ven 22 novembre 2024 - 02:11

Le mot du mois : « GUERRE »

La guerre, un espace entre deux paix ? Hélas non !

Les Latins inversaient la proposition, ils préféraient voir dans la paix un interstice entre deux guerres… Depuis la plus haute antiquité, les sociétés considèrent la guerre comme l’état normal que vient interrompre la paix, ce loisir paresseux, un temps vide qui n’a rien à raconter. L’homme romain est un soldat laboureur, et non l’inverse !

Ce sont les conflits qui l’aguerrissent, lui confèrent force et vigueur. Quel ennui que ces quartiers d’hiver contraints à l’inertie par le mauvais temps qui gâche le plaisir d’un bon combat, n’est-ce pas ? On s’empresse de fêter le dieu guerrier Mars dès son mois éponyme et, détail significatif, une fanfare joyeuse accueille le Premier de l’An, le 1er avril, qui autorise la reprise des jeux belliqueux.

Etonnamment, alors que la guerre est à ce point omniprésente, aucune racine indo-européenne commune n’en témoigne, le grec, le latin entre autres ont chacun leur mot spécifique. La jubilation de cette menace essentielle s’avère indéniablement partagée, mais pas la nomination…

*Polemos grec, *bellum latin, jusqu’au francique germanique * werra, qui”offre” son champ lexical, guerre, war en anglais. Le mot désigne, sans plus de précision, le trouble, la confusion.

Guerre à deux du duel, réitération du conflit par le re-belle.

Tout est prétexte à conflit. 1275, à Ciney en Belgique, le vol d’une vache occasionna cinq années d’affrontements. Une soixantaine de villages impliqués, 15 000 morts. Eh oui, il fallut même l’intervention du roi de France, Philippe le Hardi, pour que cessent ces sanglantes effusions entre seigneurs locaux. Pour une innocente pécore, au sens propre !

Guerres parfois sans victimes, dont le motif s’est perdu dans l’ombre de la mémoire collective, mais tout de même 177 années d’un différend officiel entre la France de Joseph Bonaparte et Mostoles dans la banlieue de Madrid. Du 2 mai 1808 jusqu’à la paix signée le 2 mai 1985 par la municipalidad actuelle ! Joli oxymore d’une guerre pacifique…

Guerre contre les poux, perdue d’avance, que Platon nomme “phteiristique” (Le Sophiste, 227b) : « L’art de la guerre ne lui paraît pas une chasse plus noble que l’art de détruire la vermine ».

Nul ne saurait ignorer combien, de tous temps, la guerre contribua à de fertiles inventions pour la plus grande santé et l’amélioration du quotidien des populations.

Dans le matériel maritime, telle la birème des Grecs, embarcation rapide, légère, maniable, conçue pour éperonner le navire ennemi, qui leur assura pour longtemps une suprématie maritime incontestée. Ou terrestre, tel le trébuchet ou catapulte, qui envoyait au loin des projectiles par un système de contrepoids, avant de se faire petite balance pour pesées délicates, de l’or entre autres.

Les Gaulois inventèrent l‘essedo, char de guerre léger à deux roues, qui devint le cabriolet des Belges et des Bretons.

Quel marcheur ou baroudeur sait que son sac de couchage, en laine avec oreiller en caoutchouc, fut inventé en 1876 par une Américaine à l’intention des soldats en campagne, ensuite vendu par correspondance aux associations de sans-abri, après la guerre ?

Nombre d’avancées dans le domaine de la médecine sont liées aux constatations inventives des chirurgiens militaires au cours des guerres sanglantes. Tel Ambroise Paré (1510-1590), qui cautérise des plaies en stoppant l’hémorragie des amputations grâce à des épées chauffées à blanc.

On se bat, s’affronte de toutes les manières, par la torture, le tourment, machine de guerre cylindrique enroulée de cordes, dont on s’inspirera pour fabriquer une machine à refouler l’eau. On pratique la torsion des membres et l’extorsion.

Les ambassadeurs, *ambactoi, sont d’abord les compagnons de guerre liés par serment au chef.

Et, quand Alfred Nobel, pacifiste convaincu, veut susciter en 1866 la « paix par peur » (sic), pour que les peuples prennent conscience du danger et abolissent la guerre, il invente le moyen de destruction le plus terrifiant et lui donne le nom de dynamite… *dunamis, la force en grec…

On n’a jamais été aussi doué dans l’art des techniques de camouflage que pour cacher à la vue les massacres bien réels…

Dès l’Antiquité, on utilise le pétrole comme médicament, vermifuge, embaumeur, éclairage, feu sacré ou grégeois. Très vite, sa fumée, moins dense et noire que celle du charbon, fera fureur, c’est le cas de le dire, sur les navires de guerre.

