ven 22 novembre 2024 - 06:11

Le secret de la tour Eiffel (1/2)

(Tiré de l’ouvrage : Au cœur de la Franc-maçonnerie « Huit récits contemporains » Éditions Numérilivre)

Cent vingt ans ! Elle a cent vingt ans et on ne le dirait pas ! Fièrement campée sur ses jambes, les hanches généreuses, un buste effilé qui lui donne ce légendaire port altier, reproduit en millions de photos à travers le monde, non, vraiment, elle ne fait pas son âge ! Aujourd’hui pourtant, une fois n’est pas coutume, la tour Eiffel a la tête dans les nuages, cernée d’une écharpe cotonneuse, comme si elle était grippée ! Je suis au 2ème étage de cette cathédrale d’acier, gigantesque vigie de la Capitale, un peu déçue de ne pas découvrir l’horizon circulaire habituel. Je vois seulement, en baissant la tête, le ruban d’aluminium de la Seine, qui coule en contre-bas. Et, en la relevant, les jardins gazonnés du Trocadéro, encadrés par les deux ailes blanches du Palais de Chaillot.

Ce samedi après-midi, dans la foule des parisiens et touristes qui tournent en rond sur la plate-forme pour tenter un improbable cliché, je remplis ma mission d’exploration. L’accès au 3ème étage n’est pas possible pour cause de brume, mais je n’avais pas l’intention d’y monter. Je me le suis même interdit, promesse maçonnique oblige. Je fais l’expérience, grandeur nature, de la parole donnée. Selon notre protocole, je dois envoyer un témoignage de mon passage ici, à Mathilde ma « première surveillante ». La borne Internet, près du restaurant « Le Jules Verne », tombe bien. J’envoie mon e-mail et aussi, j’en profite, une carte postale avec le tampon spécifique « Tour Eiffel/ Belle Epoque » à Lauriane, ma fille, qui en fait collection. Dernier détail de ma visite, entouré d’une rambarde au centre du palier, le « puits de vision », que j’ai failli rater. La vue plongeante sur le champ de Mars, par le grand hublot de cette cheminée évasée de treillis métalliques, est impressionnante. 120 mètres plus bas, s’agitent en tous sens les promeneurs, points minuscules au bout de mon regard, fil à plomb imaginaire. J’ai le sentiment d’observer des colonies de fourmis au microscope.

Serrés comme des sardines, l’expression convient bien au paquet de gens dans la cabine de l’ascenseur, dont je suis solidaire ! Les poutrelles d’acier entrecroisées défilent et remontent devant mes yeux : impossible de bouger, la descente ultra rapide me chahute un peu. Une sensation de plongée silencieuse dans le vide, de sol qui se dérobe, puis d’atterrissage au ralenti, 1er étage, je ferme les yeux, les rouvrent, voilà les toits de Paris. J’entrevois au loin, dans la lumière transparente d’avril, l’Arc de Triomphe et la masse verte et tremblotante du Bois de Boulogne. Rez-de-chaussée, sortie sur le terre-plein, je reprends mes aises, j’ai horreur d’être compressée. Léger vertige, je déglutis. Fin de mon rallye-promenade.

Je ne sais pourquoi mes parents m’ont appelée Camille. J’ai eu bien du mal à m’y faire, d’autant que mes camarades, filles et garçons, à Belfort, l’ont très longtemps, trop longtemps, transformé en rigolards et lancinants « Camomille ! Camomille ! dans la cour de l’école, à m’en boucher les oreilles, pendant les rondes ! Jusqu’au jour où les épreuves du Bac venues et passées, tout content de m’annoncer la bonne nouvelle avec un retentissant : « Camomille, Camomille…tu es reçue ! », Clovis, un garçon turbulent de ma classe que je connais depuis ses culottes courtes, s’est pris la gifle de sa vie ! Tout le monde m’appelle Camille depuis cet incident ! Mais je regrette encore aujourd’hui mon geste incontrôlé, de colère et de joie, bizarrement mélangés, devant le panneau d’affichage des résultats. J’espère qu’il m’a pardonné, d’autant que lui, je me souviens, n’a pas eu son diplôme, cette année-là !

