ven 22 novembre 2024 - 11:11

Des chiffres et des maux (2)

Nous sommes dirigés par des Shadoks. Vraiment. J’en veux pour preuve la déclaration d’une secrétaire d’État un matin à la radio, qui expliquait doctement que tout le monde allait devoir faire des efforts pour lutter contre la crisei. En très gros, il faudrait s’attendre à produire un « effort de guerre » (même si on n’emploie plus ce vocable, étrangement) et consentir à une baisse des revenus et un recul des droits pour les salariés. Certes, il est peut-être question de demander aux grands patrons et autres toucheurs de dividendes de se restreindre un peu. Bonne idée, demandons-leur, poliment. Ce qui reviendrait à dire à un tigre prêt à bondirii « couché kiki » ! D’ici là, tapons sur les salariés, car « pour qu’il y ait le moins de mécontents possibles, il faut taper sur les mêmes », principe Shadok bien connu. Sauf que, tout comme les Cauchemars d’Iznogoud, les Shadoks sont une satire, mais en aucun cas un manuel politique.

D’un autre côté, en lisant la presse, j’ai appris qu’un grand patron d’entreprise française (bénéficiant d’aides d’État) allait toucher un bonus d’environ 800 000 Euros au titre de l’exercice 2019. Autrement dit, une rémunération en plus de son salaire normal (que je ne connais pas, s’il en touche un).

Certes, en comparaison de bonus invraisemblables, la somme de 800 000 Euros est petite, ridiculement petite. Mais elle a quand même un sens. En fait, elle représente plus que ce que la plupart d’entre nous toucherons dans toute notre vie. Ainsi, ces 800 000 Euros représentent près de 33 années de salaire à 2 000 Euros mensuels. Soit plus que toute la carrière d’un enseignant, d’une infirmière, d’un éboueur ou d’une caissière… Plus que le salaire d’un travailleur de « première ligne ». D’où mon questionnement : qu’est-ce qui justifie un tel écart de salaire? Pourquoi un type qui siège dans un conseil d’administration reçoit-il en une année plus que ce que d’autres gagneront difficilement en une carrière ? A l’inverse, pourquoi des gens dont l’emploi est indispensable à la société ont-ils autant de mal à joindre les deux bouts ?

L’anthropologue David Graeber énonce cette « loi d’airain du capitalisme » : l’utilité de l’emploi est inversement proportionnelle à sa rémunération. Si on peut ratiociner sur les origines de cette situation d’inégalités, décidément insupportables, la question que nous devrons nous poser est : jusqu’à quel point supporterons-nous encore ces inégalités dans notre pays ? Et surtout, comment nous en sortir ?

Le symbolisme maçonnique nous amène à tous nous réunir sur le Niveau, au même âge, et ce, dépouillé des Métaux. Autrement dit, à faire abstraction des distinctions sociales. Par conséquent, le fait qu’un homme puisse, par sa seule présence, gagner en quelques mois plus que ce que d’autres gagnent en une vie nous est difficilement explicable, voire supportable (ou alors, je n’ai rien compris). Les ouvriers doivent toucher le salaire qui leur est dû, mais face à ce type d’inégalité, que dire, que faire ?

Par ailleurs, on peut voir la situation autrement. On demande aux salariés des sacrifices pour sauver la société ou l’entreprise. Soit. Leurs salaires vont potentiellement baisser et la charge de travail augmenter. Soit, même si c’est très injuste. Mais dans ce cas, cet effort consenti pour sauver la société ou l’entreprise n’implique-t-il pas de sacrifier sa vie ou sa famille à ladite société ou entreprise? Mais surtout, l’entreprise ou la société en fera-t-elle autant pour ses salariés ?
Quand les grands patrons reçoivent des bonus équivalents à 400 fois un salaire, on est en droit de se douter que non, et que les salariés se feront taper dessus, ou sacrifier, en bonne chair à canon. Logique Shadok, vous dis-je. Taper sur les mêmes pour limiter le mécontentement…
Créer de la valeur, c’est bien, mais partager équitablement cette valeur, c’est mieux. Car il ne faudrait pas oublier que ce sont les salariés, les ouvriers qui font vivre la boite, pas les gestionnaires.

C’est un peu pareil en Loge. Une loge qui n’aurait plus qu’un ou deux Maîtres sur les Colonnes et son Collège d’officiers serait condamnée à mourir ! Ce sont ses Ouvriers qui maintiennent le chantier et le font vivre. Un Ouvrier qui ne perçoit plus son salaire, c’est un Frère perdu et une Loge qui se délite irrémédiablement. Alors pour protéger la Loge, protégeons ses Ouvriers, en leur donnant envie de rester.

Et faisons pareil dans le monde profane : la valeur, la vraie vient du travail fourni par les salariés, les ouvriers, les travailleurs « de base », pas des bullshit jobs. Ceux qui perçoivent ces bonus indécents ne devraient pas l’oublier…

J’ai dit.

ihttps://www.franceinter.fr/emissions/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-03-juin-2020

iiClin d’oeil à un sketch de Franck Lepage

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Josselin
Josselin
Josselin Morand est ingénieur de formation et titulaire d’un diplôme de 3e cycle en sciences physiques, disciplines auxquelles il a contribué par des publications académiques. Il est également pratiquant avancé d’arts martiaux. Après une reprise d’études en 2016-2017, il obtient le diplôme d’éthique d’une université parisienne. Dans la vie profane, il occupe une place de fonctionnaire dans une collectivité territoriale. Très impliqué dans les initiatives à vocations culturelle et sociale, il a participé à différentes actions (think tank, universités populaires) et contribué à différents médias maçonniques (Critica Masonica, Franc-maçonnerie Magazine). Enfin, il est l’auteur de deux essais : L’éthique en Franc-maçonnerie (Numérilivre-Editions des Bords de Seine) et Ethique et Athéisme - Construction d'une morale sans dieux (Editions Numérilivre).

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