dim 27 avril 2025 - 19:04

L’énigme des Maîtres -16- Sous la surface

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Lyon

Idéalement placé au début du quartier historique du Vieux-Lyon classé au patrimoine mondial de l’UNESCO, à quelques pas de la gare Saint-Paul, l’Hôtel de l’Académie devint leur quartier général. Ils avaient été séduits par les informations que Parker leur avait données pour qu’ils choisissent le lieu de leur séjour : « Occupant un bâtiment datant de 1406, cet hôtel de luxe propose 12 chambres et suites à la décoration soignée, inspirée de l’univers des académiciens français qui ont façonné la connaissance du monde ».

Dans le salon qu’ils avaient choisi pour s’y retrouver après leurs divagations dans la ville, d’où ils ramèneraient expériences et documentations pour en faire la synthèse, placée sur un guéridon parmi des revues sur la ville de Lyon, la thèse de Ferdinand Buisson, Sébastien Castellion, sa vie et son œuvre, était offerte à la lecture des visiteurs ; un marque-page entre les pages 54 et 55.

Alexander ne manqua de l’ouvrir et en comprit la raison. C’était une évocation des Académies de Lyon qui avaient sans doute inspiré le nom de leur hôtel. Il lut à haute voix pour en partager le contenu avec ses amis.

– « On a fait justice depuis quelques années de la légende de l’académie de Fourvière ; mais cette légende, comme d’autres, était plus vraie que l’histoire : elle renaît à travers toutes les pages de Dolet, de Voulté, de Bourbon : s’il n’y avait pas là une « académie » au sens du XVIIe siècle, il y en avait dix au sens du XVIe, bien vivantes et bien libres, pleines de jeunesse, de fraîcheur, d’enthousiasme. Ce beau sodalitium amicorum lugdunensium que Voulté célèbre avec tant d’abandon, auquel Nicolas Bourbon, quoique plus froid, fait aussi de fréquentes allusions, c’est une suite de petites réunions où se rencontrent tous les amis de toutes les choses de l’intelligence, lettrés, savants, érudits, poètes, où l’élite de la jeunesse studieuse se groupe autour des hommes qu’elle considère déjà comme ses maîtres et comme l’honneur du pays. » Quelle synchronicité n’est-ce pas ?

– Sacré Parker ! Il a eu de l’esprit en nous proposant cet hôtel dit Guido en riant avec un regard complice à Caris.

Première visite à la bibliothèque municipale de Lyon.

Le matin du lendemain de leur arrivée à Lyon, Alexander et Archibald se rendirent en premier lieu à la Bibliothèque Municipale d’où ils rapportèrent les conclusions le soir  de leur visite.

Alexander commença

– La tradition du secret et de l’occulte est ancienne à Lyon. Ésotérisme et franc-maçonnerie s’y sont largement développés ; la Bibliothèque en conserve de multiples traces, plusieurs milliers, dans son fonds « imprimé et manuscrit ».

C’est sur le thème plus particulier de l’alchimie à travers les livres anciens que nous avons concentré nos recherches.

Remarquons qu’au cours de la Renaissance italienne, il y avait des artistes qui, en plus de leur engagement dans la peinture, étaient également impliqués dans des recherches alchimiques et ésotériques. Voici quelques exemples de peintres et d’alchimistes qui partageaient parfois les mêmes espaces créatifs ou qui étaient influencés par des idées similaires :

L’un des esprits les plus polymathes de la Renaissance, Leonardo da Vinci était non seulement un artiste de renom, mais aussi un inventeur, scientifique et philosophe. Ses carnets révèlent des esquisses alchimiques et des explorations dans le domaine des sciences occultes.

L’art de Botticelli, connu pour des œuvres telles que “La Naissance de Vénus” et “La Primavera”, porte souvent des éléments symboliques et mythologiques qui peuvent être liés à des concepts alchimiques et ésotériques.

Michel-Ange, célèbre pour ses sculptures comme le David et ses fresques comme la chapelle Sixtine, était également influencé par la pensée néo-platonicienne qui avait des liens avec des idées ésotériques de son époque.

Les artistes vénitiens Giovanni Bellini  et Giorgione  ont été associés à la Renaissance magique, un courant qui combinait l’art avec la mystique et l’alchimie.

Ces artistes, bien que principalement connus pour leur contribution au monde de l’art, ont souvent été inspirés par des idées ésotériques, alchimiques et philosophiques de leur époque, établissant ainsi des liens entre la création artistique et la recherche mystique.

Archibald voulut préciser en levant un doigt comme un enfant à l’école

– L’alchimie, dont l’origine pourrait remonter à l’égyptien ancien « Kemet » (Terre Noire), est un art qui allie mystique, science et spiritualité. Ses racines se retrouvent dans plusieurs langues, comme l’hébreu et l’arabe, et elle est souvent associée à la quête de transformation, tant matérielle que spirituelle. Les Égyptiens ont pratiqué l’alchimie pour comprendre la nature et l’univers, notamment dans le contexte de la momification.