Mère monoparentale, comme on dit aujourd’hui, je pratique deux métiers complémentaires : je suis journaliste indépendante depuis une quinzaine d’années, spécialisée dans la mode de luxe, à Paris, et en même temps organisatrice d’évènements professionnels pour des agences. Grâce au télétravail, je rédige mes articles chez moi – à destination des journaux et magazines qui m’emploient – tout en m’occupant de ma fille de dix ans. Lorsque je dois m’absenter une soirée pour un défilé de mode, je la confie à Nadine sa marraine, venue comme moi de Belfort et…voisine de palier, on ne peut pas mieux faire ! Nous avons eu la chance de pouvoir louer en même temps deux petits appartements, dans le XVème arrondissement, tout près de la Seine. La circulation urbaine devenue très problématique et coûteuse, j’ai supprimé la voiture, et opté pour le métro. A partir de la station Javel ou Charles Michels, je suis sur les Champs-Elysées, au Palais Royal ou rue Saint-Honoré – mes lieux opérationnels – en moins d’une demi-heure. Et maintenant, je suis toujours exacte à mes rendez-vous. Fini le stress ! En plus, sous terre, j’écoute mes musiques préférées sur mon « Ipod » ! Même debout, accrochée à la barre. J’oublie les gens autour. Et que je suis un peu claustrophobe…

Les quartiers de Paris sont des villages. J’apprécie beaucoup le mien, qui, avec l’avantage d’être isolé de la circulation, propose un bon choix d’activités. L’immense parc André Citroën d’abord, avec ses pelouses, ses jets d’eau, ses petits sentiers fleuris et sa grande attraction qui a accompagné l’enfance de ma fille, l’impressionnant ballon dirigeable bleu, retenu au sol par des câbles, mais qui offre aux enfants dans sa nacelle promenoir circulaire, les frissons d’un baptême de l’air ! Ses dizaines de petites boutiques rue Saint Charles, ensuite, paradis des chineurs. Ses restaurants cosmopolites enfin, qui embaument les trottoirs. Avec le Pont Mirabeau si souvent chanté, la Seine éternelle et ses rives de halage à deux pas, pour les flâneries des soirs d’été. Il suffit de s’assoir sur un banc du quai et d’attendre quelques minutes, le temps qu’une rame du métro aérien traverse le fleuve, sur le pont à étage, vers la Maison de la Radio. Dans le sillage des péniches aux ventres lourds qui rentrent au port, ne tardent pas à surgir sur fond de ciel orangé, une noria de bateaux-mouches, véritables petites villes flottantes de lumière. Et soudain, alors que les grands panneaux publicitaires commencent à clignoter un à un sur les terrasses des tours du quai de Grenelle, la Tour Eiffel s’embrase à son tour, en arrière-plan. Un scintillement doré de quelque 20 000 ampoules, la transforme en un gigantesque arbre de noël, la nuit venue ! A l’assaut du ciel, mais aussi de la terre, puisque les deux faisceaux lumineux du phare qui culmine l’ouvrage, portent à 80 kilomètres à la ronde. Je suis voisine de cette Tour et pourtant je la connaissais bien mal !

