sam 12 juillet 2025 - 14:07

Quel est donc ce lien qui unit l’UNSA au Grand Orient de France ?

analyse critique d’une tentation de corps intermédiaire

Le Grand Orient de France (GODF), première Obédience maçonnique française avec environ 48 270 membres cotisants et 1 300 loges, traverse une période de mutation marquée par une volonté affirmée de s’ériger en corps intermédiaire de l’État, comme en témoigne la remarque de Pierre Bertinotti, Grand Trésorier et probable futur Grand Maître, dans le procès-verbal du Conseil de l’Ordre du 24 janvier 2025 : « Le Grand Orient de France doit être un corps intermédiaire reconnu. »

Cette ambition, qui ne figure ni dans la Constitution ni dans le Règlement Général du GODF, soulève des questions sur l’essence même de l’Obédience, son identité et ses relations avec des acteurs extérieurs partis politiques, syndicats et notamment l’UNSA.

Guillaume Trichard ex Grand Maître du Grand Orient

Ces liens, incarnés par des figures comme Nicolas Penin, Guillaume Trichard, Emmanuel Pierrat, Philippe Foussier, Catherine Picard et, selon certaines sources à vérifier, Cécile Révauger… révèlent une proximité problématique, oscillant entre collusion et instrumentalisation mutuelle.

Philippe Foussier ex Grand Maitre du Grand Orient.

Cet article explore ce rapport complexe, analyse les tensions entre la vocation initiatique première du GODF et son engagement sociétal. Il interroge la légitimité de cette posture de corps intermédiaire à la lumière de la crise démocratique contemporaine et des échecs récents du GODF à mobiliser l’opinion aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’obédience.

I. Contexte Général :

La crise démocratique et le rôle des corps intermédiaires

Nicolas Penin Grand Maître du GODF

La France traverse une crise démocratique profonde, caractérisée par une montée de l’abstention, le discrédit des partis traditionnels, et une fragmentation du lien civique, une syndicalisation en berne, comme l’ont analysé Frédéric Gilli et Pierre Rosanvallon. Dans ce contexte, les corps intermédiaires – syndicats, associations, organisations civiques – sont perçus comme des remparts contre le populisme, le « jupitérisme » présidentiel, ou l’individualisme passif (le « colibrisme »). 

Ces entités, en théorie, facilitent le dialogue entre citoyens et État, renforçant la cohésion sociale. Le GODF, fort de son histoire républicaine et de son engagement pour la laïcité, pourrait être tenté de s’inscrire dans cette dynamique. Cependant, cette ambition marque une inflexion majeure par rapport à son identité traditionnelle d’obédience initiatique, vouée « à l’amélioration matérielle et morale, au perfectionnement intellectuel et social de l’humanité », comme stipulé dans ses statuts.

La proposition de Pierre Bertinotti, qui qualifie le GODF de «corps intermédiaire», n’a jamais été débattue dans les loges, révélant un décalage entre les aspirations de certains membres du Conseil de l’Ordre et la base des membres dans les Loges.

Cette absence de délibération interne soulève des questions sur la légitimité démocratique d’une telle révolution.

II. Un GODF en Mutation : De l’Obédience Initiatique au Corps Social ?

Le GODF, né en 1773 d’une transformation de la première Grande Loge de France, s’est historiquement distingué par son engagement humaniste et politique, notamment sous la Troisième République, où il a joué un rôle clé dans la promulgation de la loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l’État. Cependant, des textes récents, comme le procès-verbal du Conseil de l’Ordre de janvier 2025 ci-dessus, mettent en lumière un glissement vers une posture de corps intermédiaire engagé, assumant un rôle quasi-syndical ou politique.

À ce sujet, il faut regretter que les PV des séances du Conseil de l’Ordre ne soient pas portés à la connaissance des Loges, depuis celui de février. Le PV de mars n’est paru que fin juin et n’a pas été débattu en Loge. Les PV d’avril, de mai et de juin n’ont pas été portés à la connaissance des Loges. Ainsi 4 PV non communiqués ne permettent pas de juger de l’action du Conseil de l’Ordre sur un tiers de son mandat.

Une évolution juridiquement floue

Guillaume Trichard, UNSA, sur son parcours syndical – © D.R.

