La Grande Loge féminine de France (GLFF) présente une initiative remarquable à travers sa collection « Voix d’initiées ».
Cette série d’ouvrages est une fenêtre ouverte sur la profondeur et la diversité des réflexions menés en son sein. L’objectif de cette collection est double : faire connaître au grand public les travaux et les pensées des membres de la GLFF, tout en créant un espace d’échange et de partage autour des valeurs et des questions qui animent la franc-maçonnerie. Cet article propose une exploration de la collection, Mettant en lumière son importance dans la diffusion des idées et la promotion du bien commun, la collection « Voix d’initiées » est une contribution significative à la culture et à la réflexion contemporaines. En rassemblant des voix diverses autour de sujets variés, elle témoigne de la richesse de la pensée maçonnique et de son application dans la quête du bien commun. Les ouvrages proposés – au nombre de 24 à ce jour – offrent non seulement une source d’inspiration pour les lecteurs mais ouvrent également des horizons de réflexion nouveaux, invitant chacune à une participation active dans les débats et les enjeux de notre temps.
Afin d’en savoir plus sur cette initiative éditoriale unique, Corinne Drescher-Lenoir, actuelle directrice de « Voix d’initiées » de la Grande Loge Féminine de France, a accordé à 450.fm une interview exclusive pour en savoir plus sur cette initiative éditoriale unique.
450.fm : Quelle est l’histoire derrière la création de la collection “Voix d’initiées” et quels ont été les principaux moteurs et inspirations pour sa mise en place ?
Corinne Drescher-Lenoir : C’est à Denise Oberlin que l’on doit l’idée de construire une ligne éditoriale propre à la GLFF pendant sa présidence. Elle disait alors, il y a des trésors dans les tiroirs des franc-maçonnes de l’obédience qu’il faut faire connaître au grand public. Il se trouve qu’en 2011, à l’occasion des 140 ans de la commune, la GLFF a inauguré une journée d’hommage à Louise Michel le jour du 1er mai, qui depuis se renouvelle chaque année. C’est ainsi qu’est née l’envie de lui consacrer un ouvrage auquel ont contribué entre autres, notre loge Louise Michel, Yvette Roudy qui est un de ses membres et Nicole Foussat qui a apporté ses compétences historiques. C’est le moment où je suis montée au Conseil fédéral en même temps que Marie Dominique Massoni et elle a offert immédiatement son expérience de l’écriture et sa connaissance de l’édition pour construire ce qui est devenu le numéro un de notre collection. Le titre choisi, Louise Michel, une femme debout , était finalement une belle base pour l’avenir.
450.fm : Pouvez-vous nous expliquer les objectifs principaux que vous vous êtes fixés avec la publication de cette collection et comment contribue-t-elle à la mission de la Grande Loge Féminine de France ?
C. D.-L. : C’est à Marie-Dominique Massoni, qui en fût la première directrice de publication, que l’on doit l’esprit de notre collection. Il avait été un moment envisagé d’y publier nos questions à l’étude des loges, mais elle s’y est opposée en préférant une façon plus vivante de construire les livres en concrétisant un adage cher aux franc-maçonnes et franc-maçons, Rassembler ce qui est épars.
Si chaque livre est porteur d’une pensée collective, il ne s’agit toutefois pas d’une compilation de textes autour d’une thématique donnée comme le fait une revue ni d’une simple synthèse qui serait totalement réductrice. Le travail d’écriture de chaque ouvrage participe d’une mise en commun de la pensée tout en portant la subjectivité et forcément la personnalité de la ou des autrices en charge de sa conception. Elles apportent leur propre réflexion dans la rédaction tout en se faisant les porte-voix des contributions diverses qu’elles reçoivent et qui seront reprises totalement ou partiellement pour enrichir les chapitres. Les autrices vont donc tenir compte des idées forces qui leur remontent, elles vont s’appuyer sur le pluralisme des points de vue des contributions des loges, les apports individuels, mais aussi les documents d’archives de l’obédience pour nourrir le propos.