C’est Mathilde qui me l’a fait découvrir, de l’extérieur et de l’intérieur, chiffres à l’appui. Elle est devenue pour moi, une véritable « femme de lumière ». Je l’ai rencontrée il y a trois ans, sur une péniche-salon où j’organisais un défilé de mannequins pour un couturier-parfumeur, devant une centaine de journalistes de mode. Au pied de la Tour Eiffel, précisément. Mathilde assurait avec virtuosité les lumières de la manifestation, et lors du cocktail qui, c’est le cas de le dire, nous a mis en contact et elle m’a vraiment éclairée sur sa profession, au gré des petits fours !! L’expression lumineuse, ne se résume pas à des branchements de prises électriques. Par ses couleurs, ses nuances, ses formes, ses directions, ses oppositions, la lumière, interprétée par l’éclairagiste, est à la fois langage et écriture, qui accompagnent et valorisent un évènement, en l’occurrence une présentation de vêtements, portés par des femmes et des hommes superbes. La lumière est aussi une belle occasion d’échanges, puisque, par associations d’idées, de l’électricité, nous sommes directement arrivées à la mythologie grecque avec Electre, bien sûr. Puis aux pierres précieuses avec Elektron, l’ambre jaune, qui, chargée d’énergie dit-on, étincelle du bel éclat solaire, d’où le mot « électricité » tire son origine. Nous avons même évoqué les constructions métaphoriques, tel le Complexe d’Electre, qui, selon le psychanalyste Jung, serait à la fille, ce qu’est pour son confrère Freud, le Complexe d’Œdipe au garçon. Et enfin, le physicien Newton et ses travaux sur le rayon lumineux ! Energie, mythes, légendes, pierres, constructions, symboles, lumière…Une brillante et enrichissante soirée, vraiment inattendue, au cours de laquelle, de fil en aiguille, j’ai appris que Mathilde, outre son métier d’éclairagiste, était une franc-maçonne. De 40 ans d’âge civil, et de 7 ans d’âge symbolique, m’a-t-elle indiqué, avec un grand sourire. Un mystère, parmi d’autres…à éclaircir !

J’aime bien apprendre seule. A l’école, déjà, j’avais besoin de lire et relire mes livres, d’écrire des synthèses avec mes mots, mes images, pour assimiler les cours des instituteurs, puis des professeurs. Il ne s’agissait pas de méfiance envers les enseignants, pas du tout, mais pour comprendre, il fallait que, en quelque sorte, je m’approprie d’abord le sujet !

C’est toujours le cas aujourd’hui et particulièrement pour la Franc-Maçonnerie. Mathilde, avec un merveilleux talent de conteuse, me l’a très bien présentée, comme un film. A tel point que j’ai eu envie de me « reprojeter » ce film ensuite, en l’accompagnant de lectures !

Ce que j’ai découvert avec ce flash-back et des livres, m’a curieusement conduite à un faire un parallèle avec la mode, avec les modèles que je vois défiler sur les estrades toute l’année. Une robe est le résultat, le produit, de toutes les autres robes – et de leurs influences – ayant existé auparavant. Elle est ainsi, devant mes yeux, le condensé de toute l’histoire de la couture ! Je sais, notamment comme journaliste, que celle-ci n’est pas qu’une seule industrie du paraître. Les projecteurs d’une Mathilde mettent aussi en lumière – avec le vêtement moderne donné à voir sur un mannequin qui se déplace le long d’un podium – le parcours et le discours des civilisations antérieures, en filigrane. Il y a bien défilé, en même temps, du paraître et de l’être.

Il en est de même pour la Franc-Maçonnerie, me semble-t-il. J’ai le sentiment qu’on ne peut pas bien saisir le credo de cette institution, encore moins le vivre, si l’on ne sait pas quelles fibres ont constitué les « tissus maçonniques » successifs et quels « couturiers » les ont travaillés, depuis l’origine.

« Tout part du Temple de Salomon » m’a justement dit Mathilde en préambule, sur l’air de « il était une fois… ». Cette simple phrase attestant du début d’une légende ou d’une réalité selon les historiens, a été la gâchette de ma curiosité. J’ai appuyé dessus pour en savoir davantage !

