jeu 25 avril 2024 - 18:04

Lettre de remerciements à un admirateur secret

Il y a quelques temps, mon éditeur m’a fait parvenir une missive, ou plus précisément un courrier de lecteur. Tel Achille Talon, j’étais ému. Une vraie lettre de lecteur ! Bon, à sa lecture, je fus un peu décontenancé. En effet, pas de lettre personnalisée, pas d’invective ou de compliment. Que non point. Seulement une médaille de la Vierge miraculeuse, des prières et un ensemble de textes expliquant que la Franc-maçonnerie, c’était pas bien pour ceux qui appartiennent à l’Église catholique romaine et apostolique. Comme je suis un garçon bien élevé, je pensais répondre directement à l’expéditeur, mais ce dernier a quelque peu oublié de noter son adresse sur l’enveloppe… Heureusement, il me reste mon billet hebdomadaire pour lui répondre. Donc…

Cher lecteur ou lectrice catholique, cher(e) Stéphane-Mariei,

J’ai lu votre courrier récent avec attention, dans lequel vous me mettez en garde contre mon appartenance à un ordre maçonnique et m’offrez une médaille miraculeuse, destinée à racheter mon âme et m’aider dans une éventuelle ascèse dans le but de laver mes péchés.

Premièrement, laissez-moi vous exprimer ma reconnaissance et ma gratitude pour cette médaille miraculeuse, et votre intérêt pour le salut de mon âme, que vous estimez souillée par une vie de débauche, de stupre et de lucre (ah, si seulement…).

Permettez-moi de garder une certaine discrétion sur lesdits péchés, je m’en voudrais de choquer vos chastes oreilles et votre conscience. Et de toute façon, ma vie privée ne vous regardant pas, vous m’obligeriez en vous abstenant de tout jugement, qui nous ferait perdre nos temps réciproques, et ne ferait que confirmer ce que d’autres ont déjà dit avant moi, notamment Nietzsche : un ordre moral ne sert qu’à appuyer le pouvoir d’une classe dominante au détriment des autres classes. Par ailleurs, vous devez sûrement connaître les Ecritures. Je vous rappelle donc que le contraire du péché, c’est la foi (Romains, 14:23). Ayant été vacciné contre l’hépatite et ne pratiquant ni le binge drinking ni les meetings politiques, je pense être préservé de la crise de foieii.

Venons-en maintenant au deuxièmement. Afin de clarifier et pacifier nos rapports futurs, permettez-moi de me présenter à vous. Je ferai l’économie de ma biographie, disponible sur la 4e de couverture de l’ouvrage qui a provoqué votre inquiétude (disponible ici en papier ou en numérique). A cette biographie, je me dois d’ajouter quelques détails plus personnels. Ainsi, vous serez peut-être choqué d’apprendre que je n’appartiens à aucune église ni religion, quelle qu’elle puisse être. En bon lecteur de l’oeuvre de Diderot (et alumni de l’université du même nom), je me refuse à admettre comme fait une croyance ou une hypothèse que je n’aurais pas validée. Je n’ai donc pas de religion (mis à part Alice Cooper) et n’ai pas d’autres lois à suivre qu’au minimum la loi de la République (que l’appartenance à tout ordre maçonnique exige, rappelons-le).

Par ailleurs, vous aurez compris en me lisant que je considère que l’imposition d’une croyance, religion, etc. contre la volonté de l’Autre est une forme de violence. En fait, la conversion forcée à quoi que ce soit réduit le sujet à l’objet, ce qui constitue une définition de ladite violence. Et puis, étant un libre penseur assumé, je ne veux pas être étiqueté de quoi que ce soit qui entraverait mon libre-arbitre, ma libre expression, ma liberté de conscience, bref, ma liberté dans toutes ses acceptions.
Il est malheureux que les membres d’une religion prônant l’amour du prochain comme de soi-même en soient encore à exercer cette violence. Sauf à considérer que le moi est haïssable, ce qui fonde à haïr son voisin, mais c’est une autre histoire, que je vous invite à découvrir chez Freud, avec son Malaise dans la Civilisation ou son ultime opus, Moïse et la religion monothéiste.

