Revenons sur la notion d’identité. Paul Ricœur rappelle que « c’est en distinguant qu’on identifie ».
L’identification se fait par différenciation. Par exemple, les Francs-maçons se distinguent des profanes ; mais s’ils se définissent comme des « initiés », ils vivent aussi en-dehors des temples. Autrement dit, ils sont à la fois identifiés comme « frères » et identiques à tous les citoyens. C’est dans cette ambivalence entre identité et identification, entre ressemblance et différence que l’égalité trouve sa place, en rejetant la notion uniformisante d’égalitarisme.
Demande : « Êtes-vous Franc-maçon ? »
Réponse : « Mes frères me reconnaissent comme tels », dit le rituel du grade d’apprenti.
Cette phrase est lourde de sens ; car elle signifie d’une part que je suis (et que je m’identifie) comme Franc-maçon ; d’autre part que je suis identifié comme tel par d’autres qui me confèrent cette qualité. Ce lien d’appartenance, s’il fait notre différence (vis-à-vis de l’extérieur), désigne de même notre équivalence (en interne) : mon identité en tant que personne (« intuitu personæ ») me singularise dans le groupe identifié auquel j’appartiens (les « Francs-maçons »). L’égalité s’établit dans la parité de nos rapports : la confrérie m’apporte ses valeurs, je la valorise par ce que je vaux. Dans cette équipollence, chacun trouve son compte : avec mon « ego », je me positionne – et ils me positionnent – comme leur égal.
Allons plus loin. Si je ne les avais pas reconnus, ou s’ils ne m’avaient pas reconnu comme tel, il ne pourrait pas y avoir d’égalité. C’est parce que, des deux côtés, nous nous sommes acceptés, c’est parce qu’il y a réciprocité dans nos rapports de parité que l’équation (du latin « æquatio », « égalisation ») peut être réalisée. Comme en mathématique, dès lors, chaque membre de l’égalité, définissant l’autre, lui donne son sens.
En fait, l’étymologie latine attribuée au terme « égal » est « aequus », avec les significations « d’équitable » et de « juste ». Le principe d’égalité est donc équilibré par l’idée de justesse et la valeur d’équité : « Dans le cas des actions justes l’égal, au sens premier, est ce qui est proportionné au mérite » édicte Aristote. « Quand, en effet, l’affection est fonction du mérite des parties, alors il se produit une sorte d’égalité, égalité qui est considérée comme un caractère propre de l’amitié. […] Ce n’est que si la bienveillance est réciproque qu’elle est amitié ». Il en découle que « c’est la proportionnalité qui établit l’égalité entre les parties », poursuit-il.
Mais quand la justesse rend justice à tous, et qu’elle proportionne l’égalité au mérite de chacun, elle définit l’équité. De même que l’iniquité éclaire l’injustice dans les inégalités, de même l’équité met en lumière la justice dans l’égalité.
Toutefois, « ce qui fait la difficulté, c’est que l’équitable, tout en étant juste, n’est pas le juste selon la Loi, mais un correctif de la justice légale » achève Aristote. L’équité serait donc le moyen d’adoucir les rigueurs de l’égalité qu’ordonne le Droit.
La tolérance mutuelle est le signe d’une reconnaissance réciproque de nos différences.
En Franc-maçonnerie, au-delà de l’amitié même, la fraternité a pour but d’instiller une harmonieuse concorde dans les échanges entre les « ego » et les « alter ego ».
Les travaux sont ouverts. Sur les colonnes voisinent des frères de différents rites, de différentes obédiences, de différents degrés ; mais tous travaillent au grade d’apprenti. L’égalité maçonnique célèbre l’équité entre les initiés.
Le Surveillant Ancien, au « Rite Opératif de Salomon », convie les assistants à « prêter attention au Vénérable Maître d’Œuvre pour la deuxième batterie et l’acclamation du rite : “Liberté-Équité-Amitié” »…[1]
Pierre PELLE LE CROISA, le 27 avril 2015
[1] Voir l’article précédent « L’égalité contre l’égalitarisme ? »(1), rubrique : « Des clés pour aujourd’hui et pour demain ».