Si je prolonge ma comparaison avec la couture, le Temple de Salomon – construit en 1250 avant Jésus-Christ à la gloire divine, me dit la Bible – est donc de fait, le « patron » du modèle maçonnique et son point de départ. Encore faut-il savoir, me précise ce livre – que je n’avais jamais lu !- qu’il y a un «avant Salomon » avec les patriarches, ancêtres d’Israël, Abraham, Jacob, Moïse, les rois Saul et David. Et un « après Salomon » avec les souverains Nabuchodonosor, Cyrus, Alexandre, le général romain Pompée, Hérode son allié et enfin Pilate, le gouverneur de la Palestine. Autant d’hommes, bons et mauvais couturiers à leur manière, qui ont vêtu et dévêtu un territoire, autour de ce Temple obsédant. Un temple plusieurs fois construit, détruit et reconstruit. Mais en fin de compte toujours inachevé, et en cela même, métaphore de l’homme, tel que j’ai compris l’histoire de ce fantasmatique monument. Et tel que Mathilde me l’a laissé entendre…

…J’ai beaucoup apprécié, lorsque nous nous sommes revus autour d’un pot, qu’elle ne cherche pas à me « faire l’article » pour que j’entre en maçonnerie. « Ce n’est pas le genre de la maison !», m’a-t-elle dit, et j’ai pu vérifier ensuite la sincérité de son affirmation. Ma recherche biblique l’a toutefois bien étonné et quand je lui ai dit que j’étais en train de pousser encore plus loin mes investigations sur les origines de la franc-maçonnerie, elle a carrément été très intriguée !

Au vrai, ma passion soudaine pour l’aventure passée du bassin méditerranéen…m’a surprise moi-même. En découvrant les tribulations ce roi Salomon, à la fois sage, frivole et fervent, j’ai tiré sur un fil et je l’ai remonté pour en savoir davantage ! Apprendre ou réapprendre dans la littérature que, un millénaire plus tard, Jésus serait l’un des descendants de ce souverain, est étonnant. Tout comme mérite l’attention, à nouveau mille ans plus tard, l’épopée de cette chevalerie à Jérusalem. Qu’il s’agisse des Croisés venus défendre le tombeau du Christ, des Templiers progressivement transformés en banquiers, des Hospitaliers de l’Ordre de Malte reconvertis en policiers des mers ou des Chevaliers Teutoniques, avides de nouveaux territoires à conquérir. Tous des constructeurs d’innombrables châteaux et forteresses, tous des bienfaiteurs locaux apporteurs de savoirs et en même temps, tous des guerriers pourfendeurs de Sarrazins ! Le pansement et la truelle dans une main pour soigner et « civiliser », l’épée dans l’autre pour tuer les soi-disant « infidèles ». Le bien et le mal, qui peuvent si facilement se substituer l’un à l’autre selon les cultures, forment un curieux attelage depuis longtemps. Et l’homo sapiens, son cocher, est un être plus curieux encore. Une énigme supplémentaire à élucider, certainement la plus troublante : celle de l’âme humaine !

Je l’ai remarqué, il suffit que je m’intéresse à un sujet en particulier, pour qu’il surgisse souvent dans mon quotidien, sous diverses formes. Au moment même où je veux aller plus loin que le Temple de Salomon, pour mieux comprendre la Franc-Maçonnerie, la presse magazine, comme par hasard, publie une suite de dossiers. C’était ainsi avant la fin du XXème siècle, ça continue au XXIème : il n’est pas un mois de ces années 2000, sans que mes confrères ou consœurs journalistes relatent l’actualité de cette vieille dame turbulente. Comme la Tour Eiffel, la Franc-Maçonnerie traverse le temps ! Mais je l’avoue, auparavant, je n’allais pas plus loin qu’un coup d’œil aux titres accrocheurs et récurrents des couvertures de ces magazines. Ma vision a changé depuis que j’ai rencontré Mathilde. J’ai envie de savoir.

Entendons-nous, que tel ou tel homme politique soit membre d’une loge et « fasse trois pages » dans un hebdomadaire ne m’intéresse guère. Les « marronniers », très peu pour moi ! En revanche, puisque par métier, je peux avoir accès à des supports variés, il me plaît de tomber sur celui qui présente à point nommé, un dossier sur la genèse maçonnique, mon interrogation du moment !

