mer 04 décembre 2024 - 07:12

Du bon usage du symbole (2) : l’imagerie martiale

Quand on joue avec les concepts et les symboles, il faut être conscient que la partie se joue à plusieurs, et que parmi ces plusieurs, il y en a qui sont susceptibles de bien connaître lesdits symboles. Pis que ça, les symboles peuvent être des armes redoutables, dans le sens où ils font partie du langage commun et qu’ils s’adressent non seulement à notre raison mais aussi à nos passions et notre imagination. Prenons par exemple le terme de guerre, et la charge symbolique qu’il véhicule. Le chef de l’État a dit « nous sommes en guerre ». Les lecteurs de Clausewitz ou de Sun Tzu ainsi que les militaires ou encore tous ceux qui sont passés par l’Ecole de Guerre savent que la guerre est une dialectique, un prolongement de la politique. On fait donc la guerre entre humains, entre civilisations humaines, entre clans humains. Eventuellement à des émeus. Pas à un micro-organismei. Le mot « guerre » ramène à un signifiant, qui est le mot lui-même et un signifié qui est le sens donné par Clausewitz ou le dictionnaire, ce qui fait de l’emploi de ce mot un signe : signifiant (le mot) et signifié (le sens donné). Le lien entre signifiant et signifié est tout à fait arbitraire.

Concernant le symbole, c’est différent : il s’agit de la donnée d’un signifiant (mot, dessin, situation etc.) dont le signifié dépend de celui qui perçoit le signifiant. Avec un symbole, le lien entre signifiant et signifié est motivé, sujet à l’interprétation de celui qui le reçoit. Ce qui en fait un outil aussi dangereux que puissant.

Donc, admettons que dans la crise que nous traversons, l’emploi du terme guerre ne soit ici que « symbolique » et non une tentative de faire accepter les victimes de la catastrophe par un artifice linguistique (ou une manipulation). La « guerre » donc, serait symbolique, et « l’ennemi » un micro-organisme. Néanmoins, nous devrions être symboliquement en « guerre » et donc prêter allégeance au pouvoir, avoir confiance en l’exécutif, accepter la perte de nos droits élémentaires, comme celui de se déplacer librement, voire accepter un couvre-feu. Et faire nos « autorisations de sortie », comme au collège dans nos carnets de correspondance, les laisser-passer du XIXe siècle (cf. Victor Hugo) ou les Ausweisen de l’Occupationii.

Je ne reviendrai pas sur « le front », c’est à dire les hôpitaux, dégradés par 30 ans de politique d’économies ni sur « les soldats », autrement dit les soignants, ceux là même qui alertent depuis des années sur la situation désastreuse et lamentable des hôpitaux, en grève depuis 11 mois (et que les CRS ont chargé ou bombardé de lacrymogènes pendant un très offensif sit-in). Combien de lits a-t-on fermé, et de postes de soignants a-t-on supprimé, déjà ?

Mine de rien, on a ici une situation qui constitue un symbole : les CRS qui utilisent des lacrymogènes sur les agents du service public hospitalier en grève pour dénoncer le scandale sanitaire et humain en cours.

Autrement dit, nous avons une représentation symbolique d’un pouvoir exécutif qui écrase son propre service hospitalier. Un symbole qui n’est pas sans rappeler le symbole du Béhémoth, utilisé par Hobbes pour évoquer la guerre civile ou guerre de tous contre tous. On est en guerre, n’est-il pas ? Dans un autre registre symbolique, des cellules immunitaires qui détruisent leur organisme, ça s’appelle une maladie auto-immune. Serions-nous donc si malades ?

A propos de larmes et de lacrymogènes, pour le Franc-maçon que je suis, les larmes sont un symbole et ont un certain sens aussi. Celui de la tristesse, mais aussi de l’amertume qui peut mener aux passions tristes. Le ressentiment amène le désir de justice et si celui-ci n’est pas assouvi, il devient action de vengeance, perpétuant un cycle de violence.