Au fil des siècles, l’alchimie a été considérée comme un moyen de transmutation des métaux, avec l’or comme objectif ultime, et a évolué pour devenir une discipline philosophique liée à l’évolution et à la perfection de l’être. Ses pratiques impliquent la séparation de l’impur du pur, utilisant des éléments comme le soufre (principe actif) et le mercure (principe passif).

L’alchimie se distingue par son langage codé et ésotérique, réservé à ceux qui possèdent les compétences nécessaires pour le déchiffrer. Ses méthodes, à la fois humides et sèches, visent à unir les opposés pour atteindre une purification et une compréhension plus profondes de la matière et de l’esprit.

Ainsi, l’alchimie se présente non seulement comme une science de la transformation matérielle, mais aussi comme un chemin de réalisation personnelle et spirituelle.

Alexander reprit la narration de leur visite.

– Devoir consulter des milliers d’ouvrages anciens nous parut prendre trop de temps. La plupart ont un titre en latin. Lesquels sélectionner nous laissa perplexe un long moment. Finalement on approcha par commodité ceux écrits en français.

– Évidemment, nous n’y cherchions pas des procédés de fabrication de l’or, mais ce qui aurait pu faire un lien avec la carte trouvée à Istanbul, précisa Archibald. D’ailleurs, les alchimistes lyonnais du XVIème siècle sont presque tous médecins[1].

– Comme saint François d’Assise demandant la lumière en ouvrant la Bible, non je plaisante mais tout de même, je pris le livre d’alchimie qui m’était le plus connu de renom, Les Douze Clefs de Philosophie de Basile Valentin au rayon des livres rares. Autre intérêt, il date de 1624. Comme seul le hasard sait offrir de l’inattendu, en l’ouvrant, je tombais page 157 sur ce texte : « L’ordre de la nature est souvent changé en moi, en couleur, nombre, poids et mesure, contenant la lumière naturelle, obscur et clair, sortant du ciel et de la terre, connu et n’étant rien du tout, c’est-à-dire dire de stable. Toutes les couleurs et tous les métaux reluisent en moi par les rayons du soleil, le rubis solaire, terre très noble, clarifiée, par laquelle tu pourras transmuter en or le cuivre, le fer, l’étain et le plomb. [2] » Nous primes cela comme un signe validant le choix de l’ouvrage, non par naïveté crédule mais en pensant, comme Friedrich Engels, que « la causalité ne peut être comprise qu’en liaison avec la catégorie du hasard objectif, forme de manifestation de la nécessité ».

– Et le voilà !

Comme le roi mage Gaspard apportant de la myrrhe, Alexander présenta un fac-similé de l’ouvrage traduit en français. Il le sortit précautionneusement d’un carton où il avait été déposé pour le transporter.

– Nous devons à Archibald, et à son incroyable tissu amical international, l’autorisation du conservateur de le sortir de la Bibliothèque. Nous mettrons des gants pour le lire. Je suis sûr que nous y trouverons des indices et si nous faisons confiance à la nécessité du hasard, les premiers mots que nous comprendrons seront aussi des messages indicateurs.

Après avoir donné à chacun des gants en vinyle achetés à la pharmacie du quartier, Alexander commença.

– Vers la fin de l’avant-propos du traité Les douze clefs de philosophie traictant de la vraye médecine métalique, Basile Valentin a écrit et je vous lis : «Fais que ce qui est dessus soit dessous, que le visible soit invisible, le corporel incorporel, et fait derechef que ce qui est dessous soit dessus, l’invisible rendu visible, et l’incorporel corporel, et de cela dépend entièrement toute la perfection de l’art, où néanmoins habitent la mort et la vie, la génération et la corruption».

Cela ne rejoint-il pas nos conversations à Eaton ? Nous devrions alors chercher dans un cimetière ? Proposa en conclusion Alexander.

– Sans doute mais lequel ?

Tous étaient perplexes, tandis que délicatement Caris continuait de feuilleter l’ouvrage après avoir revêtu les gants.

– Regardez, là, il y a une annotation bizarre. À côté de la phrase du dernier paragraphe « c’est assez dit à celui à qui Dieu ouvre les yeux, on pourrait bien ici comprendre l’or ».

Une suite de nombres était manuscrite dans la marge :

Pendant qu’Archibald et Alexander échafaudaient des hypothèses sur l’auteur de cette glose, persuadés que c’était manifestement un lien pour leur jeu de piste, Guido fut le plus excité à l’idée de la déchiffrer.

– Des nombres ? 

Inventoriant ce qu’ils peuvent remplacer pour faire sens d’un lieu à trouver, il dressa une liste, supprimant au fur et à mesure les solutions impossibles : pas des numéros de page, pas des coordonnées géographiques de latitude et de longitude, pas des lettres dans un alphabet. Des initiales de mots écrivant une phrase, peut-être ? Où existe-t-il alors une correspondance entre nombres et initiales ?