Si les ouvrages contiennent des réflexions philosophiques ou historiques, ils sont aussi parsemés de textes personnels voire poétiques, qui en apportant de la chair ou de l’émotion, vont faire vibrer l’imaginaire ou toucher une corde souvent plus parlante que de longues dissertations intellectuelles. Les livres font également appel à la créativité des participantes qui peuvent aussi fournir, dessins, tableaux, photos, qui constituent la grande majorité des illustrations. Ceci donne à nos livres une couleur particulière en abordant les problèmes sociaux ou l’histoire humaine avec un regard et une parole de franc-maçonne, finalement tel que nous pouvons le vivre en loge, cela éclaire parfaitement le nom « Voix d’initiées » que nous avons choisi pour la collection.
450.fm : Comment les thèmes et les auteures sont choisis (collectif, etc.)pour ouvrage ? Existe-t-il un processus particulier ?
C. D.-L. : C’est un processus qui a bien sûr évolué en même temps que la collection qui en est à son 24ème ouvrage à paraître en juin 2024. Les trois premiers thèmes ont été choisis par le Conseil Fédéral, puisqu’il fallait bien démarrer. C’est ainsi que Françoise Carer, élue la même année que nous au conseil fédéral, a pris en charge le livre sur les violences faites aux femmes, grâce à sa formation de professeure de français mais surtout grâce à son engagement pour les droits des femmes au sein de l’obédience et dans des associations extérieures et c’est ainsi aussi que je me suis personnellement proposée, en tant que gynécologue obstétricienne pour la conception de celui sur la santé des femmes. Périlleuse aventure où il a fallu réveiller un goût ancien pour l’écriture et une mobilisation de plusieurs mois de travail.
Dès les opus suivants nous avons pu faire appel aux contributions des loges et ensuite faire voter en assemblée générale les thèmes que les loges souhaitaient voir traités afin que ce soit vraiment la voix de la GLFF. Cela nous a permis aussi au fur et à mesure des rencontres de repérer les sœurs qui avaient une plume ou l’habitude de l’écriture en raison de leur profession et surtout qui acceptaient de ne pas chercher à se faire un nom mais de se mettre au service de l’obédience pour écrire dans l’esprit de la collection. C’est ainsi que se développe encore notre pôle d’autrices et aussi de correctrices. Je mets à part les livres qui sont totalement pris en charge par les commissions même si notre rôle est de les guider également pour s’adapter au format de la collection.
450.fm : De quelle façon la collection « Voix d’initiées » contribue-t-elle à l’enrichir le champ de réflexion et la pratique de la franc-maçonnerie, tant au sein de la GLFF qu’à l’extérieur ?
C. D.-L. : C’est l’esprit propre à cette collection qui permet d’enrichir la réflexion en interne, puisqu’il est fait un appel à la contribution de toutes. Certaines sœurs nous envoient régulièrement des textes ou certaines loges sont devenues des contributrices régulières en bâtissant des commissions de travail sur les thèmes qui les intéressent. Nous savons qu’elles offrent nos ouvrages aux profanes qui s’intéressent à notre démarche ou comme cadeau d’accueil pour les initiations ou passage de grade. Ce qui est une façon de sensibiliser à notre démarche. Nous organisons également des ventes de nos ouvrages lors de nos conférences publiques, pour les journées du patrimoine etc. C’est un peu notre vitrine et un témoignage de notre « formation à penser » si j’ose dire.
Je suis assez fière de constater que grâce à Cris, révoltes et dévoilements nous avons parlé des violences faites aux femmes bien avant #Me Too, ce livre ayant reçu le prix Essais de l’Institut Maçonnique de France (IMF) au Salon Maçonnique du Livre de Paris en 2012. De même grâce à Du destin biologique à la liberté, la santé des femmes nous avions un regard spécifique de femmes et de franc-maçonnes à transmettre bien sûr sur la santé lorsqu’elle nous concerne, que ce soit sur la maternité choisie ou refusée, la place des aidants, où les femmes sont majoritaires, dans la maladie ou la fin de vie par exemple. Je peux continuer avec les deux tomes de la commission Laïcité qui abordent les questions d’actualité sur la place et les vicissitudes de la laïcité dans notre société, avec l’environnement grâce à l’ouvrage L’eau, la vie, les femmes, où les loges africaines ont pu transmettre leur vécu de l’eau, car ce sont bien les femmes qui sont chargées de faire des kilomètres pour chercher au puits l’eau nécessaire à la vie.