Le GODF est une association loi 1901, fédération de loges autonomes, et non une institution reconnue dans le jeu démocratique comme un parti ou un syndicat. La notion de « corps intermédiaire » n’a pas de fondement juridique clair dans ses statuts, qui insistent sur son caractère philosophique, philanthropique et progressif au service d’un universalisme revendiqué. Cette ambition de devenir un acteur sociétal visible entre en contradiction avec ces principes, car elle suppose une extériorisation permanente – c’est-à-dire une prise de parole publique – qui n’est pas toujours compatible avec la réfléxion maçonnique.

Un paradoxe de visibilité

Le GODF cherche à être audible dans l’espace public, sans y parvenir, notamment sur la laïcité, mais sans assumer les contraintes légales des lobbies ou groupes de pression, telles que la transparence financière ou la responsabilité publique. C’est ainsi que l’exécutif du GODF s’est refusé à plusieurs reprises à assumer sa RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises)

Pierre Bertinotti déplore que le discours du GODF sur la laïcité ne soit pas audible par la jeunesse, mais ce constat s’étend aussi aux membres de l’obédience dont la moyenne d’âge est passé de 40 ans en 1985 à 65 ans en 2025.

La pétition lancée sur change.org pour constitutionnaliser les deux premiers articles de la loi de 1905, initiée lors du colloque de février 2025 au Sénat, n’a recueilli que 19 150 signatures à ce jour, loin des 200 000 visées par Nicolas Penin et des 54 400 membres revendiqués par le GODF. Cet échec, tout comme la manifestation organisée pour s’opposer à l’extrême droite par Guillaume Trichard en juin 2024, qui n’a réuni qu’environ 200 personnes, illustre l’incapacité de l’exécutif du GODF à mobiliser ses membres, révélant une déconnexion entre ses ambitions et sa capacité d’influence. Il y a un vrai divorce entre un exécutif hors sol et une base de plus en plus récalcitrante.

Une crise de leadership

La succession rapide des Grands Maîtres est un problème majeur : sept en dix ans et, si c’est Pierre Bertinotti qui est élu, il ne lui sera possible statutairement que d’eexercer un mandat d’un an.

Les tensions internes, provoquées par la catastrophe financière de la gestion Trichard (un million d’euros de déficit cumulé entre le GODF et la SOGOFIM et la Fondation), par l’affaire de la Fondation sous Foussier-Hubsch, par l’affaire Bauer, ancien Grand Maître poursuivi dans plusieurs dossiers par le Parquet National Financier et par l’affaire Sandillon, actuel Grand Officier délégué aux droits des enfants, parjure devant la cour criminelle du Morbihan jugeant Le Scouarnec, chirurgien pédocriminel… reflètent une crise de gouvernance majeure.

L’élection comme Grand Maître de Nicolas Penin, en août 2024, succédant à Guillaume Trichard, tous deux jouissant d’une décharge syndicale au bénéfice de l’UNSA posait le double problème du cumul de deux charges à plein temps, celle de grand maître et celle de responsable syndical rémunéré par le syndicat donc sur des fonds publics et de l’appartenance en situation de responsabilité à un syndicat défenseur par définition d’intérêts catégoriels et corporatistes.

Rue Cadet devant la librairie DETRAD à côté du GODF
Rue Cadet – GODF

De plus, l’élection annoncée de Pierre Bertinotti pour un mandat d’un an en 2025, ne vise t-elle pas à assurer une transition entre les mandats Penin (2024-2025) et Guillaume Trichard (2023-204) et les futurs mandats des mêmes Guillaume Trichard (2026-2029) et Nicolas Pénin (2029-2032) ?

Cela suggère des maneuvres d’appareil pour assurer la continuité entre les figures liées à l’UNSA. Cette planification à long terme, ne semble t-elle pas contourner le débat démocratique dans les loges, ce qui renforce l’impression d’une mainmise d’une oligarchie syndicale sur les cercles restreints de l’obédience ?

III. La Question de l’UNSA : Collusion ou Instrumentalisation Mutuelle ?

Le lien entre le GODF et l’UNSA, un syndicat non représentatif au niveau interprofessionnel mais influent dans la fonction publique, constitue le point de crispation central. Cette proximité, incarnée par des figures clés, soulève des interrogations sur une possible collusion ou instrumentalisation mutuelle.