Se poser la question, c’était y répondre. L’important c’est la question comme pourrait l’illustrer cette plaisante histoire narrée par Isaac Bashevis Singer : un hassid sort de chez lui en courant dans la rue du shtetl[3], très agité il crie : vite une question, j’ai la réponse !

Guido fit une rapide recherche sur son téléphone, vous l’avez deviné, du tableau où sont représentés tous les éléments chimiques ordonnés par nombre atomique croissant : le tableau de Mendeleïev. Il trouva Carbone, Hydrogène, Astate, Oxygène, Lanthane, Molybdène, Thorium et notant leur symbole il obtint :

– L’un d’entre vous aurait-il entendu parler du château Lamoth ? demanda-t-il à la cantonade, pas peu fier d’avoir trouvé une potentielle solution.

– Un instant. Je vais regarder sur le guéridon parmi les revues, j’ai aperçu quelque chose comme cela dit Caris en se levant pour rejoindre le petit meuble.

Effectivement une revue touristique faisait état dans un article à propos d’un Château Lamothe qu’elle lut à ses amis :

Parmi toutes les routes se nouant autour de Lyon, deux ont une importance commerciale toute particulière : celle de la vallée du Rhône qui met Lyon en rapport avec Marseille et la Méditerranée (avec le Languedoc et l’Espagne); celle de l’Italie par Chambéry et le Mont Cenis. Au Moyen Âge, un château baptisé La Motte est érigé pour conforter la position stratégique du lieu. Aujourd’hui, le château de la Motte représente un ensemble civil très cohérent, représentatif des grandes demeures du début du XVIe siècle des environs de Lyon, à l’époque aux mains d’une famille d’aristocrates collectionneurs d’antiques.

Situé sur une motte qui domine la plaine du Rhône, le château se compose de trois corps de logis irréguliers autour d’une cour intérieure quadrangulaire. Six tours rondes et une carrée complètent la fortification.

L’entrée au sud est constituée par une arcade brisée surmontée par une bretèche à laquelle on accède par une galerie en bois.

La cour est dominée par la tour du grand escalier en vis, encore pourvue de ses fenêtres anciennes, de son dôme à tuiles en écaille et d’une porte d’entrée moulurée ornée d’un médaillon à l’antique de belle qualité représentant l’empereur Commode.

Alexander l’interrompit gentiment

– Pardonne-moi de te couper dans ta lecture. Je me souviens avoir aperçu dans le musée à Istanbul un buste de Marc-Aurèle, le père de Commode. Encore une synchronicité qui pourrait nous laissé penser que nous sommes sur la bonne piste. Je te prie de m’excuser, continue s’il te plaît.

– Écoutez cela : en 2019, des fouilles archéologiques ont permis de mettre au jour, enfoui à plus d’un mètre sous terre du Château Lamothe, un mausolée datant de l’époque romaine…Compléta Caris

Un silence entendu suivi ces dernières paroles. Cela pouvait bien être le cimetière à rechercher.

– Voilà bien un but d’expédition pour demain. Nous irons au Château Lamothe conclut Archibald. Et maintenant Guido si tu nous racontais votre journée.

La suite la semaine prochaine


[1] Allusion à – Symphorien Champier(1472-1539) : médecin et astrologue, il est l’auteur de plusieurs traités d’alchimie, dont De la vraye et parfaicte science des secrets des philosophes.

– Oronce Fine (1494-1555) : mathématicien et cartographe, il s’est également intéressé à l’alchimie et a publié un traité sur la distillation.

– Jean de La Bruyère (1530-1588) : médecin et alchimiste, il est l’auteur de plusieurs traités sur la transmutation des métaux.

– Denis Zacaire (1510-1556) : médecin et alchimiste, il est l’auteur d’un traité sur la pierre philosophale.

– Antoine Duchesne (1584-1648) : médecin et alchimiste, il est l’auteur d’un traité sur l’élixir de vie.

Sans oublier Bernard Trévisan, cet alchimiste italien du XVe siècle connu pour ses travaux sur la pierre philosophale et l’élixir de vie. Il est décédé à Lyon en 1507 et a été inhumé dans l’église Saint-Nizier. Il est possible que ses restes se trouvent dans le cimetière de Loyasse à Lyon.

[2] Basile Valentin, Les douze clefs de philosophie de frère Basile Valentin,… traictant de la vraye médecine métalique . Plus L’azoth ou le moyen de faire l’or caché des philosophes : <gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k656300/f157>.

[3] Ce terme était principalement utilisé avant la Seconde Guerre mondiale, faisant référence aux villes ou quartiers regroupant une population majoritairement juive dans l’Europe de l’est.

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Solange Sudarskis
Solange Sudarskis
Maître de conférences honoraire, chevalier des Palmes académiques. Initiée au Droit Humain en 1977. Auteur de plusieurs livres maçonniques dont le "Dictionnaire vagabond de la pensée maçonnique", prix littéraire de l'Institut Maçonnique de France 2017, catégorie « Essais et Symbolisme ».

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