mer 06 novembre 2024 - 15:11

« Dès que vous aurez vos trois loges, je vous donne votre Grande Loge de Maurice »

De notre confrère de l’Ile Maurice lemauricien.com

Dans le sillage de la publication de son livre, intitulé La Veuve égyptienne et ses héritiers, Le-Mauricien a rencontré Joseph Tsang Mang Kin, ancien diplomate et ancien ministre de la Culture. Il s’appesantit sur l’histoire de la franc-maçonnerie égyptienne dans le monde, dans la région et à Maurice. Pour lui, la présence à Maurice de trois courants de la maçonnerie, à savoir le courant français continental, le courant anglo-saxon et le courant égyptien, fait de Maurice une île maçonnique. « C’est le résultat de l’histoire du pays » , dit-il, ajoutant qu’il « n’y a pas de pays plus tolérant et plus généreux que notre île Maurice »

Vous venez de publier « La veuve égyptienne et ses héritiers ». Parlez-nous de votre livre…
Il a été publié il y a quelques mois déjà et est déjà disponible en France et en Grande-Bretagne. Je voulais initialement le lancer depuis longtemps à l’hôtel Hennessy, mais cet établissement hôtelier est en rénovation. Finalement, mon livre a été lancé à Bagatelle, et j’en suis très heureux.

Ce livre est venu combler une lacune. J’avais commencé à l’écrire depuis longtemps. Je disposais d’une masse d’informations sur la situation de la franc-maçonnerie à Maurice, qui est assez exceptionnelle dans le monde. Très peu de pays ont la chance d’avoir les trois courants de la maçonnerie, à savoir le courant français continental, le courant anglo-saxon et le courant égyptien. C’est la raison pour laquelle j’avais dépeint à l’époque Maurice comme une île maçonnique, qui est le résultat de l’histoire du pays.
Mon livre a plusieurs objectifs. Je raconte l’histoire de la maçonnerie depuis l’ère égyptienne jusqu’à nos jours. La deuxième partie raconte comment la maçonnerie égyptienne a progressé à Paris et en Europe au 18e siècle. Elle s’est surtout répandue en Italie et en France. Et la troisième partie évoque l’histoire de la maçonnerie égyptienne dans l’océan Indien, notamment à Madagascar et aux Seychelles.

Vous vous êtes donc penché sur l’histoire de la franc-maçonnerie en général ?
Je me suis toujours intéressé à l’histoire de la maçonnerie à Maurice et dans le monde. Je dois dire merci à mon frère Rivaltz Quenette, qui nous a quittés, et qui était une sommité de la franc-maçonnerie, pour les recherches effectuées concernant Maurice. Je ne finis pas de regretter que son rêve, qui est aussi le mien, du fait que j’ai appartenu à sa loge pendant quelque temps, ne se soit pas réalisé. Les francs-maçons de tradition française à Maurice n’ont pas pris leur indépendance jusqu’à aujourd’hui.

Lorsque nous regardons à Madagascar et dans les pays africains, nous nous rendons compte que la plupart de ces pays, après avoir obtenu leur indépendance politique, ont recherché leur indépendance maçonnique de manière à mettre fin aux relations qui rappellent trop ces rapports de l’ère coloniale. La vérité est que ce sont non seulement les Mauriciens qui ne veulent pas se séparer des Français, mais aussi que ces derniers refusent également de le faire.

Je vous raconte une anecdote. Alors que j’étais ministre de la Culture (1995-2000) j’ai reçu un de Grands Maîtres de la GODF à la demande du Premier ministre d’alors, Navin Ramgoolam. En présence des membres de sa délégation et des hauts fonctionnaires de mon ministère, je lui avais demandé s’il n’était pas temps d’avoir à Maurice un Grand Orient de Maurice. Il s’est emporté et m’a dit : « Que voulez-vous ? Les Mauriciens sont contents d’être là. » Et agacé, il a ajouté qu’il n’avait aucune leçon à recevoir. Donc, la responsabilité est partagée. Il y a ceux qui ne veulent pas d’indépendance et ceux qui ne veulent pas donner l’indépendance.