Une convergence idéologique

L’UNSA, avec une vision partisane de la laïcité, proche du mouvement « Printemps Républicain », ciblant particulièrement l’islamisme, trouve un écho dans une partie très minoritaire du GODF, malgré l’influence de Nicolas Penin et de Guillaume Trichard, tous deux toujours responsables syndicaux à l’UNSA. Dans leurs profils Linkdin, ils démontrent leur collusion objective entre leur fonction syndicale et leur fonction présente ou passée de Grand Maître. Pour Guillaume Trichard, il s’agit d’une violation de l’Article 23 du Règlement Général qui « interdit à tout membre du Grand Orient de France de faire état d’une fonction anciennement occupée ». Cette disposition vise à imposer une certaine humilité à d’anciens dignitaires.

Penin, Conseiller Principal d’Éducation et Grand Maître depuis août 2024, et Trichard, secrétaire général adjoint de l’UNSA et Grand Maître de 2023 à 2024, occupent des postes à temps plein au GODF, tout en bénéficiant de décharges syndicales à l’UNSA, fonctions visiblement associées dans leurs profils LinkedIn. Cette double casquette ne pose t-elle pas, en outre, la question d’un éventuel « emploi fictif » ?

Un risque que le Conseil de l’Ordre du GODF semble prêt à assumer, malgré les précédents judiciaires du Front National et du Rassemblement National au Parlement européen, qui ont mis une décennie à être dénoncés.

Des figures clés au carrefour

D’autres personnalités participent à cette interconnexion :

Source : Instagram d’Emmanuel Pierrat
  • Emmanuel Pierrat, avocat du GODF et de l’UNSA, a été temporairement écarté en raison de condamnations profanes, comme rapporté par 450.fm. Son retour en grâce sous Guillaume Trichard soulève des questions sur les critères de sélection éthique des collaborateurs du GODF. Surtout si on tient compte de sa récente garde à vue d’Avril dernier pour des faits similaires à sa précédente condamnation d’interdiction d’exercice de sa profession d’avocat.
  • Catherine Picard, élue récente de la région Ouest et ancienne présidente de l’UNADFI, incarne un lien plus complexe. Infirmant un jugement du tribunal d’Evreux, la cour d’appel de Rouen a condamné, mercredi 18 juillet 2007, la présidente de l’Union nationale des associations de défense des familles et de l’individu (Unadfi), Catherine Picard, à verser 6750 € aux témoins de Jehovah pour diffamation (Source : Le Monde).
  • Philippe Foussier, ancien Grand Maître (2017-2018), dignitaire du Grand Chapitre Général de Rite Français est aujourd’hui journaliste à l’UNSA après sa retraite. Son implication dans l’affaire de la Fondation du GODF, qui a entraîné une perte de 300 000 euros liée à un immeuble rue Castérès, a été révélée par 450.fm en août 2024. Membre de la région 3 de Paris, comme Trichard, Foussier soutient activement ce dernier, renforçant l’idée d’un réseau d’influence aux bénéfices réciproques, plutôt que celle d’un idéal institutionnel.
  • Gérard Contremoulin, Ve Ordre du Grand Chapitre Général du Rite Français via son blog Sous la Voûte Étoilée, promeut une vision alignée sur les positions de l’UNSA et du GODF, renforçant leur visibilité mutuelle.
  • Cécile Révauger, initiée en 1982 au sein d’une loge maçonnique de la GLFF. Elle démissionne pour rejoindre le GODF en 2013. En 2020, elle devient la première sœur membre de la chambre d’administration du Grand Chapitre général du Rite français du GODF. Selon certaines sources, elle serait proche de l’UNSA.

Hypothèses d’instrumentalisation

Deux hypothèses expliquent cette proximité :

  1. L’UNSA utilise le GODF pour gagner en visibilité idéologique. L’UNSA, souffrant d’un « complexe d’infériorité syndicale » dû à son statut de syndicat non représentatif, pourrait chercher à s’appuyer sur le prestige historique du GODF pour renforcer sa légitimité, notamment sur la laïcité et pour envisager la possibilité de devenir une centrale syndicale avec les dotations publiques en prime.
  2. Le GODF instrumentalise l’UNSA pour accéder à un rôle politique. Faute de reconnaissance institutionnelle comme corps intermédiaire, le GODF pourrait s’appuyer sur l’UNSA, bien implantée dans la fonction publique, pour amplifier son influence dans le débat public.

