dim 20 avril 2025 - 20:04

Les racines celtiques : une empreinte vivante dans notre monde moderne

Sur une terre façonnée par plus de vingt siècles de conquêtes, la culture celte, bien que parfois éclipsée par les vagues romaines, barbares et chrétiennes, demeure une source vibrante de notre héritage occidental. Loin de se limiter à la Bretagne armoricaine, le monde celtique s’étendait jadis de la Bohême à l’Asie Mineure, en passant par les îles Britanniques, l’Italie et même la Grèce.

Ses échos résonnent encore dans nos fêtes, nos rituels maçonniques et notre imaginaire collectif. Cet article plonge dans l’univers fascinant des Celtes, des druides aux symboles initiatiques, en révélant leur pertinence intemporelle et leur influence sur la franc-maçonnerie contemporaine.

Une civilisation aux confins de l’Europe

Les Celtes, loin d’être un peuple marginal confiné à la presqu’île bretonne, formaient une civilisation d’une ampleur remarquable. Originaires d’Europe centrale, entre l’actuelle Tchécoslovaquie et l’est de la France, ils se sont déployés dès le VIe siècle av. J.-C. dans un vaste réseau culturel et commercial. À l’ouest, ils ont colonisé les îles Britanniques, laissant une empreinte indélébile en Irlande et en Écosse. À l’est, ils ont fondé le royaume de Galatie, près d’Ankara, en Asie Mineure. Au sud, leur audace les a menés à établir Milan, à défier Rome en 390 av. J.-C. – malgré la légende des oies du Capitole – et à piller le sanctuaire de Delphes en 279 av. J.-C. Cette expansion témoigne d’une société dynamique, où guerriers, artisans et druides collaboraient dans une organisation complexe.

Leur culture, marquée par une spiritualité profonde et une maîtrise technique (métallurgie, orfèvrerie), a résisté aux conquêtes grâce à sa transmission orale. En Bretagne et dans les îles Britanniques, les récits épiques, les poèmes bardiques et le folklore ont préservé l’âme celte. Les sagas irlandaises, comme le Cycle d’Ulster avec le héros Cuchulainn, ou les récits gallois du Mabinogion, sont des trésors littéraires préchrétiens. Ces textes, souvent transcrits par des moines au Moyen Âge, révèlent une vision du monde où nature, sacré et héroïsme s’entrelacent, des thèmes qui résonnent dans les rituels maçonniques modernes.

L’écriture ogamique : un mystère sacré

Un mythe tenace prétend que les Celtes ignoraient l’écriture, les reléguant à une culture primitive. Rien n’est plus faux. Les Celtes utilisaient l’ogam, un alphabet de traits gravés sur pierre ou bois, parfaitement déchiffré aujourd’hui. Apparu vers le IVe siècle, principalement en Irlande et au Pays de Galles, l’ogam servait à des usages sacrés : inscriptions funéraires, invocations divines, malédictions ou dédicaces. Ces inscriptions, souvent brèves, témoignent d’une écriture codifiée, réservée aux initiés.

Pourquoi, alors, les druides privilégiaient-ils l’oralité ? Pour eux, l’écriture revêtait une puissance magique, presque surnaturelle. Graver une parole, c’était la figer pour l’éternité, un acte qui risquait de brider la fluidité de la tradition. La transmission orale, en revanche, était vivante, adaptable, portée par la mémoire des bardes et des druides. Ces derniers, gardiens du savoir, apprenaient par cœur des milliers de vers, des généalogies et des lois, un entraînement qui pouvait durer vingt ans. Cette primauté de l’oralité se reflète dans la franc-maçonnerie, où l’apprenti déclare : « Je ne sais ni lire ni écrire, je ne fais qu’épeler. » Cette formule, symbolique, souligne que la maîtrise des mystères – comme l’écriture pour les druides – est réservée aux initiés confirmés, après un cheminement patient.

Celtes, Druides

Cette méfiance envers l’écriture fixe rappelle aussi une philosophie celte : le monde est en perpétuel mouvement, et la vérité évolue avec ceux qui la portent. Dans les loges maçonniques, cette idée se traduit par le dialogue vivant, où chaque frère ou sœur enrichit la réflexion collective, loin des dogmes figés.

Un calendrier rythmé par la nature

Le calendrier celtique, ancré dans les cycles naturels, diffère radicalement de notre approche moderne. Alors que nous célébrons le début des saisons (équinoxes, solstices), les Celtes honoraient leur apogée, moments de pleine puissance. Ce calendrier, luni-solaire, structurait la vie spirituelle et sociale. Comme les Hébreux, les Celtes considéraient que la journée débutait au crépuscule, la nuit précédant le jour, une vision cyclique où l’obscurité engendre la lumière.

