L’avenir de la Franc-maçonnerie malgré le chaos civilisationnel et les évolutions générationnelles …
Introduction : les cycles civilisationnels.
Parlons ici seulement du monde “blanc”, de l’occident, de l’Euroland ; mais les autres mondes, indiens, asiates et, dans une monde mesure les mondes “noir” (plus diffus) et musulman (beaucoup plus récent), ont suivi les mêmes courbes d’évolution.
Pour l’Europe, l’histoire civilisationnelle se décompose en quatre cycles bien distincts, séparé chacun d’un suivant par une période chaotique et par une bifurcation radicale de système de représentation (de paradigme).
Ces quatre cycles européens ont une durée très semblables d’environ 1650 ans (soit, chacun, la concaténation de trois cycles socio-économiques successifs – voir mon livre : “Où va l’Humanité ? – Ed. Diateino – 2022),
Après les premiers cycles néolithiques de maîtrise de la pierre, de l’élevage et de l’agriculture, viennent trois cycles plus proches et mieux connus.
Le premier cycle couvre les âges du bronze et du fer : c’est la civilisation de la Forge (de -2900 à -1250).
Le deuxième cycle est celui de l’Antiquité : c’est la civilisation des Cités (de -1250 à 400).
Le troisième cycle est celui de la Messianité : c’est la civilisation du Salut (de 400 à 2050).
Autour de la Méditerranée, ce cycle de la civilisation du Salut se subdivise en trois cycles successifs de 550 ans en moyenne chacun :
- celui de la Christianité (de 400 à 950) : christianisme unitaire,
- celui des Religions (de 950 à 1500) : catholicisme, orthodoxie, islamisme.
- celui du Progrès (de 1500 à 2050) : protestantisme, philosophisme, technologisme, idéologisme.
On constate donc que notre époque vit la fin de la civilisation du Salut et du paradigme du Progrès (et donc de toutes les idéologies qui en découlent marxistes, nationalistes, collectivistes, financiaristes, populistes, mondialistes, colonialistes, machinistes, industrialistes, etc …).
Ce double effondrement civilisationnel (le fin des promesse de Salut) et paradigmatique (la fin de la croyance en le Progrès) est le fondement des immenses malaises de nos contemporains : ils ne croient plus ni au Salut promis par les idéologies politiques d’un “monde d’après des lendemains qui chantent”, ni au Salut promis par les religions dans un autre monde céleste, angélique et divin fait de béatitude éternelle.
Le virage actuel.
On le voit bien : les masses se détournent tant des pratiques religieuses que des militances politiques. Les religions et la politique n’intéressent plus grand monde et la fréquentation des urnes et des cultes est en berne.
En revanche, l’inquiétude – voire les angoisses et anxiétés – s’installe et la consommation d’alcool, de drogues, de médicaments, d’antidépresseurs augmentent encore plus vite que le taux des suicides.
Partout, les ressources matérielles s’épuisent, la démographie galope, les flux migratoires débordent, les pouvoirs d’achat diminuent, les taux de chômage, d’inflation et de pauvreté s’amplifient.
L’universalisme et son versant économique, le mondialisme, se sont irréversiblement fracturés. et, par suite, le monde humain s’est cassé en deux grands blocs : les “nostalgiques” d’un “bon vieux temps” qui n’a jamais existé mais qu’il faut restaurer par la force (Russie ; Chine et Corée du Nord ; Iran, Afghanistan et Islamie en général ; dictatures mafieuses ou militaires en Afrique noire et en Amérique latine ; Etats-Unis gérontocratiques, minés de wokisme ; …) et les “comiques” qui, surtout en Europe, en Inde et en Océanie, croient que tout peut et va continuer comme avant, moyennant quelques soubresauts passagers et grâce aux avancées miraculeuses de la technologie.