Ces deux institutions sont manifestement en déficit de notoriété et d’influence. Leur relation contre-nature pose problème. Elle réduit la diversité d’expression au sein du GODF, elle abolit son indépendance, elle introduit des logiques d’alliances partisanes et compromet le caractère initiatique de l’obédience. « Les métaux syndicaux ne sont plus à la porte du Temple.»

De plus, l’UNSA tente d’investir les fraternelles maçonniques, où elle se heurte à des obédiences plus traditionnelles comme la GLDF, la GLNF, la GLAMF ou la GLTSO, qui privilégient une approche spirituelle plutôt que sociétale.

IV. Le Discours sur la Laïcité : Un Échec de Mobilisation

Le GODF a fait de la laïcité une pierre angulaire de son identité, comme en témoigne son engagement historique sous la Troisième République et sa pétition de 2025 pour constitutionnaliser les deux premiers articles de la loi de 1905. Cependant, cette démarche souffre d’un manque d’adhésion, tant externe qu’interne.

Une laïcité controversée

Le discours du GODF sur la laïcité, souvent perçu comme intégriste, est critiqué pour son incapacité à s’adapter aux réalités contemporaines. L’accent mis sur la lutte contre l’islamisme, partagé avec l’UNSA, risque de réduire la laïcité à une posture identitaire, éloignant le GODF de son idéal universaliste. Les accusations de néo-colonialisme de la part de frères africains, soulignent les limites de cette approche, qui peine à intégrer la diversité des contextes culturels et sociaux. Le Conseil de l’Ordre du GODF ne conduit pas une réflexion critique sur ses conduites 

V. Une Tension Non Résolue : Entre Initiation et Militantisme

Le GODF semble tiraillé entre deux courants :

  • Un courant maçonnique initiatique, intemporel, centré sur le perfectionnement individuel et collectif, incarné par le Rite des Moderns (Anderson) et la devise « Liberté, Égalité, Fraternité », adoptée en 1848.
  • Un courant profane militant, tourné vers un engagement sociétal, où le GODF aspire à jouer un rôle de « sentinelle » de la République, comme l’a exprimé Guillaume Trichard dans Challenges.fr.

Cette tension n’est ni assumée ni débattue collectivement. Le glissement vers un rôle de corps intermédiaire, porté par des figures comme Bertinotti, Penin, et Trichard, s’opère dans des cercles restreints, sans consultation des loges. Cette absence de débat interne contredit le principe maçonnique de démocratie, basé sur le suffrage universel au sein de l’obédience. De plus, la proximité avec l’UNSA, marquée par des conflits d’intérêts potentiels (comme les décharges syndicales de Penin et de Trichard), compromet l’indépendance du GODF et expose l’obédience à des accusations d’emploi fictif, similaires à celles qui ont visé des partis politiques.

VI. Conclusion : Une Nécessité de Réflexion Collective

Catherine Picard (Crédit Wikipedia)

Le lien entre le GODF et l’UNSA, incarné par des figures comme Nicolas Penin, Guillaume Trichard, Emmanuel Pierrat, Philippe Foussier, Cécile Révauger, Catherine Picard, Pierre Bertinotti… révèle une tentative de positionner le GODF exclusivement comme un corps intermédiaire, en s’appuyant sur un syndicat influent dans la fonction publique. Cependant, cette stratégie, qui vise à amplifier l’influence du GODF sur la laïcité et les questions républicaines, se heurte à plusieurs obstacles :

  • Une légitimité contestée, due à l’absence de débat dans les loges et à l’échec des initiatives publiques, comme la pétition de 2025 ou la manifestation de 2024.
  • Une indépendance compromise, par des liens trop étroits avec l’UNSA, qui introduiront des logiques partisanes au sein de l’obédience.
  • Un décalage idéologique, entre la vocation initiatique du GODF et son ambition de devenir un acteur politique, au détriment de sa mission universaliste.
Temple Groussier
Temple Arthur Groussier, Grand Temple

Pour surmonter ces tensions, le GODF doit ouvrir un débat collectif sur son rôle dans la société. La Commission Maçonnisme et Juridictions, en posant la question « En quoi sommes-nous différents des autres institutions et organisations ? », offre une opportunité de clarifier cette identité. Plutôt que de s’aligner sur des partenaires comme l’UNSA, le GODF devrait réaffirmer son rôle d’espace initiatique, capable de rassembler les différences dans un esprit de fraternité, fidèle à son objectif de « Centre de l’Union »  fondé sur le principe de « rassembler ce qui est épars ». Sans cette réflexion, l’obédience risque de perdre son âme maçonnique au profit d’une politisation mal assumée, d’une syndicalisation inappropriée au détriment de sa Constitution et de son héritage républicain.