Trois fêtes majeures ponctuaient l’année. Samain, le 1er novembre, marquait le cœur de l’automne, à mi-chemin entre l’équinoxe et le solstice d’hiver. Pendant trois nuits, les frontières entre les mondes s’effaçaient : les vivants accueillaient les morts, partageaient leurs repas, et communiaient dans une célébration de l’unité cosmique. Cette fête survit dans notre Toussaint, teintée de christianisme, mais aussi dans Halloween, héritage irlandais. Imbolc, début février, fêtait la lumière renaissante et la purification après l’hiver. Associée à la déesse Brigid, elle préfigure la Chandeleur, où les crêpes symbolisent le soleil. Beltène, le 1er mai, incarnait le renouveau estival. À Tara, colline sacrée d’Irlande, le roi rallumait un feu central, source de tous les foyers du pays, un rituel de régénération. Ce feu sacré évoque l’ouverture des travaux maçonniques, où la lumière symbolique guide l’atelier.

Ces fêtes, loin d’être de simples rites agraires, étaient des moments d’initiation collective. Leur persistance dans nos calendriers modernes – Toussaint, Chandeleur, feux de la Saint-Jean – témoigne de la résilience celte, même sous le vernis chrétien.

Les druides : gardiens de la sagesse

Druides

L’image populaire du druide, véhiculée par Panoramix ou Pline l’Ancien (« vêtu de blanc, il coupe le gui avec une faucille d’or »), est réductrice. Les druides, dont le nom dérive de « dru-wid-es » (très savants), étaient les piliers intellectuels et spirituels des Celtes. Conseillers des rois, juges, poètes et prêtres, ils incarnaient la sagesse dans une société où le pouvoir se partageait entre trois fonctions : sacerdotale (druides), guerrière (rois), et productive (artisans). Cette structure, analysée par Georges Dumézil, se retrouve dans les rituels maçonniques, où sagesse, force et beauté structurent l’initiation.

Les druides n’étaient pas une caste héréditaire, mais une classe ouverte aux méritants, hommes ou femmes, formés durant des décennies. Leur autorité surpassait celle des rois : une maxime irlandaise stipule que « nul ne parle avant le roi, mais le roi attend l’aval du druide ». Christianisés, ils devinrent des chapelains royaux, comme Turpin dans la Chanson de Roland, ou des orateurs dans la franc-maçonnerie britannique, parlant en dernier pour éclairer les débats. Cette fonction de conseil résonne avec le rôle de l’orateur maçonnique, gardien des vérités essentielles.

Les druides étaient aussi des médiateurs cosmiques, reliant le visible à l’invisible. Leur lien avec la nature – chêne, gui, sources sacrées – reflétait une spiritualité panthéiste, où chaque élément portait une étincelle divine.

Cette vision imprègne la franc-maçonnerie, où les symboles naturels (pierre, lumière, feu) guident la quête intérieure.

La pierre : un pont entre ciel et terre

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Pour les Celtes, la pierre était un symbole sacré, unissant le ciel et la terre. Les menhirs, dressés comme des flèches masculines (yang, ignées), incarnaient l’élan vers le divin, tandis que les dolmens, tables horizontales (yin, aqueuses), évoquaient la stabilité terrestre. Ensemble, ils représentaient « Celui qui n’a pas de forme », une divinité abstraite, non anthropomorphique. Cette dualité rappelle la quête du Graal, où la coupe (yin) et la lance (yang) symbolisent l’union des opposés.

Dynamique, la pierre celte évoluait : brute, elle tombait du ciel (béthyle ou pierre de foudre) ; taillée, elle devenait un chef-d’œuvre humain, métaphore de l’initiation. Dans la franc-maçonnerie, l’apprenti polit sa pierre brute pour atteindre l’harmonie, un écho direct de cette philosophie. Le Cabinet de Réflexion, lieu de méditation maçonnique, évoque les « sidhes », grottes celtiques où les morts renaissaient, germes d’une vie nouvelle. Cette « suprême initiation », comme l’appelle le rituel maçonnique, transcende la mort profane pour une renaissance spirituelle.

Les métaux et l’initiation

Les Celtes excellaient en métallurgie, mais leur mythologie valorisait un dépouillement symbolique. Dans le Pays de la Jeunesse, un au-delà celtique, le fer était absent, signe de pureté. Les initiés laissaient leurs métaux avant d’y accéder, comme les maçons abandonnent les leurs à la porte du temple, marquant leur rupture avec le monde profane. Chez les Fomoires, divinités telluriques d’Irlande, des mutilations rituelles (pied droit, bras gauche) symbolisaient le sacrifice pour la fécondité. La franc-maçonnerie, plus symbolique, se contente de dénuder ces membres lors de l’initiation, un clin d’œil à ces pratiques ancestrales.