En fait, à lire l’histoire de l’Église en France et dans le monde, je crains que le message du Christ n’ait été quelque peu oublié ou dévoyé (ce qui impliquerait une certaine perversité chez les religieux, mais n’anticipons pas). Je me dois de vous rappeler qu’au moins un demi-million de femmes ont été torturées puis brûlées dans le Sud de la France pour le salut de leurs âmes. Par amour ? Oh, sûrement. Avec quelques pulsions sadiques refoulées des inquisiteurs et autres répurgateurs… Je vous invite à lire les Frères Karamazov, de Fédor Dostoïevski, et plus particulièrement le chapitre dans lequel un des frères imagine le retour du Christ dans le monde contemporain, ainsi que sa condamnation par l’Inquisition pour avoir contesté le dogme chrétien… Je comptais assister à la représentation théâtrale adaptée dudit chapitre, mais le confinement et l’exécution programmée de la culture sont passés par là, hélas.

Vous évoquez l’amour de Dieu, de l’Église et du Saint-Esprit. Néanmoins, je ne puis résister à la tentation de vous rappeler qu’au nom de la vision qu’avaient vos prédécesseurs de votre Église et de l’amour du prochain, vos groupes intégristes n’ont pas hésité à incendier ou dégrader des cinémas en 1988. Cinémas dont des spectateurs ont été blessés ou tués lors des projections de la Dernière Tentation du Christ, de Scorcese ou Une affaire de femmes, de Claude Chabrol. Certes, vous me rétorquerez avec raison que les intégristes islamistes assassinent des dessinateurs ou des civils (incluant des juifs), voire décapitent des enseignants au nom de leur vision radicale de leur religion et vous aurez raison. Car voyez-vous, le problème avec vous, les religieux, et ce, quelle que soit la religion, c’est que vous êtes tellement sûrs de détenir la Vérité que vous vous croyez fondés à juger et détruire ce qui vous déplaît. Et quand la religion se mêle de politique, c’est la catastrophe assuréeiii. Tout intégrisme ayant pour effet la violence est condamnable. Peut-être devrais-je vous conseiller de lire Hannah Arendt, qui voit en la religion transformée en idéologie un simple prétexte à la violence.

Troisièmement, vous rappelez certaines lois de votre religion et condamnez l’appartenance de vos coreligionnaires à la Franc-maçonnerie, au point de leur interdire de leur apporter la moindre aide. Amusant, de la part de la religion catholique, surtout quand on sait que catholique dérive des mots grecs cat ou kat, « l’assemblage » et holos « entier » et donc que le mot catholique signifie …universel. Votre devise serait-elle donc « aime ton prochain comme toi même, sauf s’il n’est pas de la bonne religion » ? Quelle déception, j’imaginais plus de foi, d’espérance et charité de votre part. Au fait, chez nous, la religion n’a pas d’importance, tant qu’il n’y a pas de prosélytisme. Nous respectons les croyances de chacun, n’imposons rien, mais ne voulons en aucun cas nous faire imposer quoi que ce soit.

Il semble, à la lecture de vos références, que vous fassiez allusion à divers encycliques, qui n’ont peut-être plus cours actuellement. Je vous invite à suivre les travaux du Père Jérôme Rousse-Lacordaire, qui ont le bon goût d’être à celui du jour. Pour l’anecdote, les encycliques anti-maçonniques du XIXe siècle ont pour base le Mémoire pour servir à l’histoire du jacobinisme, de l’abbé Augustin de Barruel, édité au début du XIXe siècle. Cet ouvrage est un ramassis de conneries digne de nos fake news et délires conspirationnistes contemporainsiv. Continuer de se baser dessus serait aussi pertinent que de baser une étude de sociologie américaine sur X-files ou une politique économique sur l’oeuvre de Greenspan ou Milton Friedman… Il y a un mot pour ça : obscurantisme. Or, nous autres Francs-maçons combattons cet obsurantismev.

