ven 22 novembre 2024 - 00:11

Franc-maçonnerie et management (1) : de la Chaîne d’Union comme outil de gestion

J’étais en Loge hier soir… Ah ben en fait, non, je n’ai pas pu y aller. Pas de transport possible à cause de la grève, pas de covoiturage possible à cause de la pénurie d’essence, elle-même conséquence du mouvement social frappant les raffineries, et pas de vélo disponible non plus. De toute façon, mon pouvoir d’achat de fonctionnaire territorial ne me permet pas de me procurer une bicyclette électrique ou non, d’autant plus que je n’aurai pas d’endroit où la stocker. Je suis donc resté tout seul chez moi, éloigné de mes proches eux-mêmes coincés par le mouvement de grève. J’ai donc commencé à réfléchir sur le monde d’après, en repensant à une lecture de ma jeunesse : Ravage, de René Barjavel. La grève nous a forcés à tester des solutions comme le coworking ou le télétravail. Je pense qu’elle nous aura aussi incités à repenser notre mode de consommation et nos loisirs. Nous trouvons évident de pouvoir nous déplacer en transports en commun, mais au final, ce n’est pas si évident. De même que nous trouvons évident d’avoir de l’eau, de l’électricité, des égouts, de quoi manger toujours en abondance, alors que cela n’est pas évident du tout. Revenons sur Ravage. Barjavel nous conte l’histoire d’une chute, celle de notre civilisation future, où tout est affaire de réseau et de connexions : les fournitures élémentaires arrivent directement à domicile. quand tous les réseaux se voient brutalement interrompus par une guerre dont on ne saura rien. Le roman nous montre la fuite des survivants de cette civilisation technologique et la reconstruction d’une nouvelle civilisation. Evidemment, nous n’en sommes pas encore là : nous pouvons ouvrir nos robinets, nous procurer nos fournitures nécessaires à proximité, du moins, tant que perdurent les commerces de proximité… Parce que depuis quelques années, c’est peu brillant, et la conjonction gilets-jaunes et grèves n’a rien arrangé pour ces martyres involontaires d’un affrontement qui ne les concerne pas vraiment.

La grève et les congés de Noël m’ont aussi permis d’ouvrir les yeux sur nos méthodes de travail. Nous tendons, autant dans le public que dans le privé, à l’hyperspécialisation, chacun étant un maillon dans un process qui le dépasse. De ce fait, dans le traitement d’un dossier, le dossier est d’abord instruit par une première personne, puis une deuxième et ainsi de suite jusqu’au terme du dossier. Dans un souci d’économie (oui, on fait des économies, mais sans savoir pourquoi, ce qui est assez agaçant), on tend à spécialiser les tâches, tout en augmentant la charge par personne. L’idée est d’augmenter l’efficience et la productivité : faire toujours plus et mieux avec moins de moyen pour augmenter le rapport bénéfice/coût. C’est ainsi que l’on a des services qui fonctionnent avec peu de personnel. Ils fonctionnent, mais mal. Allez voir à l’hôpital ou dans les écoles les bienfaits des économies et de la productivité…

Ce qui est amusant, c’est la pléthore de personnels de direction dans les services sinistrés (postes au demeurant très bien payés, nous savons tous que l’emploi de directeur est d’un pénible…).

Si je devais résumer : manque de personnel opératif, charges de travail augmentées, et donc baisse de la qualité de service, sans compter le coût social, tel que les maladies professionnelles, les morts par accident du travail et les suicides. Et je ne compte pas les problèmes d’organisation…

La grève nous a incités, disais-je, à repenser le travail : travailler moins, travailler à distance, etc. J’espère que nous lancerons enfin un vrai débat sur l’emploi et le travail, et ce qui y est associé : impacts social, sociétal, environnemental, etc. J’espère aussi que nous repenserons nos villes, afin de nous rendre moins dépendants des opérateurs de transport (ou que ceux-ci seront automatisés pour mieux fonctionner), ou des problématiques seulement économiques.

En fait, nous sommes organisés en réseaux divers : réseaux techniques, réseaux de communication, réseaux sociaux, réseaux de personnes… Or, ce qui caractérise une organisation, c’est le lien entre les différents nœuds du réseau. Les mathématiciens qui travaillent sur les chaînes de Markov (lecture mathématique du concept de réseau) savent combien ces nœuds et les chemins sont importants. Il suffit qu’un nœud ou qu’un chemin soit défaillant pour saboter l’organisation. Une personne absente ? Ce sont autant de dossiers retardés. Du personnel pas remplacé ? Ce sont d’autres agents qui vont être malmenés un moment. Les managers tendent à dire que personne n’est irremplaçable pour justifier des méthodes de travail discutables, comme le management par process, le management par la terreur ou l’épuration de personnel. Or, la philosophe et psychanalyste Cynthia Fleury explique dans Les irremplaçables combien cette assertion est aussi fausse que néfaste. Une personne est par construction irremplaçable. Selon elle, affirmer le contraire, c’est lancer un processus de dépersonnalisation qui va détruire la personne.

Nous autres Francs-maçons avons un symbole qui nous rappelle combien il est important de bien connaître sa place, et de bien réfléchir non en individus mais bien en réseau : la Chaîne d’Union. Chaque Frère est lié aux autres par la main. On peut ainsi se rendre compte que jamais on n’est seul, que nous sommes tous reliés les uns aux autres. Un maillon manquant, c’est une Chaîne affaibliei. Le chantier ne peut fonctionner que parce qu’il y a des Ouvriers qui travaillent. Les surcharger ou mal les employer, c’est fragiliser la Chaîne d’Union et risquer de briser le chantier.

Nos dirigeants et managers, orientés uniquement vers leurs profits, ne devraient pas oublier que leur richesse est avant tout produite par leurs ouvriersii. Se priver d’ouvriers ou mal les traiter, c’est se condamner à moyen et long terme à perdre ses richesses.

Pour conclure, je rappellerai ce mot de l’ancien Grand Maître de la Grande Loge de France, Marc Henry, qui estimait qu’on ne devait pas parler de « ressources humaines » mais plutôt de « richesses humaines ». Tout est là, je pense.

J’ai dit.

iD’où l’importance de l’assiduité en Loge.

iiPoint de vue marxiste assumé, car vérifié.

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Josselin
Josselin
Josselin Morand est ingénieur de formation et titulaire d’un diplôme de 3e cycle en sciences physiques, disciplines auxquelles il a contribué par des publications académiques. Il est également pratiquant avancé d’arts martiaux. Après une reprise d’études en 2016-2017, il obtient le diplôme d’éthique d’une université parisienne. Dans la vie profane, il occupe une place de fonctionnaire dans une collectivité territoriale. Très impliqué dans les initiatives à vocations culturelle et sociale, il a participé à différentes actions (think tank, universités populaires) et contribué à différents médias maçonniques (Critica Masonica, Franc-maçonnerie Magazine). Enfin, il est l’auteur de deux essais : L’éthique en Franc-maçonnerie (Numérilivre-Editions des Bords de Seine) et Ethique et Athéisme - Construction d'une morale sans dieux (Editions Numérilivre).

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