Et justement, j’y retrouve cette chevalerie conquérante, de retour vers l’occident, dans les années 1200, après ses huit croisades, étalées sur plus d’un siècle. Je savais par mes souvenirs scolaires que ces chevaliers étaient guidés par la foi mais je ne me souvenais plus de leur déisme, si je puis dire, à géométrie variable ! Partis en Terre sainte, avec une croyance au Dieu des chrétiens, farouchement ancrée, nombreux en reviennent avec des cultes et philosophies supplémentaires en tête ! A preuve, ceux qui, faisant un détour par l’Iran, la Grèce et l’Egypte, regagnent l’Europe fascinés par Mithra, le dieu des astres, envoûtés par les mystères initiatiques d’Eleusis ou émerveillés par le symbolisme de mort et de renaissance, consacré à la déesse Osiris. Ce sont aussi les chevaliers, seigneurs d’Occitanie, qui en passant par la Bulgarie, se convertissent au manichéisme, une religion d’origine perse. Prise dans leurs bagages, elle changera de nom, en arrivant aux alentours d’Albi, pour s’appeler le catharisme. Un culte qui considère que le corps, réalité mortelle, représente le mal, et que l’esprit entité éternelle, symbolise le bien, ne peut que séduire des chevaliers, récemment porteurs de la truelle et de l’épée ! Il séduira aussi une partie importante de la population languedocienne. L’aventure cathariste se terminera mal pourtant, avec la réaction jalouse et violente de l’Eglise catholique. Fidèle à sa cause exclusive, le chevalier Simon de Montfort, conduira aux bûchers de l’Inquisition des milliers de cathares, autour de Carcassonne en 1215. Et les derniers, avec parmi eux des chevaliers catharistes, périront également dans les flammes, sur le piton rocheux du château de Montségur, en 1244. La même année, les Turcs du Sultan Saladin chasse tous les chevaliers de Jérusalem. Cinquante ans plus tard, les Templiers n’ont de rapport avec Salomon que leur nom. Et une triste fin s’annonce pour eux : alors qu’ils ont construit plus de 10 000 commanderies en méditerranée et son pourtour, dont 2000 en France, alors qu’ils ont introduit le commerce bancaire en Europe à leur retour, ils sont pourchassés en France par Philippe le Bel pour hérésie et pratique d’un improbable culte idolâtre. Et leur chef, Jacques de Molay, est brûlé vif à Paris, en 1307.

J’ignorais que les biens des Templiers avaient été offerts à leurs rivaux, les Chevaliers de Malte. Ceux-ci poursuivent aujourd’hui une belle œuvre humanitaire mondiale. Rien ne se perd, tout se transforme. Avant, pendant et après les Croisades, la chevalerie a produit à la fois un modèle économique prospère « d’autogestion » avec lesdites commanderies, en Europe comme en Orient. Elle a aussi fourni une symbolique très riche, notamment à la franc-maçonnerie, mais, malheureusement en faisant payer à l’adversaire et en payant elle-même le prix fort en capital humain, au nom de croyances différentes ! C’est la conclusion de l’article.

Au total, que penser des Croisades : Est-ce qu’occident et orient ne poursuivent pas aujourd’hui cette interminable guerre de religions, commencée il y a un millénaire, au nom du tombeau du Christ ? Il faudra que j’en discute avec Mathilde, qui connaît bien le sujet !

Que dit-on sur Internet ? Je tape « Croisades » dans « Google » : j’y retrouve les pages oubliées, et enrichies, de mon livre d’histoire de France. Il me revient en lisant sur l’écran que pendant cette turbulente guerrière qui a agité le bassin méditerranéen au Moyen Âge, les échanges commerciaux, intellectuels et techniques, n’ont jamais cessé entre le nord et le sud. La chevalerie a exporté en Judée du cuir et des céréales, des coutumes et des savoir-faire. Des armes, aussi, lances et épées, fléaux à manches, ces boules de fer à chaînes hérissés de pointes…que les agressés ont vite su utiliser pour fendre les armures de leurs « fournisseurs » et, en même temps, assaillants européens. La guerre, cette monstruosité, serait-elle inscrite dans le programme génétique de l’homme ? !

