comme Steve Jobs, Bill Gates ou tant d’autres grandes fortunes. Ce paradigme de réussite solitaire a été étendu à la vie quotidienne: on vit seul, et par sécurité sanitaire, on reste seul, on est isolé dans tous les moments sociaux qui doivent structurer la vie en société. C’est ainsi qu’avec le télétravail et le développement technique généralisé qui nous accompagne au moindre instant, le sentiment de solitude explose.
De même, dans les études, c’est la socialisation de toute une génération d’étudiants qui est bloquée. Et ce phénomène d’atomisation va plus loin, puisqu’on souffre seul. Les patients de l’hôpital, par mesure de sécurité sanitaire, ne peuvent plus être visités par leurs proches, et sont laissés seuls avec leur souffrance.
La gestion calamiteuse de la crise sanitaire a permis d’accomplir le rêve de tout régime autoritaire : atomiser les structures sociales. Car sans structure sociale, pas de pensée critique, et donc pas de remise en cause possible du régime en place. Prétendument pour notre bien. Rappelons que les mesures de confinement, de couvre-feu et autres punitions collectives n’ont pour but que d’éviter la saturation des hôpitaux, dixit nos bienveillants dirigeants, ceux-là mêmes qui n’ont pas hésité à balayer d’un revers de la main les revendications des corps médiaux, ni à réprouver par la violence leur mouvement ces trois dernières années. Pas « d’argent magique » pour l’hôpital (dont on continue à fermer les lits, rappelons-le). Et donc pour le soin. Le souci du vivant nous fait oublier le souci de l’humain. Or, le soin en tant qu’humanisme contribue à nous rendre humains. C’est d’ailleurs le sens du travail de l’Hospitalier, que de prendre soin des Frères en difficulté. Oublier cette dimension humaniste du soin est, à mon sens, une très grave erreur de nos politiques. Et cette erreur se paiera, lourdement, et pas seulement dans les urnes. Nous mettrons un certain temps à nous réapproprier ce qui nous rend humains, j’en ai peur. Nous allons devoir réapprendre à nous humaniser, notamment par le soin et la sociabilité, n’en déplaise aux crânes d’oeuf qui ont décrété la culture et la vie sociale non essentielles.
Face à la souffrance que nous connaissons tous, soyons tous des Hospitaliers. C’est ce qui nous rend humains, et qui doit être préservé.
J’ai dit.