Transformant le GODF en corps intermédiaire, Le Conseil de l’Ordre aura ainsi vassalisé le GODF au service d’un communautarisme syndical

Sources :

  • 450.fm, série spéciale sur l’affaire de la Fondation du GODF, août 2024.
  • 450.fm, « Nicolas Penin : Un syndicaliste à la tête du GODF pour défendre l’école publique et la laïcité », 26 août 2024.
  • books.openedition.org, « La laïcité, une valeur d’aujourd’hui ? Le renouveau de l’intégrisme laïque : le cas du Grand Orient de France ».
  • godf.org, « Discours au Colloque ‘120 ans de Laïcité, 120 de Liberté’ par Nicolas Penin », 24 février 2025.
  • Challenges.fr, « Inquiet pour 2027, le nouveau patron du Grand Orient de France prône de ‘réparer la République’ », 2 septembre 2023.
  • Cairn.info, « Le Grand Orient de France et la politique », 1er février 2021.
  • 450.fm, « Grand Orient de France : ‘Pas une voix à l’extrême droite !’ », 30 mai 2024.
  • Procès-verbal du Conseil de l’Ordre du GODF, février 2025.

4 Commentaires

  1. Pour un regard humaniste sur la Cité : Plaidoyer pour un corps intermédiaire maçonnique, libre et interobédientiel
    Au cœur d’une société française traversée par des interrogations profondes, en quête de sens et de repères, la Franc-maçonnerie, par sa tradition humaniste et sa méthode singulière, a une voix à faire entendre. Pourtant, cette voix peine parfois à résonner d’un seul et même élan, freinée par la diversité de ses obédiences, les tensions entre vocation initiatique et engagement sociétal et la crainte légitime d’une récupération politique. Et s’il était temps de bâtir un pont, un corps intermédiaire maçonnique, résolument apartisan et interobédientiel, pour porter un regard éclairé sur les grands enjeux de notre temps ?

    L’idée n’est pas neuve, et d’aucuns se souviendront de tentatives passées, parfois controversées, de positionner la Franc-maçonnerie comme un « corps intermédiaire » de la République. Ces initiatives, si louables fussent-elles dans leurs intentions, se sont parfois heurtées au soupçon de collusion avec des intérêts partisans ou syndicaux, créant la division là où l’union était recherchée.

    L’objectif est ici tout autre. Il ne s’agit pas de transformer la Franc-maçonnerie en un lobby ou un acteur politique de plus, mais de créer une structure souple et réactive, émanation de la volonté commune des différentes familles maçonniques françaises. Un lieu de convergence et de synthèse, où des Francs-maçonnes et des Francs-maçons, issus de tous les Orients, pourraient travailler ensemble sur des sujets qui animent et parfois fracturent la société.

    L’urgence d’une parole maçonnique unie et humaniste
    La bioéthique, la fin de vie, l’intelligence artificielle, la crise environnementale, la justice sociale, la laïcité… Les chantiers qui appellent une réflexion éthique et humaniste sont immenses. Sur chacun de ces thèmes, les loges travaillent, les Sœurs et les Frères produisent des travaux d’une grande richesse, mais cette parole reste trop souvent confinée à la sphère de l’intime ou de l’obédience.

    Un corps intermédiaire interobédientiel permettrait de recueillir, de synthétiser et de porter ces réflexions dans le débat public. Non pour imposer une vision dogmatique, mais pour offrir une perspective maçonnique, nourrie de nos valeurs de liberté, d’égalité, de fraternité, de tolérance et d’universalisme. Un regard qui place l’humain au centre de toutes les préoccupations, loin des clivages partisans et des idéologies réductrices.

    Apartisan ne signifie pas apolitique
    Il est crucial de le souligner : la démarche se veut résolument apartisane. Ce corps intermédiaire n’aurait pas vocation à soutenir un candidat, un parti ou un gouvernement. Son rôle serait de rester sur le terrain des principes et des idées, d’éclairer les enjeux et de rappeler les exigences humanistes qui devraient présider à toute décision politique.

