J’étais en Loge hier soir, et nous avons parlé de violence. Je reste très partagé sur la question de la violence, surtout depuis que j’ai lu le récent ouvrage de Steven Pinker, la Part d’ange en nous. La thèse que défend Pinker est que notre monde est bien moins violent qu’il y a un siècle, si on se base sur les statistiques des décès. En effet, on meurt moins de mort violente, si on se base sur les statistiques. L’actualité récente en France donne le sentiment du contraire (je dis bien sentiment, et un sentiment ou une hypothèse ne sont pas des faits). Mais je crois que c’est plus subtil que ça.
Qu’est-ce que la violence ? Pour ma part, j’aime beaucoup la définition donnée par le physicien Aurélien Barrau dans Des univers parallèles : « la violence, c’est considérer comme acquis ce qui est à construire ». Une autre définition, que je tiens de mon ancien prof de philologie est celle qui consiste à « transformer l’impératif en indicatif », définition que j’apprécie aussi. Il y a dans ces deux définitions l’idée de l’exercice d’une coercition sur l’autre, que l’on réduit au statut d’objet.
La violence peut s’exercer de différentes manières : règles humiliantes, agressions physiques, verbales, dégradations, etc. Elle peut parfois s’expliquer. J’attire votre attention sur le fait qu’expliquer n’est en aucun cas justifier. On peut expliquer un séisme, une tempête ou un accident nucléaire sans pour autant le justifier ni l’accepter. Confondre justifier et expliquer constitue une insulte à la pensée de Jankélévitch(i).
Le problème est que l’être humain est un être violent, très ambivalent. « Au commencement était la haine », nous dit Freud. Tout le but de la civilisation est de réprimer la violence et les pulsions violentes que nous avons tous en nous. L’être humain se dote aussi de mécanismes pour justifier sa propre violence. Or, l’expression de la colère et de la violence n’est pas acceptable socialement (du moins pour le moment, la morale publique n’étant pas absolue mais relative, cf. Niezsche(ii)).
En dépit de l’observation de Steven Pinker, on a le sentiment que la voie de fait devient la norme. Il suffit de regarder les réseaux sociaux pour s’en rendre compte : dès que quelqu’un a le malheur de dire ou écrire quelque chose qui ne va pas dans le sens d’un groupe, la réaction du groupe tend vers le lynchage de l’individu. L’Autre qui pense différemment est donc un objet de ressentiment et doit être détruit…
A propos de violences, la journaliste et femme de lettres Zineb el Rhazoui est toujours la cible de menaces écrites sur ces structures ochlocratiques que sont les réseaux sociaux, suite à ses différents travaux sur l’islam. Je suis très triste qu’aucune obédience, bien que celles-ci soient très promptes à s’indigner, n’ait ouvertement pris sa défense. En attendant, lisez ses livres, je crois que c’est important.
La structuration des réseaux sociaux, parfois dépendant de juridictions d’autres pays donne aux usagers un sentiment d’impunité, qui leur permet d’exercer leur violence sans conséquence. On l’a vu récemment avec l’affaire de la Ligue du LOL.
