En prenant pour cible la Grande Loge de France et, plus largement, la Franc-Maçonnerie, Philippe de Villiers ressuscite avec emphase une rhétorique d’un autre âge. Derrière un discours qui se veut érudit, baroque et empreint de fulgurances historiques, c’est en réalité le vieux fonds de l’antimaçonnisme français qui réapparaît, celui qui confond secret et conspiration, symbolisme et subversion, spiritualité et manipulation.
Tout commence par un amalgame confus, presque onirique, entre toupie kaléidoscopique, triangle maçonnique et tunique christique. Cette approche analogique, propre à la rhétorique villiériste, vise à décrédibiliser la cohérence du discours présidentiel en le renvoyant à une forme de double jeu, voire de duplicité mentale. Mais l’amalgame entre la Trinité chrétienne et le « triangle » maçonnique révèle surtout une incompréhension des registres : le symbole maçonnique du Delta lumineux n’est en rien un contre-symbole chrétien, mais une figure d’élévation intellectuelle et spirituelle – l’Œil qui voit en pleine lumière, non pour surveiller, mais pour éveiller.
Lorsque de Villiers évoque ensuite les Loges comme des lieux où « tous les tabliers sont réunis » pour célébrer une loi sur la fin de vie, il projette sur les Francs-Maçons un fantasme d’influence occulte. Rien ne permet d’affirmer que la Franc-Maçonnerie, dans sa diversité obédientielle, agit comme un pouvoir politique caché. Elle est un espace de débat, non un lobby dogmatique. La Grande Loge de France, fidèle au Rite Écossais Ancien et Accepté, invite ses membres à réfléchir librement sur les grandes questions humaines, dans le respect de la conscience de chacun.
Quant à l’accusation d’obscurantisme, elle est renversante. Car ce sont précisément les Lumières maçonniques qui, historiquement, ont combattu les obscurantismes de leur temps : ceux de l’intolérance, de la censure, de l’inquisition morale ou politique. L’obscurité ne se trouve pas là où l’on étudie, médite, transmet, mais bien dans les dogmatismes qui prétendent enfermer la vérité dans une unique lecture du monde.

Sur la laïcité enfin, Philippe de Villiers commet une faute intellectuelle grave. Dire que la loi de 1905 fut une entreprise d’éradication du christianisme, c’est méconnaître à la fois le texte et l’esprit de la loi. Cette loi ne nie pas le fait religieux ; elle le protège. Elle n’exclut pas les croyants ; elle les libère. Elle ne dépossède pas l’Église ; elle garantit à toutes les confessions une égale dignité. C’est pourquoi, depuis plus d’un siècle, des croyants de toutes confessions s’en réclament. La Franc-Maçonnerie elle-même ne promeut pas l’athéisme militant : elle appelle à la liberté absolue de conscience, ce qui inclut le droit de croire, comme celui de ne pas croire.

Dans un style empreint de lyrisme crépusculaire, Philippe de Villiers convoque enfin la cathédrale comme métonymie du peuple français. Mais qu’est-ce qu’une cathédrale, sinon un chef-d’œuvre collectif, œuvre de compagnons, d’architectes, d’ouvriers du trait et du geste ? Là encore, les Francs-Maçons reconnaîtront dans cette allégorie un symbole profond : le Temple intérieur se bâtit avec patience, fraternité et rigueur, loin des anathèmes et des jugements hâtifs.

La Franc-Maçonnerie, loin d’être un « goût de l’obscurité », est une voie vers la Lumière. Son travail est silencieux mais fécond, souterrain mais jamais soustractif. Ce n’est pas elle qui menace la République : c’est l’amnésie, l’amalgame et l’intolérance. L’initiation maçonnique, au contraire, appelle à la vigilance éclairée, au discernement constant, à la construction lente d’un homme libre et d’un citoyen éclairé.
Il ne s’agit pas de faire taire les critiques, mais de répondre par l’intelligence du symbole, par la rigueur de l’histoire et par l’engagement éthique. Comme le rappelait le président Macron dans un passage que de Villiers élude, la République laïque n’est pas l’ennemie des religions : elle est leur gardienne en ce qu’elle les libère de toute instrumentalisation.
Et si nous devions, nous aussi, citer l’Évangile, ce serait pour rappeler ces mots :
« La Vérité vous rendra libres. »
(Évangile selon saint Jean, chapitre 8, verset 32)