Les « imramma », voyages initiatiques celtiques, envoyaient les héros affronter des épreuves pour se transformer. Ces quêtes, reprises dans la légende du Graal ou l’épopée de Saint Brendan, préfigurent l’initiation maçonnique, où chaque degré est un voyage intérieur. Lors des funérailles gauloises, des lettres brûlées portaient les pensées des vivants aux morts. De même, le néophyte voit son testament philosophique consumé, symbolisant la mort du « vieil homme » et sa renaissance initiatique.

Symbolisme animal et vestimentaire

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Le tablier maçonnique, parfois en peau de porc dans les traditions anciennes, évoque le sanglier celtique, emblème de sagesse et de force. Dans un récit irlandais, les fils d’un héros cherchent une peau de porc guérisseuse, métaphore initiatique. Merlin, le druide légendaire, appelle ses disciples « petits marcassins », soulignant leur potentiel de transformation. Cette figure du guide, comme l’oncle de Perceval dans le Graal, révèle des vérités que l’initié comprendra plus tard, un processus familier aux maçons, dont l’initiation se dévoile progressivement.

Rituels et continuité initiatique

Bijou du Maître des Cérémonies
Bijou du Maître des Cérémonies

L’orientation des temples celtiques – Est devant, Nord à gauche, Sud à droite – influence les loges maçonniques, notamment au Rite Écossais Ancien et Accepté. La droite, favorable, domine les circumambulations, tandis que la gauche, associée au malheur, est présentée avec prudence. Sucellus, dieu au maillet, incarne la dualité de la vie et de la mort, comme les outils maçonniques, dont l’usage dépend de la droiture de l’intention.

L’acclamation triple, pilier du Rite Écossais, trouve un écho dans le Bardas, texte celtique où la divinité crée le monde par trois cris lumineux. Cette triple invocation recrée l’espace initiatique à l’ouverture des travaux. La batterie de deuil, avec ses battements de mains, rappelle les lamentations des héros irlandais, tout comme l’accolade fraternelle, triple chez les Celtes, préfigure les gestes maçonniques.

Les outils rituels renforcent ce lien. La canne du maître des cérémonies, souvent en frêne, condense les énergies, comme la baguette des fées celtiques. L’épée de l’expert disperse les influences néfastes, purifiant le temple. Croisées, elles forment une voûte d’acier, geste apotropaïque (protecteur) que l’on retrouve dans les mariages profanes, où les épées s’élèvent pour écarter le malheur.

La chaîne d’union : un serment fraternel

La chaîne d’union, moment clé des tenues maçonniques, trouve une résonance puissante dans la mythologie celte. Cuchulainn, héros solaire, et ses compagnons, après un rituel de sang, se prenaient les mains en cercle, jurant fraternité et sacrifice mutuel. Ce geste, épuré dans la franc-maçonnerie, unit les maçons en un cercle d’égalité, où chacun s’engage pour l’autre. Cette fraternité transcende les siècles, reliant les Celtes aux initiés d’aujourd’hui.

Une âme celte toujours vivante

Malgré les conquêtes romaines, barbares et l’avènement du christianisme, l’héritage celtique n’a pas disparu. Il vit dans nos fêtes – Samain, Imbolc, Beltène – christianisées mais intactes dans leur essence. Il perdure dans les symboles maçonniques : pierre, lumière, outils, chaîne d’union. Il s’exprime dans une spiritualité où la nature est sacrée, où la sagesse guide la force, et où la fraternité unit les cœurs. En explorant ces racines, nous redécouvrons une culture qui, loin d’être engloutie, continue d’éclairer notre chemin, initiatique et humain. Puissions-nous, comme les druides, rester fidèles à cette lumière, pour bâtir un monde où la beauté et la sagesse triomphent.

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Christian Belloc
Christian Bellochttps://scdoccitanie.org
Né en 1948 à Toulouse, il étudie au Lycée Pierre de Fermat, sert dans l’armée en 1968, puis dirige un salon de coiffure et préside le syndicat coiffure 31. Créateur de revues comme Le Tondu et Le Citoyen, il s’engage dans des associations et la CCI de Toulouse, notamment pour le métro. Initié à la Grande Loge de France en 1989, il fonde plusieurs loges et devient Grand Maître du Suprême Conseil en Occitanie. En 2024, il crée l’Institution Maçonnique Universelle, regroupant 260 obédiences, dont il est président mondial. Il est aussi rédacteur en chef des Cahiers de Recherche Maçonnique.

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