Certains « chevaliers bâtisseurs » – qui ont finalement préféré la truelle à l’épée – sont revenus vers l’Europe avec des « tours de mains » et des secrets de construction, comme l’art des voûtes et croisées d’ogives, admiré au sommet des palais et mosquées. Sans ces procédés géométriques, véritables prouesses de l’architecture arabe, les cathédrales, construites à la même époque, ne seraient certainement pas montées si haut dans le ciel ! Ou n’auraient peut être jamais existé. Ces chevaliers paisibles ont aussi rapporté dans le fourreau de leur épée, des boutures de « la rose de Damas », qui colore et embaume depuis les jardins de France.

 Comme quoi les religions peuvent faire preuve entre elles, d’intelligence créative et de générosité. Comme quoi les choses peuvent aussi se dire avec des fleurs ! « Celui qui offre une rose, en garde le parfum sur la main », dit un proverbe arabe….

C’est décidé ! Après cette nouvelle soirée d’échanges avec Mathilde, invitée à la maison pour une dînette, je trancherai…

Lauriane, est de la fête, tout yeux, tout oreilles. Dès l’apéritif, Mathilde nous raconte son parcours, son enfance à Sceaux, ses études à l’Ecole Supérieure d’Electricité, la résistance de sa mère stupéfaite à l’idée que sa fille s’embarque dans un « métier d’homme ». Et le soutien déterminant de son père, ingénieur électricien aux « Monuments historiques », dont elle a découvert, une par une, toutes les illuminations pendant son enfance. A Paris et autour, de la Tour Eiffel au Château de Versailles ! Mathilde nous indique aussi ses difficultés, aujourd’hui surmontées, dans l’exercice d’un métier de fait longtemps considéré comme masculin. Avec, bien entendu, le machisme correspondant, dont elle sourit maintenant ! Au vrai, elle a acquis ses compétences, son expérience, « sur le tas », comme elle dit, au fil des chantiers variés et de leurs renouvellements. Grâce à l’observation des « anciens » et de leur « savoir en marche » – c’est son expression – qu’ils ont bien voulu lui offrir. « Ce n’est pas l’électricité qui est un courant, mais la vie elle-même, qui passe entre les êtres, et que nous devons, chacun, faire passer à l’autre ! Nous sommes les fils transporteurs de cette vie ! ». Au cours de la soirée, Mathilde me répète plusieurs fois cette idée de passage de témoin, de transmission. J’apprécie à nouveau sa facilité d’élocution. J’aime surtout sa foi en l’Homme, son désir de convaincre. C’est une femme sincère, à l’évidence.

Elle se considère comme une « façonnière », et cette notion de « petits secrets » et de « tours de mains », héritée du Moyen Âge est toujours très forte dans l’artisanat. Qu’il s’agisse pour elle, d’illuminer un simple bal public sur une place de village avec des ampoules multicolores ou de synchroniser les jeux d’eau d’un bassin avec musique et feux d’artifice, dans un parc de château. « Travailler la lumière est un métier d’émotions ! » me dit-elle, les yeux brillants.

– Et votre plus forte émotion dans ce métier, justement ? Sans hésiter, elle me répond :

 Il y a dix ans, devant la Pyramide de Kéops !! J’étais encore stagiaire et j’ai eu la chance de pouvoir me rendre en Egypte avec une équipe de techniciens, pour participer, que dis-je, pour aider à la réalisation d’un spectacle de « sons et lumière », pendant quinze nuits d’été. J’ai frissonné chaque soir, moi minuscule bonne femme, devant cette masse pointue, gigantesque, sculptée par les projecteurs. Sidérée, la Mathilde ! Mon petit rôle, dans la cabine vitrée blottie au pied du Sphinx, consistait à « envoyer » les commentaires enregistrés dans la cabine, aux « tops » hurlés par l’ingénieur du son, avec son casque sur la tête. Il me terrorisait. Je n’avais pourtant qu’à appuyer sur les trois touches différentes, au fur et à mesure des ordres. Un trac, je ne vous dis pas ! J’ai encore dans les oreilles le texte et la voix d’André Malraux, mettant en scène Bonaparte et ses mamelouks. Grandiose ! Je revois les jeux de lumière rasante bleue et orange, qui, l’imagination aidant, transformaient l’immense foule des spectateurs en une mer de soldats. Je sais depuis, croyez-moi, ce que veut vraiment dire le mot « pharaonique » !!