Vous nous reprochez la laïcité. Beaucoup de choses ont été écrites dessus, mais une petite synthèse ne vous fera pas de mal à ce proposvi. La laïcité consiste à séparer l’Église de l’État, et à faire assurer les missions de service public autrefois dévolues à l’autorité spirituelle par les autorités étatiques. La liberté de conscience et la paix sont à ce prix : chacun doit pouvoir être libre de faire ce qu’il veut. « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, du moment que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public ». La laïcité n’est donc pas une chasse aux inquisiteurs, soyez rassurés sur ce point.

Bon, je ne vais pas revenir sur les horreurs faites aux femmes, et qui continuent de nos jours : refus de l’IVG, non-condamnation de mariages forcés et de viols d’enfants. Ni sur les persécutions des personnes LGBT dans les pays d’obédience catholique en Europe. Vous avez une vision très ambivalente de l’amour du prochain, non ?

Enfin, je me dois de vous rappeler que malgré la dureté de nos textes de rituel, nous autres Francs-maçons n’avons jamais fomenté d’attentats, de crime de massevii, ou d’autres horreurs au nom de la Franc-maçonnerie, même si l’Histoire a compté un certain nombre de salauds chez les Francs-maçons.

En conclusion, je vous remercie de votre sollicitude à vouloir sauver mon âme, mais estimant agir de manière éthique, en conformité avec mes valeurs (justice, courage, prudence et tempérance, par exemple), mon âme va bien, merci pour elle. Néanmoins, je m’inquiète de votre état d’esprit et de votre insistance à vouloir me « sauver » contre mon gré. Il est écrit dans l’Evangile de Jean que « la lumière luit dans les ténèbres et que les ténèbres ne l’ont point reçue ». Une information ne serait pas passée ?Le comportement intolérant, presque violent que vous adoptez à mon égard serait donc le signe d’une incompréhension mutuelle ?

Je vous encourage à rencontrer des Francs-maçons à l’occasion d’événements publics, et à échanger avec. Certes, nous parlons et glosons beaucoup, moi le premier, mais nous préférons le dialogue à la bagarre.

Peut-être arriverons-nous à nous comprendre un jour et à vivre en paix ?

Vade in pace.

J’ai dit.

iPrénom inventé pour l’occasion.

iiJe pense que de tels calembours pourraient me valoir les tourments du Cocyte.

iiihttps://www.monde-diplomatique.fr/2020/09/BELKAID/62160

ivMais qui constitue une base de fiction inépuisable, cf. l’oeuvre d’Alexandre Dumas par exemple.

vEt il y a du boulot, surtout en sciences économiques et sociales…

viVous pouvez suivre le MOOC relatif à la laïcité mis en ligne sur France Université Numérique et animé par le Centre National de la Fonction Publique Territoriale.

viiA ce stade, je me dois de rappeler que le franc-maçon Anders Breivik était, sous couvert d’humanisme, un authentique suprématiste blanc et a été exclu de son ordre suite à ses actes atroces.

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Josselin
Josselin
Josselin Morand est ingénieur de formation et titulaire d’un diplôme de 3e cycle en sciences physiques, disciplines auxquelles il a contribué par des publications académiques. Il est également pratiquant avancé d’arts martiaux. Après une reprise d’études en 2016-2017, il obtient le diplôme d’éthique d’une université parisienne. Dans la vie profane, il occupe une place de fonctionnaire dans une collectivité territoriale. Très impliqué dans les initiatives à vocations culturelle et sociale, il a participé à différentes actions (think tank, universités populaires) et contribué à différents médias maçonniques (Critica Masonica, Franc-maçonnerie Magazine). Enfin, il est l’auteur de deux essais : L’éthique en Franc-maçonnerie (Numérilivre-Editions des Bords de Seine) et Ethique et Athéisme - Construction d'une morale sans dieux (Editions Numérilivre).

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