Ils ont bien sûr tous tort pour de simples raisons thermodynamiques : les systèmes et processus complexes ne sont jamais réversibles : il n’y aura aucun retour en arrière, ni aucune continuité en avant. Nous vivons une vraie et profonde bifurcation chaotique, c’est-à-dire l’effondrement irréversible de la civilisation du Salut (et donc de l’Espérance) et du paradigme du Progrès (et donc du “Toujours plus”). Et il faut maintenant se consacrer à l’accouchement de la nouvelle civilisation de l’Alliance (sortir de l’anthropocentrisme narcissiste et nombrilique de ces derniers siècles, et construire, par reliances et résonances, un humain cosmocentré au service du Réel) et du nouveau paradigme de la Noéticité (sortir de l’accumulation quantitative du matériel – posséder pour paraître – pour marcher gaillardement sur la voie de l’accomplissement immatériel, intellectuel et, surtout, spirituel – connaître et devenir).
Et la Franc-maçonnerie dans tout cela ?
A son origine, la Franc-maçonnerie est une mystique opérative chrétienne, qui est née, dans les cloîtres monacaux, à la fin de la christianité unifiée.
Elle a magnifié la féodalité en construisant des cathédrales christiques contre les fragmentations et conflits entre Eglises, entres Religions, entre Territoires, entre Pouvoirs, entre Armées, …
Son leitmotiv a toujours été celui-ci : construire le Temple du Grand Architecte de l’Univers sur les Chantiers du monde. C’est ce principe qui fonde la Régularité maçonnique intrinsèque, indépendamment des problématiques administratives de “reconnaissance”.
Depuis que le terreau chrétien ou christique s’est largement tari (surtout à la fin du 18ème siècle), la Franc-maçonnerie devenue spéculative a été confrontée à l’émergence des idéologies qui devaient remplacer les religions dans la promesse du Salut : le Salut par la Piété se mua en un Salut par le Progrès.
Fallait-il choisir entre préserver précieusement ses racines mystiques, initiatiques et spirituelles, ou se lancer dans les idéologies du progrès technique, social, économique, politique, juridique, etc … ?
Là (sous la férule d’un Desaguliers en Angleterre et d’un Napoléon en France) se place l’émergence de ce que Jean Baylot a judicieusement appelé la “Voie Substituée” : certaines factions qui étaient encore maçonniques, ont renoncé à la voie initiatique pour se lancer, à corps perdu, sur la voie idéologique (voir à ce sujet l’excellent livre récent de mon ami Michel Maffesoli : “Le Grand Orient – Les Lumières sont éteintes”).
Aujourd’hui, ces factions “progressistes”, filles des obscures “Lumières”, s’effondrent naturellement avec la Modernité qui les porte.
L’avenir de la Franc-maçonnerie.
Des analyses qui précèdent, il appert que, outre la disparition des factions “idéologiques”, seules les obédiences maçonniques régulières, cultivant leur intention mystique, leur pratique initiatique et leur logique spirituelle pourront passer le cap de l’actuelle énorme bifurcation tant civilisationnelle (passage de la voie du Salut à la voie de l’Alliance) que paradigmatique (passage de l’accumulation matérielle à l’accomplissement noétique).
Ce saut est immense !
Mais, paradoxalement, la Franc-maçonnerie régulière est particulièrement bien armée, non seulement pour franchir ce cap, mais pour aussi en être le moteur !
En effet, toute la spiritualité (la mystique) maçonnique tient en ces quelques assertions :
- La Franc-maçonnerie a pour seule mission de construire, sur le chantier du monde, le Temple où doit habiter la Gloire du Grand Architecte de l’Univers.
- La Franc-maçonnerie a une vocation purement spirituelle et initiatique, et ne doit avoir, en tant que telle – ses membres restant libres de leurs opinions – aucun lien, de quelque nature que ce soit, avec le monde profane qui a ses propres organes et institutions.
- La Franc-maçonnerie trace le chemin de la Sacralisation de la Vie et de l’Esprit au sens cosmosophique.
Nous sommes bien là au cœur de la bifurcation civilisationnelle en cours : abandonner les colifichets matériels du paraître (et ses expressions en termes de fortune, de pouvoir et/ou de gloriole), et remettre l’humanité au service de l’accomplissement du Réel, c’est-à-dire de la Vie (de toutes les formes positives et constructives de Vie) et de l’Esprit (de toutes les formes positives et constructives d’Esprit).
Pour le dire plus fortement et plus fermement : la Franc-maçonnerie régulière peut devenir le moteur spirituel et initiatique de la révolution civilisationnelle qui marquera la fin de tous les messianismes et qui établira l’Alliance panenthéiste entre les humains et tout ce qui existe dans le Réel.
Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l’on constate que les “cherchants” qui, aujourd’hui, ont déjà compris la faillite de toutes les religions et de toutes les idéologies, ainsi que le passage inéluctable de l’abondance à la frugalité, se tournent souvent vers les vieilles spiritualités monistes orientales comme les yogas, les méditations, le taoïsme, et quelques autres.
C’est le fondement dualiste (le monde des humains face au monde de Dieu) propre à l’occident qui s’effondre sous nos yeux.
Les deux problèmes actuels de la Franc-maçonnerie régulière.
Ces deux problèmes concernent les difficultés de recrutement et les difficultés de fidélisation.
Surtout chez les jeunes, l’aventure spirituelle maçonnique n’attire plus assez d’initiables.
Fréquenter physiquement et assidument une Loge est un indispensable comportement assez éloigné des zappings incessants au départ des ordiphones (c’est le mot choisi par l’Académie française).
La mauvaise réputation des factions idéologiques qui se disent maçonniques, induit une atmosphère délétère de méfiance ou de ringardise. Ces factions auxquelles les médias ne cessent de tendre leurs micros et leurs unes, et de consacrer leurs “marronniers”, parlent d’un paradigme profane censé être progressiste, laïcard, athée, anticlérical, républicain, socialisant, humaniste, universaliste, etc …, donc d’un paradigme qui n’existe déjà plus et d’idéologies gauchisantes qui font rire.
La génération qui vient a un impérieux besoin de donner du sens et de la valeur à sa propre existence, et cela appelle une quête spirituelle dont la Franc-maçonnerie est la seule vraie porteuse occidentale à l’heure actuelle. Encore faut-il que cela se dise pour que cela se sache !
Encore faut-il que chaque Frère – qui doit être un parrain multiple potentiel, un “sergent recruteur” – en soit convaincu et œuvre hardiment et efficacement en ce sens. Être Franc-maçon, c’est aussi s’engager à propager la Franc-maçonnerie en assumant ses devoirs de parrainage qui ne s’arrêtent pas lors du rituel de réception du nouvel Apprenti, mais qui se prolongent toute la vie durant !
De plus, beaucoup de Loges constatent, avec aigreur et tristesse, le nombre croissant des désaffections de leurs nouveaux initiés, même seulement après quelques tenues. Le processus de fidélisation, alors, a raté. Pourquoi ?
Parce que le processus d’intégration et de fraternisation est un processus difficile d’empathie, de formation, de partage, d’accomplissement d’une communion dans la joie. Les deux Surveillants ont un rôle capital à jouer dans ce processus. Le rituel, quelque magnifique soit-il, ne suffit pas. Les Surveillants doivent s’engager personnellement et profondément et continûment dans ce travail d’intégration et de fraternisation. Ce n’est pas au jeune impétrant d’aller à la rencontre de la Loge, mais c’est, au contraire, à la Loge à tendre vers lui, à l’entourer, à fraterniser, à le stimuler et à l’encourager continuellement.
En bref :
- pour le parrain : recruter bien et suivre,
- pour le deuxième Surveillant : former bien, continûment.
- pour le premier Surveillant : motiver fort et continuellement.
Quelques aphorismes en guise de conclusion.
La Franc-maçonnerie régulière se fonde sur une Foi commune et rejette catégoriquement toutes les croyances et toutes les superstitions.
La Foi maçonnique tient en une seule phrase : la seule vocation du Franc-maçon est de contribuer inlassablement à la Construction spirituelle du Temple du Grand Architecte de l’Univers sur le Chantier du Réel, selon les Plans esquissés par le Maître Hiram dans le Volume de la Loi Sacrée.
La vie du Franc-maçon est tout entière consacrée à construire, selon les Règles de l’Art Royal et de la Géométrie Sacrée, le Temple du Grand Architecte de l’Univers, selon les plans immémoriaux donnés dans la Volume de la Loi Sacrée, et ce, sur le chantier de son monde.
Le Milieu divin est Un et se déploie sous trois modalités intriquées et toujours conjointes selon des proportions variables : la Matière qui fonde, la Vie qui évolue et l’Esprit qui construit.
