La Raison nous offre un beau dossier s’intitulant « Franc-maçonnerie et Libre Pensée ». Il s’ouvre sur la réflexion de Christophe Bitaud qui, par son parcours personnel, se fait l’incarnation du lien entre ces deux courants philosophiques et idéologiques. L’auteur, franc-maçon depuis 33 ans et membre de la Fédération Nationale de la Libre Pensée depuis 25 ans, propose de mettre en perspective ce qu’il qualifie de “deux engagements complémentaires”. Cette introduction met en lumière une complémentarité évidente pour l’auteur, mais aussi les nuances nécessaires pour éviter les confusions.
Dès le début, la citation d’Antoine de Saint-Exupéry (“Si tu diffères de moi, mon frère, loin de me léser, tu m’enrichis”) établit une base de respect mutuel et d’enrichissement réciproque à travers les divergences. C’est une invitation à examiner ce qui semble séparer ces deux courants tout en reconnaissant ce qu’ils partagent.
La franc-maçonnerie : une société discrète mais agissante
L’auteur nous rappelle que la franc-maçonnerie est avant tout une association discrète, tournée vers l’accomplissement d’un travail moral sur ses membres, qui peuvent ensuite appliquer cette réflexion dans leurs vies respectives. On retrouve ici l’idée d’un développement personnel guidé par un cadre philosophique spécifique, celui du symbolisme maçonnique et de ses rites, comme l’illustrent les références à des penseurs illustres tels que Robert Boyle ou encore la Royal Society.
La Libre Pensée, quant à elle, se présente comme une association ouverte, politique par son essence même, et majoritairement athée de nos jours. Ce qui distingue les deux, c’est le cadre institutionnel : la Libre Pensée est plus offensive dans son rejet de la religion et de tout cléricalisme, là où la Franc-maçonnerie opère de manière plus philosophique et ésotérique, souvent en silence.
Un patrimoine commun enraciné dans la Renaissance et les Lumières
L’analyse du lien historique entre la Libre Pensée et la franc-maçonnerie se poursuit avec une exploration des origines de ces mouvements, tous deux issus d’un creuset philosophique commun : la Renaissance et l’esprit des Lumières. On y retrouve une filiation directe avec les sociétés savantes de l’époque, comme la Royal Society, ou encore les figures maçonniques influentes telles que John Evelyn ou Isaac Newton.
Ces références soulignent que la quête de vérité, de progrès scientifique, et d’émancipation intellectuelle étaient au cœur des préoccupations de ces deux courants, dès leurs origines. L’auteur ne manque pas de rappeler l’influence persistante de la devise de la Royal Society, Nullius in verba (ne croire personne sur parole), qui résonne fortement avec la volonté de s’affranchir des dogmes religieux et des autorités infondées. Ce principe fondateur reste un pilier pour les deux courants, même si leurs pratiques divergent parfois.
Convergences dans la lutte pour la laïcité
Le dossier met également l’accent sur la lutte commune pour la laïcité, un thème récurrent qui a rapproché les francs-maçons et les libres penseurs, en particulier au moment de la loi de séparation des Églises et de l’État en 1905. Cette période est marquée par une intense collaboration entre les membres de la Libre Pensée et les députés francs-maçons, comme le souligne l’implication des figures telles que Aristide Briand.
L’auteur évoque avec force le Congrès de Rome de 1904, qui fut un tournant majeur dans cette lutte pour l’émancipation humaine, avec des prises de position résolument anticléricales et un appel énergique à la laïcisation de la société. Cet événement est un symbole fort de la convergence des idées, et d’une victoire pour les deux courants, malgré leurs divergences sur d’autres aspects.
Défense de l’indépendance et vigilance face à l’ingérence religieuse
Toutefois, malgré cette lutte commune, les francs-maçons et les libres penseurs ont dû parfois défendre leur indépendance respective. La Libre Pensée s’est toujours opposée à toute forme de cléricalisme, et ce dossier rappelle l’animosité qui a longtemps existé entre l’Église et ces mouvements. Les condamnations pontificales, comme celle de 1983, qui stipule que l’appartenance à la franc-maçonnerie est un péché grave, soulignent la tension historique entre ces groupes et l’Église catholique, apostolique et romaine.
