Le mot de jalousie a un double sens. C’est une fenêtre qui permet de voir sans être vu. Plus couramment, il fait référence à un sentiment humain, l’un des moteurs les plus puissants… des vaudevilles.
Mon premier amour en franc-maçonnerie fut une Française et j’ai goûté les robes de son rite avec plaisir. Peu après, une Ecossaise m’a fait du gringue. Je n’ai pas su résister à ses charmes. Je me suis marié avec elle et, depuis plus de trente ans, je porte son tablier. Fut-ce nostalgie de ma part, l’effet de l’âge peut-être, je n’ai pas résisté, tout récemment, au désir de rendre visite à cette ancienne conquête. De mœurs sans doute légères, mais homme droit, je ne m’en suis pas caché. Ah, j’attendais plus de tolérance de la part de ma légitime! J’ai eu droit à une scène de jalousie.
« Que lui trouves-tu à cette Française? N’ai je pas tout ce qu’il faut au balcon, le teint fleuri, l’esprit alerte? » Poussé dans mes retranchements, il m’a fallu me justifier, donner des explications. Un comble! Je lui ai dit :
« Vous êtes, ma chère, le fruit de mon amour éternel, mais…
- – Mais quoi?
- – Si je devais vous comparer…
- – Goujat!
- – Vous êtes ma religion, vous le savez bien, ma cathédrale, mais…
- – Encore un mais…
- – Votre beauté est de gothique flamboyant.
- – Mon ami, je vous remercie pour le gothique!
- – Quant à celle que vous jalousez tant, elle me semble, dans ses manières d’être et de faire plus… cistercienne, plus épurée en son être.
- – Ne me dites pas que vous en êtes à nouveau amoureux!?
- – Certes non, mais ses élans si sobres et si directs me la rendent émouvante. »
Mon Écossaise adulée a eu un cri du cœur :
« Et moi alors, je n’existe plus? Vous ne m’aimez donc plus?
– Mais si ma chère. Je vous ai juré fidélité en mon cœur et… à l’Hôtel de Ville. »
Ce dernier mot presque trop marital la rendit soupçonneuse. Je me repris :
« Votre richesse intérieure fait votre beauté et tant d’images en vous que je ne trouve pas chez elle vous rendent à mes yeux aussi fascinante qu’au premier jour. Vous êtes pour moi toujours un mystère. Mais elle, comment dire, son goût d’une simplicité extrême la porte davantage à des méditations terrestres. » Le soupçon, à nouveau le soupçon! « Vous nourrissez, douce amie, l’imaginaire céleste de mes pensées, si j’osais presque à l’infini. Vous incarnez pour moi ce qu’il y de plus divin! Et quant à elle, son goût pour la simplicité se confond si souvent avec une raison claire qu’elle en est surprenante. « Mouais! Mon ami, je ne vous autoriserai plus la compagnie de cette… Française. »
Voilà qui avait été dit. Je ne suis plus jamais revenu sur cette querelle de vieux couple et longtemps je l’ai regretté. Car je pense, comme beaucoup, que nos différences sont notre richesse. C’est un truisme de la franc-maçonnerie. Encore faut-il, non seulement les dire, mais aussi les mettre sous la lumière du jour afin de les examiner mieux. Aller aux oppositions même, les discuter, accepter la controverse en lieu et place de la conciliation des contraires. Je n’ai, personnellement, jamais aimé cette expression que je trouve affadissante. Car pourquoi ne pas laisser filer les débats dés lors que le respect n’a pas été laissé au vestiaire? Sinon, à quoi peut bien servir notre méthode? Naturellement, les “frottements” (c’est le nom de cette sous-rubrique) des pierres, ne doivent jamais aller jusqu’à les faire éclater, sous peine de menacer l’édifice. Alors, à vos plumes pour publier vos articles sur nos différences pour les comprendre et les analyser. Mais attention, controverse n’est pas champ de bataille. De la dispute, au sens où l’entendait la scolastique, mais pas la guéguerre!
P.B
Votre dévoué responsable
de la sous-rubrique « Frottements »