Ce livre reflète aussi notre préoccupation face aux menaces qui pèsent sur l’humanité avec le stress hydrique qui se profile, la pollution des mers etc. Cela me permet de noter que notre commission des vœux avait organisé un colloque sur l’éthique de sobriété en 2014, bien avant que ce mot soit à la mode. Chacun de nos thèmes aborde une facette de ce qui concerne les franc-maçonnes, y compris sur le plan symbolique de la démarche initiatique bien sûr car il s’agit de rendre compte de la méthode propre à l’initiation maçonnique, un chemin vers soi et vers l’autre, un apprentissage de l’écoute, un éveil de la conscience, une progression personnelle appuyée sur le collectif.
Toutefois nous évitons d’employer un jargon maçonnique et de faire de nos livres des outils d’analyse des rituels qui, tout en dévoilant ce qui doit la plupart du temps rester à l’intérieur des loges, est de toute façon souvent incompréhensible pour qui n’est pas initié. Ce type de livres est déjà très bien fait par d’autres.
450.fm : Comment la collection est-elle reçue par le grand public et les lecteurs extérieurs à la franc-maçonnerie et quels sont les principaux défis que vous rencontrez dans la gestion et le développement de la collection ?
C. D.-L. : Lors de nos évènements publics, nous rencontrons bien sûr un certain intérêt pour nos livres. Je tiens personnellement chaque année la table de vente aux journées du patrimoine et c’est une occasion d’échanger avec les visiteuses et visiteurs qui s’intéressent à nous et en profitent pour poser de multiples questions.
Nos livres sont accessibles par internet sur le site de l’éditeur Conform qui reçoit des commandes mais comme tous les livres maçonniques cela reste un « marché de niche » comme on dit…La distribution et la mise en avant de nos livres, y compris dans les librairies spécialisées est un long chemin.
Notre défi majeur est d’obtenir une certaine reconnaissance y compris parmi nos frères et sœurs…, j’ai longtemps eu le sentiment que l’on regardait avec une certaine condescendance nos ouvrages, du fait de leur petit format choisi, comme des « opuscules de nanas ».
450.fm : Vous mentionnez l’utilisation de documents d’archives dans le travail d’écriture. Quelle est l’importance desdites archives dans la construction de vos ouvrages ?
C. D.-L. : Ce fut surtout vrai pour les premiers livres. Alors que nous n’avions pas encore de contributions, nous nous sommes appuyées sur les anciens travaux, colloques, questions à l’étude des loges. Je me souviens d’avoir ouvert de nombreux cartons d’archives pour mon premier livre sur la santé, il faut dire qu’à l’époque nos bureaux rue Vitruve possédaient une archiviste hors pair et tout était à portée de main. Hélas notre expansion et nos déménagements ont nécessité l’externalisation de toutes ces archives et c’est plus compliqué. Nous pouvons parfois utiliser les travaux publiés dans Le tracé , notre revue interne, qui est maintenant totalement numérisée depuis les premiers numéros. D’autre part les loges étant de plus en plus impliquées, elles nous envoient des réflexions d’actualité qui correspondent aussi à l’envie de prospective et de projets sur les thèmes choisis. Toutefois nous leur demandons aussi la transmission de travaux plus anciens, si ils existent sur le thème, c’est une façon de voir la progression ou la constance des idées.
450.fm : Comment voyez-vous l’évolution de la collection Voix d’initiées dans les années prochaines ? Y a-t-il des projets ou des directions nouvelles que vous envisagez d’explorer ?
C. D.-L. : Là je vais rester très modeste, Marie Dominique a souhaité me transmettre la responsabilité de la collection en 2018. Cette mission nous est attribuée par le conseil fédéral et nous nous chargeons surtout de la conception du contenu, même si nous pouvons avoir des rêves pour l’avenir de nos livres. C’est une collection obédientielle et c’est la GLFF qui publie et reçoit les droits d’auteur. Nous dépendons de ses décisions et projets ou de la façon dont elle propose sa politique de développement aux loges. L’obédience est un corps vivant et je ne me lancerai pas dans une projection à dix ans !