La publication du dossier sur l’emprise judéo-maçonnique sur l’Éducation nationale dans les années 1940, illustrée ici, montre combien les discours réactionnaires et antisémites ont alimenté cette méfiance envers les francs-maçons. En ce sens, l’auteur dénonce les fausses accusations et les campagnes de désinformation qui ont souvent visé ces associations, accusées à tort de complots ou d’alliances occultes. Ce rejet des tentatives d’ingérence et de manipulation idéologique est un point commun fondamental aux deux courants, qui s’efforcent de préserver la liberté de pensée et d’action.
Vers un avenir de collaboration vigilante
Dans sa conclusion, l’auteur insiste sur la nécessité de maintenir une vigilance active contre toute forme de retour à un ordre clérical et réactionnaire. La Libre Pensée et la Franc-maçonnerie, avec leurs nuances respectives, sont appelées à continuer leur lutte commune pour défendre les principes de laïcité, d’émancipation sociale, et de justice. L’article 2 de la loi de 1905, qui stipule que l’État ne salarie ni ne subventionne aucun culte, est aujourd’hui plus que jamais bafoué selon l’auteur, et nécessite une réaffirmation vigoureuse.
Ce dossier se veut donc non seulement une réflexion historique sur les liens entre ces deux associations, mais aussi un appel à l’action pour l’avenir. Si la collaboration passée entre les francs-maçons et les libres penseurs a permis d’importantes victoires, il est essentiel de ne pas baisser la garde face aux nouvelles menaces qui pèsent sur les libertés publiques et la laïcité.
Note analyse
Ce dossier, riche en détails historiques et philosophiques, présente une vision équilibrée des relations entre la franc-maçonnerie et la Libre Pensée, tout en soulignant leurs différences fondamentales. La principale leçon à en tirer est que, bien que leurs approches diffèrent – la franc-maçonnerie privilégiant un cheminement intérieur et symbolique, la Libre Pensée s’inscrivant dans un cadre militant et politique – ces deux courants partagent une même quête de liberté de conscience et de vérité, affranchie des dogmes religieux et des autorités oppressives.
L’auteur, Christophe Bitaud, maîtrise habilement la nuance en rappelant que ces deux mouvements, bien qu’issus du même terreau philosophique, ont su s’enrichir mutuellement à travers leurs divergences. Ce dossier n’est pas seulement une analyse théorique, mais un manifeste pour la défense continue de la laïcité et de l’émancipation humaine, un appel à la vigilance dans une époque où ces acquis sont plus que jamais menacés.
Le ton engagé et érudit de ce texte en fait une lecture captivante pour quiconque s’intéresse à la philosophie politique, à l’histoire des idées et aux luttes pour la liberté de conscience. L’auteur nous rappelle que l’émancipation humaine est une quête continue, nourrie par le dialogue, la critique constructive, et une collaboration vigilante entre ceux qui, comme les francs-maçons et les libres penseurs, cherchent à libérer l’esprit humain des entraves dogmatiques.
La Libre Pensée, en savoir plus
Sa librairie, 10 rue des Fossés Saint-Jacques – 75005 Paris
La Raison-Mensuel de la Libre Pensée – N° 694 – Septembre 2024, Fructidor CCXXXII – FNLP, 2024, 36 pages, 3,50 €
Toute notre reconnaissance à Yonnel pour finalement permettre un échange qui se veux fructueux et ENRICHISSANT POUR TOUS . Mais dans un débat il faut savoir QUI EST QUOI . De ce point de vue, puisque c’est la LIBRE PENSEE qui se présente, il faut évidemment en savoir d’avantage ;voici ce qu’on peut lire d’elle , Je cite : [ Plusieurs associations se réclament de la libre-pensée, parmi lesquelles la Fédération nationale de la libre pensée, FNLP la plus ancienne association de France, et l’Association des libres-penseurs de France, ALPF à dominante humaniste et agnostique : celle-ci a été constituée en 1995 en raison de différends idéologiques avec la nouvelle (depuis 1992) majorité matérialiste et athée de la Fédération nationale, différends portant notamment sur l’existence d’un “entrisme” “trotsko-lambertiste” à la Libre-Pensée; Aujourd’hui, les deux associations s’opposent…etc) fin de citation. Il est bien évident que le dialogue ne peut être le même selon l’une ou l’autre de ces deux associations. Merci Yonnel si tu peux apporter des précisions supplémentaires.