sam 20 avril 2024 - 06:04

Le droit à la mort

J’étais en Loge un soir, et j’ai eu le plaisir d’écouter une planche sur l’évolution des Droits de l’Homme. Le Frère qui planchait faisait en effet partie d’un comité de rédaction d’une future déclaration de droits et devoirs. Un travail vraiment fouillé, et très intéressant. Néanmoins, l’odieux salopard que je suis lui a posé la question qui dérange (et qui soit dit en passant, est une question très importante, qui nous concerne absolument tous) : si on a bien établi le droit à la vie, quid du droit à la mort ?

En France, nous avons hérité de valeurs chrétiennes et catholiques très fortes. Parmi ces valeurs, il y a la préservation de la vie à tout prix. C’est au nom de cette valeur de préservation de la vie à tout prix que certains se croient fondés à gêner les centre de plannings familiaux ou tourmenter les médecins pratiquant l’interruption volontaire de grossesse. C’est au nom de cette valeur que des groupes minoritaires pro-vie luttent contre les dispositifs de fin de vie, quitte à faire maintenir en vie des personnes qui ne le sont plus vraimenti.

Dans l’esprit de ces gens-là, la vie est un don de leur divinité, et on est prié de faire comme eux, et tant pis pour les conséquences. Tant pis si une femme doit donner naissance à un enfant qui sera gravement handicapé et qui souffrira toute sa vie (sa mère aussi, mais bon, volonté divine etc.). Tant pis si une femme doit donner naissance à un enfant issu d’un viol ou d’une relation non consentie. Tant pis si l’enfant n’est pas désiré et doit en souffrir toute sa vie. Volonté divine, qu’on vous dit. Evidemment, l’intervention de la volonté divine annule le libre-arbitre, et participe de la transformation du sujet en objet. Comme quoi, la religion, ça peut être violent. Surtout quand des religieux minoritaires tentent d’imposer leur point de vue par la force à l’ensemble, qui n’en demande pas tant…

L’espérance de vie augmente dans notre beau pays, mais l’espérance de vie en bonne santé diminue. On peut alors se poser la question du droit à la mort. Doit-on être maintenu en vie quand on n’est plus qu’une enveloppe charnelle et que le cerveau est détruit ? Doit-on être maintenu en vie quand on est atteint d’une maladie grave, incurable, handicapante, mortelle ? Dans notre culture catholique, la réponse est oui. Volonté divine ! Il faut savoir que le suicide est pour les catholiques un péché mortel, qui prive le défunt de sa place au paradis. Dans cette optique, on doit souffrir et offrir sa souffrance à la divinité. Je suis sûr qu’un patient en phase terminale de cancer ou de maladie dégénérative invalidante doit être ravi. Notons que dans cette même optique, les mêmes se croient fondés à déconseiller la péridurale, parce que l’accouchement, selon l’omniprésente volonté divine, doit se faire dans la douleur. Notons aussi que ces mêmes militants pro-vie et pro-souffrance sont souvent les premiers à manifester si un centre d’accueil de personnes en difficultés graves doit être monté près de chez eux. Charité chrétienne, mais pas trop non plus, il ne faut pas exagérer. La souffrance, c’est surtout bien chez les autres.

Après, doit-on être maintenu en vie au nom de principes religieux, auxquels on n’adhère pas forcément ou au nom d’une religion qui n’est pas nôtre? N’est-ce pas une forme de violence de la part d’une minorité que d’imposer des principes religieux dans un état laïc à des gens qui souffrent et qui se contrefoutent de ladite religion ? La laïcité sert à lutter contre cette forme de violence sociale qu’induisent les comportements religieux, de quelque religion que ce soit. Quelle que soit la religion, l’imposition d’un comportement religieux par une minorité dans l’espace commun (donc partagé par tous) est une forme de violence et une forme d’accaparement de l’espace public. Notons que ces petites guerres de territoires sont celles qui nous affectent le plus…