Mais continuons notre construction de symbole. Dans toute guerre, il doit y avoir un chef, un stratège, un plan de bataille, une doctrine qui fait le lien entre décision politique et opérations sur le terrain. Peut-être suis-je mal renseigné, mais je n’ai pas l’impression que dans cette « drôle de guerre » (expression employée à dessein), nous n’ayons de véritables stratèges, ou de commandement fort. On a plutôt l’impression d’une débâcle et d’un grand désordre, chaque partie de l’administration engagée se prenant pour le tout, à en juger par les décisions toutes plus aberrantes les unes que les autres (réouverture des écoles en mai, tests réalisés partiellement, gestion calamiteuse des masques, destruction et non renouvellement des stocks stratégiques par mesure d’économie, refus de pratiquer les tests en laboratoire vétérinaire, arbitraire des forces de l’ordre etc.), au nom de la déontologie qui cache des objectifs bien plus sombres, comme l’abus de pouvoir. Tiens, tiens, exactement ce que décrivait Marcel Bloch dans l’Etrange défaite, ce brûlot qui décrit froidement le désastre militaire de la 2e Guerre mondiale…

Dommage, car à l’instar d’un Vénérable, un vrai chef doit savoir rassembler ce qui est épars, et concilier les oppositions nécessaires et fécondes… Et le devoir nous incite à suivre ledit Vénérable. Pas comme dans le monde profane, où la confiance envers les chefs est singulièrement remise en cause.

Pire, à l’écoute des derniers discours et des mesures récentes, on a l’impression que l’État a décidé de privilégier l’économie et les profits des grandes entreprises au détriment de la vie de ceux qui font fonctionner la société, autrement dit nous tous. Pour rester dans la métaphore, il est à craindre que l’effort de guerre ne soit fourni par les derniers de cordée, « ceux qui ne sont rien », et qui essaient de vivre et de protéger leur dignité.

Au fond, cette guerre qui n’en est pas une, et ce confinement qui relève plus de l’assignation à domicile, je les vois comme un symbole, le symbole d’un déséquilibre. Le symbole d’un exécutif malade de lui-même, représenté par des individus dont les intérêts ne sont certainement pas ceux d’élever la Nation, ou de « se battre pour la dignité des faibles »iii mais bien les leurs : le mépris de classe, le pouvoir, l’enrichissement personnel, la satisfaction d’intérêts autres que ceux du pays, à en juger par leurs nombreux conflits d’intérêts. Palsambleu, en temps de guerre, n’est-ce pas là de la haute trahison ou plus symboliquement, un crime relevant d’une cour martiale ?

Jouer avec les symboles est un jeu très dangereux, car nous y sommes tous sensibles. Vouloir se les approprier sans la prudence et la tempérance nécessaire ne pourra qu’apporter du malheur. Quid du ressentiment d’un peuple assigné à résidence par l’incurie d’un pouvoir, incapable de gouverner ou de prévoir ? Le symbole du peuple français en guerre contre l’aristocratie coupée de la réalité en 1789. Et le déchaînement de violence en ce temps n’avait rien de symbolique.

Restons prudents, et laissons les symboles à leur place.

J’ai dit.

iVoir mon précédent billet à ce propos :

iiPetite nuance : on ne risque pas de se faire arrêter ou déporter. Juste une amende. Le véritable risque est la soumission à l’arbitraire des forces de l’ordre, arbitraire contraire aux règles les plus élémentaires du droit.

iiiJ’emprunte cette idée à Alexandre Astier, dans sa série Kaamelott, quand César explique à Arthurus, le futur Arthur ce qu’est un bon chef. On notera que feue la philosophe Monique Castillo avait sensiblement la même idée dans un registre sémantique différent.

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Josselin
Josselin
Josselin Morand est ingénieur de formation et titulaire d’un diplôme de 3e cycle en sciences physiques, disciplines auxquelles il a contribué par des publications académiques. Il est également pratiquant avancé d’arts martiaux. Après une reprise d’études en 2016-2017, il obtient le diplôme d’éthique d’une université parisienne. Dans la vie profane, il occupe une place de fonctionnaire dans une collectivité territoriale. Très impliqué dans les initiatives à vocations culturelle et sociale, il a participé à différentes actions (think tank, universités populaires) et contribué à différents médias maçonniques (Critica Masonica, Franc-maçonnerie Magazine). Enfin, il est l’auteur de deux essais : L’éthique en Franc-maçonnerie (Numérilivre-Editions des Bords de Seine) et Ethique et Athéisme - Construction d'une morale sans dieux (Editions Numérilivre).

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