A propos d’impunité, nous avons en France une culture de l’excuse, qui nie l’existence du mal en tant qu’action volontaire. Nous faisons souvent la part belle au bourreau qui doit être vu comme une victime du système ou de tout autre élément extérieur. Autrement dit, on ne doit pas sanctionner à l’école un petit caïd ou une petite frappe violente, parce que ces charmants bambins sont de pauvres victimes de leur famille/un vilain prof/leurs vilains petits camarades bons à l’école/leur condition sociale (biffer la mention inutile). Ce type d’enseignement remonte à Mai 68 et après : les disciples des grands penseurs ont appliqué les belles idées. Ainsi, dans les années 80, on n’avait plus le droit de sanctionner un gamin de primaire en lui faisant nettoyer la cour ou réparer ses bêtises. Une ministre de l’époque avait décidé que c’était du travail gratuit (on est dans les années 80, je le rappelle). La même ministre avait commis un ouvrage à l’époque expliquant combien la déferlante de dessins animés japonais était dangereuse pour la culture française et l’intellect de nos têtes blondes. Il est vrai que les dessins animés américains diffusés à l’époque tels que He-Man (Musclor), GI Joe ou MASK étaient sûrement bien plus pacifiques et porteurs de valeurs que Candy, Lady Oscar ou Albator(iii). Mais je m’égare. Les héritiers des grands penseurs de Mai 68 et de ce courant libertaire estimaient donc que sanctionner la violence, c’était punir de pauvres petites victimes de notre affreuse société tortionnaire, contre laquelle les étudiants s’étaient révoltés. Pire encore, il arrive que la victime ait des ennuis supplémentaires : il suffit d’entendre ce qu’on dit aux femmes qui ont le courage de porter plainte contre un agresseur. On leur dit que c’est de leur faute, et qu’elles ont provoqué leur agresseur(iv)… « Cachez ce sein que je ne saurais voir », je crains que Molière n’ait pas pris une ride.
Malheureusement, une éducation sans contrainte ne peut aboutir à rien de bon. Le cadre, la règle, la contrainte et la sanction sont nécessaires à la liberté. Sans cela, c’est le chaos, et l’individu n’a pas de structure. Vous imaginez bien les dégâts que cela peut faire sur les jeunes enfants et les adultes qu’ils deviennent. J’en viendrais à me demander si les joyeux lurons de la Ligue du LOL ne sont pas de pauvres gamins victimes de cette éducation qui en a fait des adultes déstructurés, avec un sentiment d’impunité et de toute-puissance (comment, je suis de mauvaise foi, moi ?).
Toute plaisanterie mise à part, éduquer un enfant avec l’idée qu’il est « interdit d’interdire », sans le sanctionner parce que ce qu’il peut faire n’est jamais sa faute, c’est en faire un adulte non structuré, voire irresponsable. La liberté est dans la règle, et les anarchistes l’avaient très bien compris.
Nous sommes amenés en Franc-maçonnerie à soumettre notre volonté, vaincre nos passions ou encore faire un examen critique, seul vrai rempart à la violence primitive qui existe en nous tous. Tout ce que nous faisons est ritualisé, encadré et structuré. Le Rite est marqueur d’un haut degré de civilisation. On pourrait penser que nous sommes de gentils messieurs-dames et que la violence n’existe pas. Que nenni ! Notre mythe fondateur est un meurtre et nous jouons un assassinat. Par ailleurs, en dépit de cet outil civilisationnel qu’est le Rite, nous ne sommes pas à l’abri de nos passions, que nous devons pourtant apprendre à maîtriser. Face au déferlement quotidien de rage et de colère, il est plus que nécessaire de rester dans le dialogue, et de considérer l’Autre en Frère et ne pas, ne surtout pas en faire un objet.
Toute cette violence me fatigue et m’écoeure. Tiens, je vais brancher ma console et jouer à un bon jeu de combat pour me défouler, comme Soul Calibur, Tekken ou Fortnite.
J’ai dit.
PS : j’omets volontairement les histoires de violences policières, étant donné les instructions en cours…
i-A propos de la Shoah : « ce qui s’est passé ne devra jamais être compris, dans la mesure où comprendre, c’est justifier ».
ii-Généalogie de la Morale
iii-On pourrait disserter des heures, mais Candy raconte l’histoire voulant vivre libre à l’époque victorienne, où la violence est avant tout sociale, Lady Oscar se déroule avant la Révolution Française et Albator raconte l’histoire d’un pirate de l’espace luttant contre un oppresseur extraterrestre… Les animes avaient le tort de ne pas être d’origine occidentale, visiblement, d’où la préférence vers l’animation américaine, ou plus rarement française. Ce n’est bien sûr qu’une hypothèse.
iv-Il suffira de lire les minutes du procès des policiers accusés de viol dans les locaux de la Police Judiciaire pour se faire une idée du chemin qui reste à parcourir pour déconstruire la « culture du viol ».