La Pierre (qui est le matériau). Le Chantier (qui est le travail). Le Temple (qui est l’idée). Quoi ? Comment ? Pour quoi ?
Dieu[1] se trouve dans la beauté de la Pierre.
Dieu se trouve dans la communion du Chantier.
Dieu se trouve dans la sacralité du Temple.
Et Dieu est Un. Et Dieu est le Réel tout entier.
Chacun est une Pierre.
Chacun est un Chantier.
Chacun est un Temple
Ne sont Frères que ceux reconnaissant le même Père (intention) et la même Mère (tradition).
La Fraternité maçonnique repose sur l’intention commune de construire le Temple intérieur sacré à la Gloire du Grand Architecte de l’Univers, et sur la tradition commune de pratiquer rigoureusement les Rituels initiatiques répartis sur une échelle d’au moins trois degrés dans le respect des Anciens Devoirs.
Il faut en revenir aux fondamentaux : la Fraternité implique même Père et même Mère, et résulte d’une communion c’est-à-dire du fait de construire ensemble (cum munire) un même édifice, d’accomplir ensemble un même projet, une même vocation, une même mission.
Ainsi la Fraternité maçonnique appelle :
- un même Père : Le Grand Architecte de l’Univers, c’est-à-dire le Logos, l’Esprit, la Logicité qui préside à l’évolution du Réel qui est le grand Tout-Un dont l’humanité est une infime partie prenante ;
- une même Mère : la Tradition initiatique, c’est-à-dire une rituélie hiérarchisée sur trois étages : la réception des Apprentis, le passage des Compagnons et l’élévation des Maîtres ;
- une même Mission : construire le Temple de l’Alliance, c’est-à-dire accomplir l’humain et remettre l’humanité au service du Réel, de la Vie et de l’Esprit.
L’essence de la Franc-maçonnerie …
Le Prêtre parle de Dieu avec des Mots que porte la Voix.
Le Maître-maçon montre le Divin avec des Formes que révèle la Lumière.
Des bipolarités fondamentales se révèlent dans ces deux assertions : la Voix (qui vient de l’intérieur) et la Lumière (qui vient de l’extérieur), les Mots (la Théologie) et les Formes (la Géométrie), le Dieu (personnel et surnaturel du dualisme théiste) et le Divin (impersonnel et cosmique du monisme panenthéiste).
Marc Halévy
Septembre 2023
[1] Le Dieu dont il est question ici n’est, en aucun cans, le Dieu personnel et créateur, étranger au monde, tel que décrit par les théismes dualistes. Il s’agit bien du Dieu de Spinoza et d’Einstein.
Certains “cherchants” se tournent aussi peut être vers les sagesses ancestrales des peuples premiers remplis de symboles
D’accord avec ADAM, je dirais plutôt “riche article”, bien pensé, bien exposé.
Je rebondis sur deux passages :
1/«les “cherchants” qui, aujourd’hui, ont déjà compris la faillite de toutes les religions et de toutes les idéologies,[…] se tournent souvent vers les vieilles spiritualités monistes» . Il s’agit d’une tendance générale. Mon ouvrage “l’essence du christianisme et du judaïsme” (éditions Maïa) (en cours de crowfunding sur https://www.simply-crowd.com/produit/lessence-du-christianisme-et-du-judaisme/ ) est une nouvelle approche “moniste” du christianisme… Comme je l’écrivais dans mon dernier essai “les énigmes de la conscience” (Frison-Roche) quand une idée est dans l’air… elle est dans toutes les consciences…
2/plus inquiétant, « les Loges constatent, avec aigreur et tristesse, le nombre croissant des désaffections de leurs nouveaux initiés, même seulement après quelques tenues.» Stupéfiant ! j’ai 41 ans de maçonnerie, je n’ai jamais vu cela avec cette ampleur. Sur les 4 derniers initiés de ma L, un n’est jamais revenu, un est revenu une fois avant de disparaître, le troisième vient une fois sur quatre (“ayant la garde partagée de ses enfants, il préfère se consacrer à eux”…il aurait pu y penser avant).
Superbe analyse
Et un peu d’espoir en l’avenir