J’étais en Loge hier soir, de plus en plus dépassé par le degré de bêtise de mes contemporains. Je repensais à une polémique comme on en trouve sur les réseaux sociaux : des employés d’une marque de textile ont fait une soirée chez eux au cours de laquelle ils auraient fait un « blackface », ce qui a provoqué l’indignation d’un certain nombre de personnes, qui ont appelé au boycott de la marque et exigé des sanctions contre les employés (qui ne faisaient qu’une soirée privée, hors de tout cadre professionnel).
Premier problème posé : le danger de publier tout et n’importe quoi sur les réseaux sociaux, et donc la nécessité de préserver le secret de la vie privée face à la tentation de la transparence, ne fût-ce que pour dire des conneries, qui ont parfois un effet cathartique. On comprendra ici l’importance du secret des Loges : tout n’a pas à être révélé en place publique ! Et si on relisait Ghershom Sholem et ses travaux sur la théâtralité et la nécessité de la coulisse ? La question que les magistrats devront se poser : un employeur peut-il sanctionner un employé pour son comportement en privé, hors cadre professionnel ? Question très grave, à mon avis.
Au-delà de ce problème de transparence, j’aimerais réfléchir sur le problème du blackface, qui me plonge dans un profond désarroi. Le blackface est initialement une pratique théâtrale d’origine américaine, issue d’un genre nommé le minstrel show, qui consiste, pour un occidental, à se grimer en stéréotype africain et à en reproduire les clichés pour amuser le public. En un sens, Tintin au Congo pourrait être interprété comme un dérivé de minstrel show… De pratique théâtrale, le blackface est devenu au début des années 2010, visiblement, un objet très polémique. Ainsi, en 2019, à l’occasion d’une représentation de la tragédie grecque d’Eschyle les Suppliantes, certaines associations antiracistes se sont émues du fait que les comédiens jouant les Danaïdes (d’origine africaine pour ceux qui ne connaîtraient pas leurs classiques) portaient des masques noirs ou du maquillage sombre. Les antiracistes y voyaient un acte raciste… Encore une polémique inutile, mais qui donne de l’importance à des gens ayant des motifs discutables.
Bon, que dire de Coluche et de son Schmilblik ou des Inconnus qui se sont grimés en femmes guadeloupéennes pour le célèbre sketch sur l’hôpital ? Acte raciste ou fiction humoristique et satirique ? J’ai des amis fans des années 70 et férus de disco. Quand ils organisent des soirées disco avec déguisements, est-ce une simple soirée déguisée entre amisi aimant une certaine culture populaire ou bien est-ce un acte raciste ? Et la fête de Saint-Nicolas dans les contrées belges et néerlandaises, où défile le personnage de Zwarte Piet, maure ou fumiste selon les versions, blackface ou pas blackface ?
Pour en revenir à l’antiracisme dévoyé, je crains que ça ne cache des motifs beaucoup plus noirs (sans mauvais jeu de mots) tels que l’appropriation culturelle. Autrement dit, la communauté « noire » (je déteste ce mot) interdirait aux autres de s’approprier ce qu’ils revendiquent comme « leur » culture. Si l’on pousse le raisonnement jusqu’au bout, il faudrait interdire à Eric Clapton de reprendre les titres de Robert Johnson, interdire à Raphaël Imbert ou Sylvain Beuf de se produire, ou interdire à Orel-San de faire du rap. Idiot, n’est-ce pas ? Pourtant, c’est ce que les occidentaux ont fait au début du XXe siècle. Il était en effet interdit aux afro-américains de jouer de la musique européenne. Les afro-américains ont donc réinventé l’improvisation à partir des thèmes classiquesiien apportant leurs propres traditions. C’est ainsi que serait né le jazz.
On pourrait comprendre qu’il y ait un retour de bâton, avec cette appropriation culturelle, ou cette lutte contre le phénomène du blackface. Toutefois, si je m’en réfère à l’éthique minimaliste de Ruwen Ogien, le blackface ne portant pas à proprement parler préjudice mais seulement offense ne pourrait être blâmable. Ainsi, j’ai du mal à comprendre qu’on puisse vilipender une personne déguisée en Zwarte Piet pour la célébration de Saint-Nicolas. Je trouve inacceptable d’empêcher une représentation théâtrale au motif que les comédiens sont maquillés d’une manière déplaisant à telle organisation antiraciste ou telle association indigéniste. Le racisme existe, sans nul doute. Les discriminations aussi, qu’elles soient positives ou non. Néanmoins, les réactions excessives des mouvements antiracistes ne risquent-elles pas de les faire passer pour des clowns ? Il est peut-être plus important de veiller au respect des droits élémentaires que de s’indigner de soirées privées. Comme par exemple de la discrimination à l’embauche dans les entreprises du CAC 40… Bon, il est plus facile de s’attaquer à une compagnie théâtrale qu’à un grand groupe, je le concède volontiers.
Sinon, j’ai une idée pour ceux que le blackface indigne : retourner l’arme de leurs adversaires contre eux-mêmes. En faisant des whiteface et en se moquant des mâles blancs dominants ! Non seulement, ils n’en seraient plus victimes, mais en plus, ils se feraient reconnaître comme égaux.
A moins qu’ils n’aient envie de se complaire dans le rôle (psychologiquement très valorisant) de la victime, ce qui leur permettra en plus de justifier des actions violentes, au nom de la légitime défense de leurs particularités.
En tant que Franc-maçon, l’indigénisme m’agace. Vraiment. La victimisation aussi, d’ailleurs, dans le sens où elle sert de support à certaines exactions sous couvert de légitime défense. En général, les organisations les plus brutales justifient leur violence par la défense. Ca me rappelle une sinistre anecdote datant de 1993 : un homme est mort lors d’un interrogatoire. Menotté, il aurait étémenaçant envers les policiers qui, pour se défendre légitimement, l’ont malmené jusqu’à la mort…
On pourra me taxer de racisme. On aurait tort : je ne suis pas raciste mais misanthrope. D’ailleurs, contrairement à d’autres racistes connus, je n’ai pas d’amis noirs. Ni d’amis blancs, d’ailleurs. Il faut dire que je demande rarement sa couleur de peau à quelqu’un avec qui je sympathise…
J’ai dit.
iPour la blague, quand on m’invite en soirée disco, j’arrive en glam rockeur, c’est le genre que je préfère.
iiA ce propos, je vous suggère l’excellent film Green Book, récompensé aux Golden Globes, qui raconte l’histoire (vraie) d’un musicien de jazz dans l’Amérique des années 50. Edifiant.
L’auteur n’a pas du voir la vidéo en question, du moins je l’espère, car elle ne montre pas d'”appropriation culturelle” mais -entre autres séquences très humoristiques- un homme blanc grimé en noir imiter un gorille à quatre pattes sur le sol en poussant des hurlements.
Si ça n’est pas du racisme, alors il faudrait qu’il explique à partir de quel moment une séquence peut l’être ? Quel est le critère qui nous ferait basculer de l’humour à l’abject, si cette vidéo Snapchat ne le fait pas déjà ?
Soyons concrets.
Pour ceux que ça intéresse, voici la vidéo en question qui est si drôle et bon enfant: https://www.youtube.com/watch?v=22L9pSECzlI. Amusez-vous bien.