(Les « éditos » de Christian Roblin paraissent le 1er et le 15 de chaque mois.)
Les Jeux Olympiques[1] qui s’étaient féériquement ouverts et qui viennent de s’achever en apothéose se sont déroulés dans une liesse qui ne s’est jamais démentie. Aussi bien, à la suite de mon précédent édito, j’aimerais cette fois-ci réfléchir avec vous sur l’engouement populaire qu’ils ont suscité.
S’agit-il d’une conversion nationale, aussi radicale que soudaine, aux disciplines de fer auxquelles se sont astreints, des années durant, non seulement la bonne dizaine de milliers d’athlètes participants mais tous ceux qui, dans chaque pays, ont concouru aux épreuves de sélection de leur équipe ? Je crains que l’exemplarité de ces multiples parcours ne répande qu’une lueur superficielle et éphémère, chez nos concitoyens…
S’abandonne-t-on, alors, à la seule célébration des champions qui ont su imposer leur suprématie et triompher ainsi de la glorieuse incertitude du sport ? Tout aimanté de forces et de fragilités physiques et mentales, l’ardent magnétisme des victoires semble, en effet, bousculer nos divisions et abréger nos regrets envers les malchanceux…
Cherche-t-on, enfin, à exalter l’exigence de loyauté régnant aussi bien entre les compétiteurs que parmi les juges, même si les sports de notation ne conduisent pas toujours à l’évidence des classements ? C’est le rappel, en définitive, que tout reste humain et au moins marginalement imparfait. Cela dit, dans leur conception religieuse de l’égalité des règles, les Français sont sans doute fort loin, en tout domaine transposable, d’accepter sans discussion l’inégalité des résultats…
Au fond, nous ne cessons d’éprouver des sentiments partagés et ce, dans un double sens : certes, en ce qu’ils sont communs au plus grand nombre – et, quand ils sont positifs, nous ne pouvons que nous en réjouir – mais, tout aussi bien, en ce que nous sommes souvent en proie à des tendances contradictoires – et nous n’aurions guère à perdre à les réduire un peu…
Pour revenir à ces 33es Olympiades de l’ère moderne[2], ce à quoi nous sommes, d’abord, sensibles, me semble-t-il, c’est à un message de paix universelle sublimant la concurrence des nations et, plus encore, sur notre Terre épouvantablement déchirée, c’est d’un cœur unanime que nous nous sommes laissés embraser par ce fervent hymne à la jeunesse, la vitalité et la beauté des corps resplendissant, tout du long, d’une santé ô combien plus éclatante que la Justice, en ce bas monde. Et nous avons fait mine de croire que, grâce aux promesses d’avenir radieux que semblaient prodiguer sans discontinuer ces êtres frais et forts, nous pourrions, pourquoi pas, nous élever un jour jusqu’aux cieux, en en acceptant d’autant plus facilement l’augure que nous nous rapprochions du 15 août[3] !
Ainsi va notre imaginaire : à l’impôt du sang que la guerre fait aveuglément verser sur les champs de bataille se substitue, dans les stades, l’impôt de la sueur qui fait aussi couler beaucoup de larmes, heureuses pour les médaillés et, tout de même, moins tragiques pour les autres. Pour autant, sauf au cours de modestes trêves qu’ont parfois observées des États en conflit armé, les Jeux olympiques n’ont jamais démontré les vertus exorcisantes qu’on voudrait opiniâtrement leur prêter. En réalité, ils n’enrayent rien dans la durée. On peut donc s’interroger : les peuples, au-delà des rêves évanescents qu’ils partagent rituellement tous les quatre ans, préfèrent-ils vraiment voir des jeunes gens s’affronter pacifiquement dans des joutes sportives, plutôt que de les sacrifier en bien plus grand nombre, au nom d’intérêts dits supérieurs, en cela surtout qu’ils sont supérieurement mortifères ? À l’inverse des règles du sport qui sont toujours claires et détaillées, les lois du massacre comptent plus efficacement sur des ressorts abscons et persistants…
Alors, la franc-maçonnerie dans tout cela ? Eh bien, elle partage, en certains points, l’idéal olympique, notamment en ce que, tout comme lui, elle magnifie l’effort, la probité et le dépassement de soi, mais elle s’en distingue substantiellement par d’autres revendications, parce que, d’une part, elle promeut la coopération à l’encontre de la rivalité et que, d’autre part, elle ne vise pas à comparer les mérites de ses membres, se contentant d’inciter chacun à lutter contre soi-même, avec l’ambition de vaincre ses passions et de pratiquer la vertu[4].
