ven 22 novembre 2024 - 06:11

Néo-ésotérisme : du neuf avec du vieux, mais toujours toxique

Effet de vase communicant : la religiosité est en baisse, et les ésotérismes ont un succès croissant. Mais la science est, elle aussi, de plus en plus décriée. Panorama.

L’Express s’est fendu en août d’un numéro spécial dédié au néo-ésotérisme, faisant un tour de piste complet de son actuel succès auprès du grand public. Tentons de le comprendre.

Freud nous l’avait bien dit : le désir est le moteur universel. Mais il faut croiser ça avec notre besoin irrépressible de se raconter un beau récit, à peu près cohérent, sur le monde, avec nous dedans, de préférence au centre. Il y a un réel « désir de narratif ». Problème :  ça tombe un peu de tous les côtés, d’une manière telle qu’il est difficile de qualifier la marche du monde autrement que de « chaotique ». Ou serait-ce chaotique ? Ah non, l’idée d’un chaos non contrôlé est insupportable. D’ailleurs, j’ai lu quelque part « ordo ab chao », devise de gens bien.

On n’obtiendra une belle histoire lisse qu’en malaxant les faits, en en escamotant les « incongruités ». Et voilà le biais de confirmation : c’est la méthode de transformation de la somme de nos perceptions en une histoire-thèse conforme à nos désirs-besoins. Notre cerveau gauche a un module dédié à cela : « l’interprète », module qui fonctionne 100% en automatique, sans appel à la conscience.  Il pond en continu des justifications pour nos intentions, et d’autres, après coup, pour les actes commis. D’ailleurs tous les actes posés dans l’urgence sont décidés par d’autres modules tout aussi automatiques, et plusieurs secondes avant leur apparition à la conscience.

Mais revenons à nos besoins.

Un besoin permanent est celui du sentiment de contrôle.

L’incertitude, le hasard, sont des ennemis absolus, allumant les circuits négatifs, avec sensations désagréables, dans nos cerveaux (amygdale, insula etc.).

Nos ancêtres, face à l’hostilité apparente de leur environnement, ont d’abord eu envie de croire qu’un être supérieur veillait à leur bien-être, un peu genre le patriarche de la tribu. Et ce fut l’essor des religions. Nous connaissons les avantages et inconvénients des religions. Tout au long de l’Histoire des espèces de précurseurs des « gros rebelles » d’aujourd’hui ont contesté les enseignements prodigués par les clergés. Ces clergés étant menaçants pour les auteurs de pensées dissidentes, une plongée dans le secret était la suite logique. Le plaisir de se classer parmi les « sachants » et/ou « l’élite secrète » crée un liant, toujours actif ces jours-ci parmi les complotistes et autres alternatifs. Cela fait aussi partie des ressorts de succès de la franc-maçonnerie, soyons en certains. 

Les religions, qui ont toutes commencé par imposer une lecture littérale de leurs textes dogmatiques, écrits à des époques anciennes, ont progressivement perdu leur crédibilité sous les avancées de la science et ses preuves par des expériences reproductibles. Une vie agréable dans une société entièrement sécularisée est un modèle crédible… Non il n’est pas nécessaire qu’une morale, officiellement édictée dans le cadre d’une religion « révélée », soit présente. Et oui, des membres des clergés ont plusieurs fois été pris en flagrant délit de choses pas nettes du tout. Notre civilisation internet nous soumet à une pluie continue d’infos qui génèrent de l’indignation morale. Sous cette pluie incessante, notre seuil d’indignation ne cesse de baisser. Comme le constate Gérald Bronner, une insensibilisation grandissante nous guette.  

Bref, dans nos pays, la religiosité est en baisse, et notre soif de morale semble rester non étanchée.  

Tout de même, il faut admettre que plein d’aléas tels que les maladies ou les accidents ne sont pas planifiables, et l’angoisse correspondante continue d’exiger une réponse anxiolytique. L’ésotérisme a donc fait florès au 19e siècle. Théosophie, anthroposophie, apports asiatiques constitueront le terreau du New Age du 20e siècle et du néo-ésotérisme actuel.

Il faut dire aussi que la science, dès le début du 20e siècle avec la théorie quantique, a quitté son caractère simple et prédictif. Or nous recherchons tous un narratif simple. A la place, on trouve une complexité mathématique que l’on dirait voulue pour être réservée à une petite élite, et le retour de l’ennemi avec le « principe d’incertitude ». Ajoutons que la pensée politique fait souvent l’amalgame science = industrie = capitalisme = ennemi du peuple. Pour couronner le tout, les changements climatiques créent un apitoiement sur les « douleurs » que nous infligeons à la nature, et la crainte d’une vengeance de la nature ainsi humanisée (ou déifiée). Là encore, il est pratique de glisser la culpabilité sur le dos de l’ingénieur/chercheur/capitaliste. N’oublions pas que la science affiche l’état actuel des théories et s’autorise à les réviser si de nouveaux éléments s’imposent. Ce processus est normal mais compris par certains comme une dangereuse instabilité : des erreurs dramatiques qui imposent des révisions complètes. L’erreur est intolérable.

Bref, le besoin de croire est bien là et actif.

Les médias ont acté que les articles bienveillants envers toutes ces croyances rencontrent plus de succès que ceux au ton critique. Leur choix a donc été vite fait : chacun y va de son dossier, et sans questionner la chose.

Et voilà entre autres pourquoi internet nous offre une palette d’histoires en « prêt-à-croire » comme jamais . Toutes sont assorties d’un mille feuilles argumentatif bien pensé, qu’un individu si érudit soit-il ne peut réfuter tout seul. Arrive alors ce qui doit arriver :  chacun se choisit son histoire favorite et se met à la défendre, au besoin violemment. Les réseaux sociaux mettent en relation ceux qui pensent pareil, et les histoires clamées haut et fort deviennent des signes de reconnaissance. Celui qui parle le plus fort finit par monopoliser le média et étouffer les objections des uns et des autres. Il suffit de quelques gardiens du temple, suiveurs sourcilleux du gourou, pour que les textes soient figés et désormais enseignés comme des dogmes.

Les auteurs de pensées divergentes subiront diverses vexations. Bref, sectes et groupes ésotériques, même processus. La boucle est bouclée. Les pigeons seront plumés par les prédateurs :  stages onéreux, pleins de verbiage creux, questions gênantes interdites. Les institutions privées ou publiques seront cibles d’entrisme. Le système s’entretient en recrutant de nouveaux adeptes à la recherche d’histoires simples , avec des rôles clairs (bons et méchants), une hiérarchie très carrée (synergie possible avec l’extrême-droite, surtout s’il y a une dimension antisystème). La Miviludes tient tout ce petit monde à l’œil, ce qui ne l’empêche pas de prospérer.

La Franc-maçonnerie de notre pays reflète bien tout cela, je crains.

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Patrick Van Denhove
Patrick Van Denhovehttps://www.lebandeau.net
Après une carrière bien remplie d'ingénieur dans le secteur de l'énergie, je peux enfin me consacrer aux sciences humaines ! Heureux en franc-maçonnerie, mon moteur est la curiosité, et le doute mon garde-fou.

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