    Car être apartisan ne signifie pas être apolitique au sens noble du terme. S’intéresser à la « polis », à la vie de la Cité, est au cœur de l’engagement maçonnique. Comme l’affirme la tradition, le Franc-maçon est un citoyen éclairé qui travaille à l’amélioration de la société. Cette nouvelle structure serait un outil pour incarner collectivement cette ambition.

    • Mon cher Frère Luisetti,

      En tant que frère, je me permets de répondre à ton texte, qui se pare de l’élégance d’un plaidoyer pour un « corps intermédiaire maçonnique, libre et interobédientiel », censé porter une voix humaniste dans une France en quête de repères. Ton ambition est séduisante, presque poétique : fédérer les obédiences pour éclairer les débats sur la bioéthique, l’intelligence artificielle, la laïcité ou la justice sociale.
      Mais derrière cette rhétorique ciselée, ton projet vacille sur des fondations fragiles, minées par des contradictions et une méconnaissance des écueils qui guettent toute tentative de faire descendre la Franc-Maçonnerie dans l’arène publique. Permets-moi, avec la rigueur d’un scalpel et la verve d’un littérateur, de trancher dans le vif de ta proposition, non pour la dénigrer, mais pour en révéler les failles béantes.

      Une ambition noble, mais un idéalisme naïf
      Tu rêves d’un espace où les francs-maçons, toutes obédiences confondues, synthétiseraient leurs réflexions pour les offrir au débat public, tels des phares dans la tempête sociétale. L’image est belle, mais elle pèche par un excès d’idéalisme. La Franc-Maçonnerie, par sa nature, est un kaléidoscope d’individualités et de sensibilités, un creuset où la diversité des obédiences – du Grand Orient de France à la Grande Loge Féminine, en passant par la Grande Loge de France – est à la fois sa richesse et sa faiblesse. Prétendre les unifier sous une bannière commune, même qualifiée de « souple et réactive », relève de la chimère. Les tensions historiques entre obédiences, marquées par des divergences sur la vocation initiatique face à l’engagement sociétal, ne se résorberont pas par la simple incantation d’un « corps intermédiaire ».

      Tu sous-estimes la profondeur de ces fractures.
      La GLNF, qui se revendique « régulière et de tradition » selon ses propres écrits, n’a-t-elle pas envisagé, il y a peu, un think tank maçonnique, comme si un vœu pieux pouvait effacer des décennies de rivalités ?
      D’ailleurs, cette année, l’absence des Rencontres La fayette, qui auraient pu incarner un dialogue interobédientiel, illustre cruellement l’incapacité des obédiences à s’unir pour un projet commun.
      Ton texte élude une question cruciale : qui conférerait à ce corps intermédiaire la légitimité de parler au nom de la Franc-Maçonnerie tout entière ? Les obédiences, jalouses de leur autonomie, accepteraient-elles de déléguer leur voix à une structure supranationale ? Rien n’est moins sûr. Les tentatives passées, que tu évoques avec une prudence diplomatique, se sont soldées par des échecs retentissants, précisément parce qu’elles ont suscité méfiance et accusations de récupération. En proposant une nouvelle itération de ce projet, tu foules un terrain miné sans offrir de boussole pour en éviter les pièges.

      Apartisan ou a-dogmatique ? Une gageure illusoire
      Tu insistes sur l’apartisanerie – ou devrais-je dire l’a-dogmatisme, à l’image de la profession de foi maçonnique – de ton corps intermédiaire, un mantra répété pour conjurer le spectre de la politisation. Mais cet apartisanisme est une chimère dans une société où toute prise de parole publique est scrutée, disséquée et étiquetée. La Franc-Maçonnerie, par son histoire et ses valeurs – liberté, égalité, fraternité, laïcité –, porte une charge symbolique qui la rend vulnérable aux soupçons d’agenda caché. Même des prises de position éthiques, sur la fin de vie ou la justice sociale, seront inévitablement lues à travers le prisme des clivages politiques. Affirmer, comme tu le fais, que ce corps évoluerait « sur le terrain des principes et des idées » est un vœu pieux qui ignore la réalité d’un débat public où l’idéalisme est broyé par la polarisation.
      Prenons l’exemple de la laïcité, que tu cites parmi tes chantiers prioritaires. Ce pilier de l’identité maçonnique est devenu un champ de bataille idéologique. Une parole maçonnique unie sur ce sujet, même empreinte d’humanisme, risque d’être perçue comme un alignement avec un courant politique, qu’il soit progressiste ou conservateur. Ton texte n’esquisse aucune stratégie pour naviguer cette tempête, se contentant d’une rhétorique généreuse mais déconnectée des réalités. En cela, il sous-estime la complexité d’une entreprise qui, loin d’élever la Franc-Maçonnerie, pourrait la précipiter dans un bourbier de controverses.