Plus délicatement encore, elle a aussi pour vocation de nous réconcilier avec nous-mêmes, tant au plan individuel qu’entre les uns et les autres. Même si elle contribue à réduire les heurts et les fracas de nos contradictions, elle ne confond pas la sagesse avec leur abolition : tout d’abord, elle nous enjoint de nous efforcer de les comprendre, d’en saisir les causes et les mécanismes ; ensuite, en recherchant un peu plus de cohérence, en mettant un peu plus d’harmonie dans chacune de nos personnes comme dans nos actions communes, nous nous donnons la chance de cohabiter chaque jour plus paisiblement avec nos ambivalences, c’est-à-dire d’accueillir, de façon pondérée, ces dispositions qui conjuguent des sentiments ou des comportements opposés.
La franc-maçonnerie nous exerce à dénouer les liens obscurs de l’amour et de la haine et à étendre, dans nos conduites, l’empire de la raison, au service de ce que les philosophes appellent le « souverain bien », c’est-à-dire ce qui contribue au bonheur de tous. Dans cette perspective, résorber nos ambiguïtés majeures consiste, en tout premier lieu, à sortir du régime voilé de nos interprétations, à emprunter les voies de la tolérance et du respect mutuel, en sachant qu’il nous appartient d’assumer en conscience et avec joie le flou léger et perpétuel de la vie, là où, à la fois, elle se partage et se régénère.
Ainsi, en ce si rare instant des Jeux Olympiques, nous n’avions rien à craindre à ne pas bouder notre plaisir, mais nous pouvions également en profiter pour nous rendre compte qu’il ne saurait y avoir de récompense durable sans une application constante, une volonté générale et une construction concertée, seuls principes à même de garantir un bien-être collectif un peu moins fugace.
[1] Les Jeux paralympiques se dérouleront du 28 août au 8 septembre 2024.
Par ailleurs, on trouvera, dans ce Journal, différents articles se rapportant à l’olympisme, notamment au regard de la franc-maçonnerie, en cliquant ici.
[2] Depuis leur première édition à Athènes, en 1896. 33es ? Tiens, tiens…
[3] Date de la première mise en ligne de cet édito. Une double considération sur le terme d’assomption, selon qu’on l’affecte ou non d’une majuscule :
L’Assomption, en tant qu’enlèvement corps et âme de la Vierge au ciel n’est curieusement un dogme de l’Église catholique romaine que depuis le 1er novembre 1950, jour de la Toussaint. En effet, c’est alors que le pape Pie XII proclame, dans la Constitution Apostolique Munificentissimus Deus, le dogme de l’Assomption : « Au terme de sa vie terrestre, l’Immaculée Mère de Dieu, Marie toujours Vierge, a été prise corps et âme dans la gloire céleste ». Il décide de le faire un 1er novembre et non un 15 août, pour situer Marie dans la communion de tous les saints.
Si l’on conserve des minuscules au mot entier, l’assomption apparaît philosophiquement comme un acte d’acceptation lucide de ce qui est, d’où découle le fait d’en assumer les conséquences. C’est en cela qu’il s’agit d’une élévation de l’âme ou de l’esprit qui transfigure la réalité à la mesure des valeurs qu’on y applique.
[4] Ce vocable désuet est remis à l’honneur par les Entretiens d’été du Collège maçonnique qui a pris pour thème général, cette année : « Quelle modernité pour les vertus ? ». Les conférences se tiennent en visio, chaque jeudi soir de 19h30 à 21h, à l’exception de ce 15 août. Le programme a commencé le 27 juin et se terminera le 5 septembre 2024. Pour en avoir un aperçu et s’inscrire, cliquer ici (replays disponibles pour les adhérents des Académies maçonniques, sur le site du Collège maçonnique).
Merci pour votre analyse. J’ai beaucoup apprécié sa culture et son approche philosophique. Peut-être un jour irai-je frapper à la porte du temple…J’hésite encore.
Merci de votre aimable message.
Pour ce qui est de votre possible engagement, vous devez vous renseigner sur “l’offre maçonnique” dans votre région afin de pouvoir choisir, le moment venu, ce qui vous va le mieux ; dans l’intervalle, assistez aux conférences publiques qui sont organisées ici ou là, nouez des contacts, évaluez votre intérêt à accomplir cette démarche, en gardant à l’esprit que, si la procédure est un peu lourde à l’origine, il vous sera à tout moment facile de vous désengager si cela ne vous convenait pas ou plus : une simple lettre de démission suffit. C’est tout le contraire d’une secte où l’on entre facilement mais dont on sort difficilement.
Ce message vaut pour vous comme pour celles et ceux qui, lectrices ou lecteurs “profanes”, ont réagi de manière comparable.
Bien cordialement,
Christian Roblin.