L’opium, d’abord élixir parégorique et laudanum, sera perçu comme une monnaie d’échanges, bientôt enjeu crucial de conflits armés et civils.

Même si l’on préfère se voiler hypocritement la face, la guerre est une aubaine, un défouloir et surtout un fonds inépuisable de mirifiques profits.

Deux mots germaniques, *ban, proclamation, et *bandwa, étendard, contribuent à former le sémantisme du ban et de l’abandon. Pouvoir et autorité du chef. “Venir à bandon”, foncer avec impétuosité sur l’adversaire.”Mettre à bandon”, c’est laisser à la merci du seigneur les biens en déshérence ou appartenant à des étrangers morts sur ses terres. Un “droit d’aubaine“, *aliban, ce qui appartient à un autre ban. En temps de guerre, le seigneur appelle ses vassaux en « publiant les bans », selon la hiérarchie du ban et de l’arrière-ban. De quoi se demander si les bans de mariage seraient plus pacifiques …

Inventé par le parfumeur François Coty vers 1930, le poudrier, au masculin, est une arme de séduction féminine et la poudrière, au féminin, favorise le jeu belliqueux des hommes… Troie et Hélène résonnent encore de ce chassé-croisé…

Décidément, la guerre amuse le Bachi-Bouzouk, “mauvaise tête” du cavalier ottoman, criminel recruté par le sultan, mercenaire indiscipliné et redoutable, et le Capitaine Haddock l’a dans son collimateur verbal.

NON !!! La guerre n’est pas jolie, n’en déplaise à Guillaume Apollinaire, au-delà du faux cynisme de l’amoureux désenchanté des Calligrammes.

Annick DROGOU

Pourquoi la guerre ?

Amour-propre et jalousie, tribalisme et nationalisme, tumulte du monde et forces toujours bouillonnantes comme des vies au-dessus du volcan. Comment mettre un frein à la violence destructrice ?

Sigmund Freud et Albert Einstein eurent un long dialogue sur ce thème. « Existe-t-il un moyen d’affranchir les hommes de la menace de la guerre ? », demande le génial physicien au père de la psychanalyse, « Warum Krieg ? » dans une correspondance entreprise en 1931, à l’initiative de l’Institut international de coopération intellectuelle qui était une émanation de la S.D.N[1].

Quelques extraits de la réponse de Freud méritent d’être lus et relus. Dans la simplicité́ de sa réponse, on ne trouvera rien de naïf : « Vous commencez par poser la question entre droit et force. C’est là, assurément, le juste point de départ de notre enquête. Puis-je me permettre de substituer au mot « force » le terme plus incisif et dur de « violence » ? Droit et violence sont actuellement pour nous des antinomies. […] Un chemin a conduit de la violence au droit, mais lequel ? Il n’en est qu’un, à mon avis, et c’est celui qui aboutit au fait que l’on peut rivaliser avec un plus fort par l’union de plusieurs faibles. « L’union fait la force. »

Pour cette « union des faibles », Freud recommande de développer les « sentiments de communauté́, sur lesquels se fonde, à proprement parler, la force de cette collectivité́ ».

Quelle est au XXIe siècle cette communauté à laquelle se rattacher, est-ce toujours la tribu ? Quand on pense en termes de « eux et nous », nous sommes toujours du bon côté et eux sont toujours du mauvais côté. Les tragédies du siècle passé devraient nous avoir appris qu’il n’y a pas de « eux » et « nous », il n’y a que le seul « nous » qui vaille. Terre-patrie ! Salam, shalom, que la paix règne parmi les hommes. La paix n’est pas seulement l’opposé du conflit, de la guerre, c’est d’abord le contraire de la peur. La paix, salam, shalom, comme un mot de passe universel pour la rencontre.

Jean DUMONTEIL


[1] Le texte de cet échange “Albert Einstein et Sigmund Freud, Pourquoi la guerre ?“ est accessible sur le site de l’Unesco https://fr.unesco.org/courier/may-1985/pourquoi-guerre-lettre-dalbert-einstein-sigmund-freud

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Annick Drogou
Annick Drogou
- études de Langues Anciennes, agrégation de Grammaire incluse. - professeur, surtout de Grec. - goût immodéré pour les mots. - curiosité inassouvie pour tous les savoirs. - écritures variées, Grammaire, sectes, Croqueurs de pommes, ateliers d’écriture, théâtre, poésie en lien avec la peinture et la sculpture. - beaucoup d’articles et quelques livres publiés. - vingt-trois années de Maçonnerie au Droit Humain. - une inaptitude incurable pour le conformisme.

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