450.fm : La collection envisage-t-elle des collaborations avec des auteurs ou des chercheurs extérieurs à la franc-maçonnerie pour enrichir les perspectives offertes ?
C. D.-L. : Compte tenu de la philosophie de la collection « Voix d’initiées » c’est antinomique. Cela n’empêche pas que nous ne partons pas de rien et que nous nous appuyons sur les publications d’auteurs reconnus dans leurs différents domaines, il n’y a qu’à voir nos citations, notes de bas de pages ou bibliographies indicatives qui sont des bases sur lesquelles s’appuient également les réflexions des autrices.
450.fm : Quel est l’impact de la collection « Voix d’initiées » sur la recherche académique dans les domaines de la philosophie, de l’histoire et des études maçonniques ?
C. D.-L. : Ce n’est pas à moi de le dire, mais j’espère que lorsque l’on étudiera l’histoire et la spécificité de la franc-maçonnerie féminine on s’appuiera sur nos ouvrages qui sont le reflet de notre identité, même si je n’aime pas ce mot enfermant. Les membres de notre commission d’histoire par exemple ont beaucoup œuvré pour remettre les pendules à l’heure sur notre histoire grâce à nos archives internes de même que Françoise Moreillon par exemple est une des spécialistes reconnues de la franc-maçonnerie d’adoption. Qui peut mieux parler de nous que nous-mêmes ?
450.fm : Envisagez-vous de traduire les ouvrages de la collection en d’autres langues pour toucher un public international et promouvoir les travaux de la GLFF à l’étranger ?
C. D.-L. : Ce serait une belle idée, au moins d’abord pour nos loges à l’étranger qui pourraient s’appuyer sur nos publications pour se faire connaître. Je crois savoir qu’il y avait eu un projet comme cela de traduction en espagnol pour les loges féminines d’Amérique Latine mais j’avoue que ne sais pas ce que c’est devenu.
450.fm : Comment la collection Voix d’initiées interagit-elle avec les travaux et les publications d’autres obédiences maçonniques, tant en France qu’à l’international ? Y a-t-il des projets de collaboration ou d’échange ?
C. D.-L. : En ce qui concerne les relations avec les autres obédiences, je ne suis pas sûre qu’elles se préoccupent beaucoup de nos livres, elles ont elles-mêmes un gros travail pour développer leurs propres publications. Mais les salons du livre maçonnique sont une bonne base de départ. Nous avons un gros travail de reconnaissance à faire pour que nos autrices soient systématiquement sollicitées pour participer à des conférences et parler de leur livre, cela se fait, mais trop peu à mon goût. J’aimerais également que l’on pense plus souvent à inviter nos autrices pour parler de leur livre dans les journées ouvertes au public en complément de l’allocution de la Grande Maîtresse ou des élues qui s’expriment pour la GLFF.
Je suis interrogée ici sur « Voix d’initiées » mais la ligne éditoriale de la GLFF se développe également avec les « Cahiers de Bathilde » qui sont le reflet des travaux de notre toute jeune loge de recherche Bathilde-Vérité dont il se trouve que beaucoup de ses membres sont également des autrices de la collection « Voix d’initiées ». C’est une avancée à petits pas mais cela prouve que quand on commence à vouloir extérioriser notre pensée, sortir de nos loges et s’engager pour l’obédience, les limites sont tout doucement franchies. N’oublions pas que les femmes ont une place assez récente dans le paysage maçonnique, mais elles persévèrent.
Très chère sœur, très chère Corinne, au nom de toute l’équipe de 450.fm, nous tenons à exprimer notre profonde gratitude pour l’entretien que vous avez eu la générosité de nous accorder. Votre disponibilité et votre volonté de partager vos expériences et vos perspectives ont grandement enrichi notre contenu et, sans aucun doute, captivé nos fidèles lecteurs.
Merci encore pour votre temps, votre énergie et votre engagement à partager le merveilleux voyage de la collection « Voix d’initiées » avec nous.
La collection « Voix d’initiées » est disponible chez DETRAD et/ou Conform édition, entre autres.