J’étais en Loge un soir, et j’ai eu l’occasion d’écouter un Frère faire un exposé aussi brillant que complexe sur la sémantique générale. Mais qu’est-ce donc que cette sémantique générale ? Faisons un peu d’histoire. Nous sommes à la fin de la Première Guerre Mondiale, les Bolcheviks ont pris le pouvoir en Russie et les aristocrates des pays « protégés » par la Russie fuient. Parmi eux, un homme très particulier, le Comte Alfred Korzibsky. Le Comte Korzibsky est un brillant aristocrate, polymathe. Il occupe la difficile position de chef des télécommunications de l’armée prussienne. Autant dire que sa position lui a permis de lire absolument tous les télex, télégrammes, courriers, etc. échangés par toutes les parties. En fuyant l’invasion russe, il emporte le résultat de ses recherches et finit par atteindre la Californie. C’est dans cet Etat qu’il établira ce qu’il pense être les causes de la guerre en Europe. En effet, après avoir analysé l’ensemble des messages échangés, il en déduit que la cause principale de la guerre en Europe est intimement liée au 3e principe d’Aristote, le principe de tiers-exclus. Autrement formulé, c’est le principe qui établit que si un énoncé est vrai, son contraire est obligatoirement faux. Adapté à une position religieuse ou politique, cela peut entraîner la guerre pour la conversion forcée ou l’élimination de celui qui pense différemment…
Le Comte Korzibsky a également émis l’hypothèse que l’être humain se fonde essentiellement sur ses représentations mentales, qui ne sont pas forcément la bonne perception de la réalité.
Fort de ses travaux et hypothèses, le Comte Korzibsky a donc créé un système de pensée, écrit ¬A, prononcé « non-A ». Il est ainsi devenu le fondateur d’une discipline nommée Sémantique Générale. Si cette discipline devait être résumée en quelques mots, ces mots seraient « la carte n’est pas le territoire ». Un énoncé simple, mais aux interprétations multiples. En voici une : nos constructions mentales, nos modèles rendent compte de ce que nous percevons, mais notre perception étant limitée, nous ne pouvons pas avoir de carte totale.
Une autre interprétation est qu’il existe plusieurs manières d’avoir raison, en se basant sur des valeurs propres à chacun. Ce type de postulat suppose d’accepter l’ambivalence de la pensée humaine. Etrangement, en acceptant qu’un énoncé est à la fois vrai et faux, on accepte beaucoup mieux l’hypothèse de la double nature de la lumière (corpusculaire et ondulatoire) et les avancées de la physique quantique.
La bonne question qu’il faut se poser, en tant que Franc-maçon, est : pouvons-nous accepter un tel système de pensée ? La réponse est paradoxalement, oui. Certes, nous réfléchissons et pensons à l’Européenne, nous connaissons la logique, la rhétorique, la poésie, la grammaire, la musique, les mathématiques et la poésie, ce qui ferait plutôt de nous des aristotéliciens. Et pourtant, le devoir de Fraternité nous incite à ne jamais juger notre prochain. En fin de compte, peut-être que la sémantique générale nous permet d’accueillir l’autre en frère, dans son altérité. Elle permet aussi de tous nous mettre au niveau, en nous faisant admettre qu’il n’y a pas non une, mais bien plusieurs façons d’avoir raison. Nos politiques et les leaders d’opinion en général devraient peut-être garder ce paradigme en tête, qui éviterait le recul de civilisation que nous connaissons ces derniers temps…