Si l’on regarde au-delà des frontières (les vraies frontières, hein ? Pas le périphérique !), on s’aperçoit que le droit à la mort est à peu près entré dans les mœurs de pays protestants, et historiquement libéraux. Ainsi, il existe aux Pays-bas, en Suisse et même dans la catholique Belgique, des cliniques spécialisées dans l’euthanasie. Régulièrement, nos censeurs et éditorialistes s’indignent de l’existence de ces cliniques. La Suisse et les Pays-bas sont des pays où la culture religieuse dominante est protestante. Or, pour les protestants, le rapport à la divinité est différent, avec la prédestination. Grosso modo, si un protestant veut se suicider, c’est son problème. L’individualisme qu’induit cette forme de pensée mène à considérer le suicide comme forme ultime du contrôle de sa vie ou encore comme forme ultime d’expression de sa liberté ou de son libre-arbitreii. Cet individualisme justifie aussi de pouvoir échapper à la souffrance. Ainsi, la jeune comédienne néerlandaise de stand-up Lisanne Herderiii a choisi de se faire euthanasier à 25 ans, pour échapper à sa condition physique devenue insupportable. De la même manière, toujours aux Pays-Bas, une jeune femme s’est fait donner la mort, à 18 ans, pour échapper à la souffrance induite par un long harcèlement et par une série de viols. Ses harceleurs et violeurs vont bien, merci pour eux. Pour notre point de vue français, c’est choquant. Notre culture et nos lois, fortes de cet héritage chrétien catholique nous font préférer la vie à tout prix, au point que l’Etat interfère avec la vie elle-même en forçant au maintien en vie de personnes désormais non viables. La mort devient alors la seule échappatoire à l’emprise d’un Etat trop présentiv.
Mais si on nuance la valeur de vie à tout prix, on peut le voir autrement. Certes, chaque histoire est différente, chacune est un drame. Mais elles permettent d’interroger nos valeurs. Dans ce cas, il ne s’agit plus de « la vie à tout prix », mais de « la vie, à quel prix ? » ou encore de « la vie, mais pas au prix de ma dignité ».

Dans le premier article de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et du Citoyen, il est écrit que « tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits » et que « tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne ». Peut-être est-il temps d’approfondir la notion de dignité et qu’il est temps de se poser la question du droit de choisir non seulement sa vie, mais aussi sa mort, pour espérer mourir dans la dignité. Peut-être est-ce là le combat d’avant-garde : se battre pour le contrôle de sa vie et la liberté de mourir dignement ?

Montaigne écrivait que philosopher, c’était apprendre à mourir. La philosophie doit nous mener à la vie bonne, tout comme l’Initiation qui nous fait vivre une mort symbolique, mais pourtant puissante. Et si l’Initiation nous menait de la vie bonne à la bonne mort, la vraie euthanasie ?

J’ai dit.

i Toute référence à l’affaire Vincent Lambert serait purement fortuite.

ii J’emprunte cette analyse au chanteur du groupe de death metal Sentenced, qui expliquait dans une interview en 1998 que dans la vie quotidienne en Finlande, il était courant d’entendre le bruit des balles des suicidés. Il expliquait également que le suicide était « la forme ultime de contrôle de sa vie ».

iii Lisanne Herder (1990-2015) était une comédienne et humoriste néerlandaise, qui s’était fait connaître par le télé-crochet « Holland’s got talent ». Atteinte de graves troubles physiques et neurologiques puis psychiques, elle était très gravement handicapée, sans espoir de rémission, avec une aggravation régulière de son état. Elle a choisi l’euthanasie en 2014 et été euthanasiée volontairement en 2015 pour échapper à sa condition, qui lui était réellement insupportable. Selon ses propres termes, elle considérait sa mort à venir comme une libération.

ivOn pourra visionner à ce propos sur le site Philonomist.com l’analyse de la philosophe Anne-Sophie Moreau.

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Josselin
Josselin
Josselin Morand est ingénieur de formation et titulaire d’un diplôme de 3e cycle en sciences physiques, disciplines auxquelles il a contribué par des publications académiques. Il est également pratiquant avancé d’arts martiaux. Après une reprise d’études en 2016-2017, il obtient le diplôme d’éthique d’une université parisienne. Dans la vie profane, il occupe une place de fonctionnaire dans une collectivité territoriale. Très impliqué dans les initiatives à vocations culturelle et sociale, il a participé à différentes actions (think tank, universités populaires) et contribué à différents médias maçonniques (Critica Masonica, Franc-maçonnerie Magazine). Enfin, il est l’auteur de deux essais : L’éthique en Franc-maçonnerie (Numérilivre-Editions des Bords de Seine) et Ethique et Athéisme - Construction d'une morale sans dieux (Editions Numérilivre).

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