 Ainsi démarre, sous le signe de la grande Pyramide d’Egypte, une longue, très longue conversation, déterminante pour moi.

Dites-moi Mathilde, à vous écouter, votre ingénieur du son est plus impressionnant que les Pyramides. Il hurlait vraiment après vous ? »

– Après moi et les autres, mais je pense que j’étais la seule à avoir vraiment peur de lui ! C’est l’ambiance du moment qui impose ce climat, un peu comme le chef qui donne de la voix dans les cuisines d’un grand restaurant ! Hubert avait une grande responsabilité. Il était en liaison radio avec une vingtaine d’éclairagistes répartis sur le site, et tout devait fonctionner au millimètre et à la seconde, à son commandement. Mais, en dehors du boulot, où la passion l’emporte souvent, Hubert est un homme calme, charmant ! D’ailleurs, je vais tout vous dire, puisque vous en parlez, il est mon parrain maçonnique ! Eh oui, c’est lui qui m’a fait entrer en maçonnerie ! Et dans quelle obédience ? A la Grande Loge Symbolique de France ! Vous ne serez pas étonnée. C’est précisément une organisation maçonnique qui a pris cette appellation pour travailler au Rite Egyptien de Memphis-Misraïm. Mais un rite modernisé aujourd’hui, bien sûr !

-Là, je suis un peu perdue dans les coïncidences…

-Je vais vous expliquer, l’enchaînement est assez simple, en fait…Hubert est à la fois ingénieur du son et passionné d’Egyptologie, depuis son premier « son et lumière » au Caire, où il a commencé stagiaire, comme moi ! Il ne se cache pas d’être franc-maçon, donc je peux le citer. Il a été initié au Grand Orient, puis ses voyages en Egypte l’ont amené à s’intéresser à ce fameux rite égyptien, qui d’ailleurs est né… à Montauban ! Ce sont des soldats de Bonaparte, des maçons faisant partie de la Mission d’Egypte qui l’ont créé à leur retour en France, en 1815. Ils l’ont appelé le rite de Memphis, du nom de la première grande capitale d’Egypte, qui veut dire « La beauté est ici », c’est joli non ? Au fil de l’histoire, ce rite s’est associé ensuite, en 1900, avec le rite de Misraïm, fondé par les « Carbonaris », les brigades italiennes de Garibaldi !

La sonnerie de mon portable interrompt Mathilde, le dîner et arrête le film. Finie la longue conversation prévue ! Je reviens à ma réalité : une agence me propose un « son et lumière » au château de Dampierre, près de Paris. Un remplacement de collègue malade, samedi soir. On est jeudi. Je donne mon accord, mais du coup, j’ai plusieurs coups de fil à passer. Mathilde, très élégamment, me suggère que je la rappelle pour reprendre plus tard notre échange et s’en va, presque sur la pointe des pieds. Je suis à la fois gênée et très frustrée. La glace est en train de fondre dans les assiettes. Lauriane n’a pas perdu son appétit !

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Gilbert Garibal
Gilbert Garibal
Gilbert Garibal, docteur en philosophie, psychosociologue et ancien psychanalyste en milieu hospitalier, est spécialisé dans l'écriture d'ouvrages pratiques sur le développement personnel, les faits de société et la franc-maçonnerie ( parus, entre autres, chez Marabout, Hachette, De Vecchi, Dangles, Dervy, Grancher, Numérilivre, Cosmogone), Il a écrit une trentaine d’ouvrages dont une quinzaine sur la franc-maçonnerie. Ses deux livres maçonniques récents sont : Une traversée de l’Art Royal ( Numérilivre - 2022) et La Franc-maçonnerie, une école de vie à découvrir (Cosmogone-2023).

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