dim 20 avril 2025 - 13:04

L’énigme des maîtres -15- La terre n’est pas le ciel

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Le lendemain

Guido demanda à tous ses amis de le rejoindre dans la bibliothèque. Leur demandant de s’asseoir et c’est sur un ton grave qu’il leur annonça :

– Je viens de recevoir un rapport du chef de la police de Prague. L’enquête a conclu que l’heure  de la tentative de vol du dépôt se situe avant que le conservateur n’ait été tué. Ce qui veut dire que les assaillants avaient déjà le code avant de torturer Jakub Novák. On en déduit que ce n’est pas le code de l’ouverture de l’entrepôt que voulaient les voleurs puisqu’ils l’avaient déjà et c’est donc seule Amélie qui aurait pu le leur communiquer. Que voulaient-ils alors ? L’endroit de Prague, où était caché le dossier des archives, indiqué dans le message, qu’elle dit avoir reçu ? Et si Amélie était complice des tueurs, ce n’est pas le conservateur qui lui aurait envoyé le message, mais les tortionnaires qui, l’ayant obtenu, le lui auraient confié le matin après votre séparation. C’est elle, ensuite, qui les aurait tenus au courant de tous vos déplacements, ce qui leur a permis de vous retrouver si facilement chaque fois que vous avez trouvé de nouveaux documents.

Ce fut une déflagration pour Alexander.

– Non ! Ce n’est pas possible !

Il bondit de son fauteuil, se mit à marcher nerveusement, sa tête dodelinant de petites secousses marquant sa stupeur incrédule.

– Notre rencontre n’aurait été qu’une stratégie à mon insu pour me manipuler afin de l’aider à trouver les documents ? Non ! Ce n’est pas possible ! répétait Alexander. Tout ce que j’ai vécu avec Amélie aurait eu alors une cause qui en changerait le sens. Non ! Ce n’est pas possible ! Mais quelle peut-être l’explication de ce qu’elle a caché dans ses mensonges ? Est-ce mon seul esprit qui aurait tissé et magnifié des liens entre les événements pour nourrir mes émotions ? Non ! Ce n’est pas possible !

– Rassieds-toi, calme toi, Alex, on va essayer de comprendre, une fois sa trahison admise, comment nous avons tous été bernés. L’organisation de l’exposition, n’était-il pas le meilleur moyen de rassembler quelques chefs-d’œuvre pour approcher le conservateur, car son véritable but était nos archives ?

Notre arrivée à Prague l’embarrasse. Mais Amélie a vite compris comment ton attirance pour elle allait lui servir. Sans doute, avait-elle besoin d’être aidée pour décrypter le message arraché par la torture au conservateur par ses complices qui ont dû le lui transmettre dès qu’ils se le sont approprié. Rappelle-toi, c’est toi qui as déchiffré la signature évoquant Dante, c’est toi qui as trouvé le manoir et l’étagère dans sa bibliothèque. Lors de l’attaque qui a suivi, tu as cru qu’Amélie voulait préserver le contenu de son sac en reprenant la bride, mais ne voulait-elle pas plutôt s’en en emparer pour s’enfuir avec ses complices ? Sans l’intervention inopinée de Parker, elle aurait peut-être réussi. Intelligente comme elle l’était, elle a compris l’opportunité de la blessure qui lui fut faite à ta place : intégrer le groupe en nous laissant croire à sa fausse affiliation à une société qui partageait nos idéaux pour participer au dépouillement des lettres et poursuivre la recherche d’un secret tant qu’il ne serait pas trouvé. C’est toi qui as ouvert la Porte des larmes, toi qui as percé l’énigme de l’ouverture du coffret. La quête du secret devait se poursuivre avec les portails sur la carte et elle entendait certainement y participer. Il n’y avait plus rien à voler puisque les photos nous étaient déjà envoyées et peut-être même, sans que tu t’en rendes compte, à ses complices. Elle n’a jamais été vraiment menacée. Les attaques à Istanbul n’auraient alors été que des simulacres pour t’impressionner et resserrer nos liens de confiance avec elle.

– Non ! Ce n’est pas possible ! Elle m’aimait. Et dans la tempête, les derniers mots qu’elle m’a dit à ce moment-là ? Peut-on mentir à ce point devant la mort ?

– Tu as voulu croire qu’elle était amoureuse de toi. Et si elle pensait à quelqu’un d’autre à ce moment-là ? Et puis, il y a ce que tu as cru être une hallucination, l’intrigante présence du galeriste Hircine Enhardir à Prague qui pourrait bien avoir été réelle. Mes services vont s’intéresser à madame Amélie Delacroix. Ils trouveront peut-être des réponses à ces mystères qui nous éclaireront sur son rôle.

Dans ce nouveau tunnel de réalité possible, Alexander resta silencieux. Son désir de véracité, tout doucement, lui permit d’articuler une pensée. Sa naïveté n’était que de la fatuité de s’être crû irrésistible. Ces derniers jours, il n’avait la nostalgie que d’un amour qui n’avait jamais commencé. Il avait halluciné une histoire dans laquelle il n’avait été qu’un pantin, embrasé que par son propre reflet que lui avait renvoyé, sciemment, la séductrice Amélie. Il avait créé mentalement une chimère émotionnelle. À l’idée de ses sentiments déversés en vain, un goût véritablement amer emplit sa bouche. Il faillit en vomir et eut un haut le cœur.

Comprenant ce qui agitait Alexander, Archibald, mettant une main affectueuse sur son épaule, chercha à le convaincre tout en le réconfortant. Il évoqua la méfiance que lui avait inspirée Amélie lors de leur première rencontre et qui s’était avérée une intuition justifiée.

– Nous aussi, nous avons été dupés. On n’est trahis que par ceux à qui on fait confiance mais ce n’est pas une raison pour ne pas faire confiance. Ne deviens pas un sceptique. Fie-toi à ta vue et change de chemin devant le précipice.

Reprenant pied dans le présent, abandonnant les chemins de sa mémoire abusée et chargée de souvenirs d’émotions réciproques qui n’avaient pas existé, aussi vite qu’il s’était exalté pour Amélie, aussi vite il quitta son exil sentimental. Et pour montrer à Guido qu’il lui faisait confiance sur son interprétation des intentions d’Amélie, il s’esclaffa

– Ah la garce !

Et comme si tout était normal ajouta :

– Mes chers amis nous avons encore du travail, le mystère de Lyon nous attend, nous avons une semaine, alors préparons un pensum sur l’alchimie.

La suite la semaine prochaine

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Solange Sudarskis
Solange Sudarskis
Maître de conférences honoraire, chevalier des Palmes académiques. Initiée au Droit Humain en 1977. Auteur de plusieurs livres maçonniques dont le "Dictionnaire vagabond de la pensée maçonnique", prix littéraire de l'Institut Maçonnique de France 2017, catégorie « Essais et Symbolisme ».

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