      Et toi Frère Luisetti, que fais-tu pour répandre parmi les autres Hommes les valeurs de la République et la Laïcité ?

      Une parole fragmentée : une force, non une faiblesse
      Là où tu vois un problème – la dispersion des voix maçonniques, confinées aux loges ou aux obédiences –, je vois une force. La Franc-Maçonnerie n’a jamais eu vocation à parler d’une seule voix, car son essence réside dans la pluralité des regards et la liberté des consciences. Les travaux des loges, riches et profonds, tirent leur puissance de leur intimité, de cet espace sacré où Sœurs et Frères explorent l’humain loin de la tyrannie du regard extérieur. Vouloir les synthétiser pour les projeter dans l’arène publique, c’est risquer de dénaturer leur sens, de les réduire à des prises de position formatées, soumises à l’opinion publique.

      Tu sembles croire que la Franc-Maçonnerie doit « résonner d’un seul et même élan » pour peser. Mais cette quête d’unité est-elle vraiment maçonnique ? La tradition célèbre la diversité des chemins vers la lumière. Imposer une structure centralisée, même sous le nom séduisant de « corps intermédiaire », c’est risquer d’étouffer cette diversité sous prétexte de cohérence. La véritable force de la Franc-Maçonnerie réside dans sa capacité à inspirer, en sourdine, les consciences individuelles, non à se muer en acteur institutionnel.

      Un réveil nécessaire
      Tu aspires à faire de la Franc-Maçonnerie un phare dans la Cité, comme elle le fut sous la IIIe République. Mais ton projet, par son manque de réalisme et sa sous-estimation des défis, risque de n’être qu’un feu de paille. La Franc-Maçonnerie n’a pas besoin d’un porte-voix tonitruant pour exister ; elle brille par sa discrétion, par son influence subtile sur les cœurs et les esprits. Plutôt que de rêver à une structure improbable, concentrons-nous sur ce qui fait la force de notre tradition : le travail en loge, la quête intérieure et l’engagement individuel dans la Cité. À vouloir trop en faire, tu risques de diluer l’essence même de ce que tu prétends défendre. Que ce texte soit un appel à la lucidité, mon Frère : la Franc-Maçonnerie n’a pas besoin de s’unir pour exister ; elle vit déjà, plurielle et libre, dans l’ombre féconde de ses temples.

    • Bien joué, frérot ! Plusieurs sources récentes montrent que le GODF revendique environ 54 000 membres. En 2023, Le Figaro rapporte 54 000 membres et 1 391 loges, et 450.fm évoque, la même année, 54 000 membres, dont 8 000 sœurs, répartis dans 1 400 loges. En 2024, 20 Minutes mentionne 54 400 membres et 1 395 loges, tandis que cette année, Sud-Ouest parle d’« environ 54 000 membres ». Le blog payant donne même, pour 2024, 54 700 membres, dont 6 680 sœurs. Ces chiffres, publiés dans les médias ou sur des sites liés au GODF, semblent issus de communications officielles, probablement des rapports annuels ou des déclarations du Grand Maître.
      Bataille de chiffres ou d’ego pour faire pipi plus loin ? Surtout quand on voit celle qui joue à vouloir être number two…

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Charles-Albert Delatour
Charles-Albert Delatour
Ancien consultant dans le domaine de la santé, Charles-Albert Delatour, reconnu pour sa bienveillance et son dévouement envers les autres, exerce aujourd’hui en tant que cadre de santé au sein d'un grand hôpital régional. Passionné par l'histoire des organisations secrètes, il est juriste de formation et titulaire d’un Master en droit de l'Université de Bordeaux. Il a été initié dans une grande obédience il y a plus de trente ans et maçonne aujourd'hui au Rite Français philosophique, dernier Rite Français né au Grand Orient de France.

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