Or, lorsque j’ai rencontré Robert Ambelain, alors Grand maître mondial du rite maçonnique de Memphis-Misraim, en mai 1977, il m’a dit : « Dès que vous aurez vos trois loges, je vous donne votre Grande Loge de Maurice. » C’était une mentalité différente. Il y a donc à Maurice ce courant français qu’on connaît bien grâce aux livres de Rivaltz Quenette et d’autres, dont Serge L’Hortalle. Mais les colosses de cette génération sont tous partis. Le dernier en date a été Joseph Foy. Je pense que je suis le dernier des Mohicans, tant d’un point de vue maçonnique que d’un point de vue politique, puisque je suis un des derniers à avoir connu Seewoosagur Ramgoolam, qui était non seulement le père de la nation, mais également maçon.

Que connaissez-vous du courant anglais ?
Du côté des Anglo-saxons, je ne connais aucun auteur mauricien qui a écrit sur eux. Il y a surtout eu des publications de circonstance, des livrets ou des documents pour célébrer le jubilé de telle ou telle loge anglaise ou écossaise. Donc, cette maçonnerie n’est connue que des Anglais. La seule chose que tous les Mauriciens savent est qu’il y a une loge maçonnique à Phoenix. Ce que nous savons moins, c’est que la franc-maçonnerie anglo-saxonne a fait son entrée à Maurice juste après la conquête de Maurice par les Britanniques. Cela s’est passé au moment du grand triomphe de l’Empire britannique. Les Britanniques avaient une vision du monde avec une seule obédience maçonnique à son service.

Cette ambition avait été exprimée par le gouverneur général du Bengale, commandant en Inde, Lord Moira, qui était le Grand Maître adjoint de la Grande Loge d’Angleterre, peu après son débarquement à Maurice en août 1813, après l’installation de Robert Farquhar au poste de gouverneur de l’île. Il s’était étonné de voir que dans cette étrange colonie de sa Majesté, les loges maçonniques étaient toutes françaises. Sous son impulsion, une loge Provinciale de l’United Grand Lodge vit le jour à Maurice en 1816, soit trois ans après la naissance de l’United Grand Lodge of England au Royaume-Uni. Le Provincial Grand Master était sir Robert Farquhar. Pour l’histoire, il faut savoir que c’est Lord Moira qui avait participé à une procession maçonnique sortie du temple afin d’effectuer la pose de la première pierre de la Cathédrale Saint-Louis.

Un autre moment historique, évoqué dans mon livre, il y a eu la séparation entre les loges anglaises de celles d’obédience françaises en France, en 1778. Les Français ont donné aux Anglais un prétexte en or pour les rejeter définitivement lorsqu’un Grand Maître français d’alors a, au nom de la tolérance, introduit le concept de liberté de conscience, au lieu de parler uniquement du Grand architecte de l’Univers. Les Anglais ont traité les Français d’athées et se sont séparés définitivement d’eux.

C’est à partir de ce moment que nous parlons des francs-maçons réguliers et irréguliers, les Anglais se considérant comme réguliers et fidèles à la tradition. Cette décision a eu des répercussions à Maurice, où les francs-maçons entretenaient de bonnes relations d’amitié et n’étaient pas d’accord avec cette querelle franco-britannique. Finalement, les Français ont reconnu que le cas de Maurice était assez exceptionnel et que les francs-maçons mauriciens pouvaient faire ce qu’ils voulaient.

Le courant égyptien se présente donc comme la troisième force à Maurice…
J’ai été initié en loge égyptienne à Bruxelles. J’ai tellement apprécié ce rite que j’ai commencé à entreprendre des démarches pour obtenir une patente du rite Memphis-Misraïm. C’est ainsi que j’ai été amené, après avoir franchi plusieurs étapes, à rencontrer le Grand Maître mondial Robert Ambelain. J’avais à l’époque qu’une année de maîtrise. Ce qui ne l’a pas empêché de me donner la patente pour la création des loges à Maurice et dans la région de l’océan Indien.

J’ouvre une parenthèse dans mon livre pour expliquer l’importance de l’obédience Memphis Misraïm. Pendant la guerre, lorsque les Allemands sont entrés dans Paris, ils ont occupé le siège du Grand Orient de France. Ils ont saisi les archives et les fiches qu’ils ont transportées en Allemagne. Par la suite, à la fin de la Guerre, tous les documents sont partis en Russie. Ils ont ensuite rendu une partie à la France.

À cette époque, toutes les loges étaient fermées et interdites en France. Les vénérables ont été arrêtés et certains ont été envoyés en camp de concentration. Il n’y avait pas de maçonnerie pendant trois ou quatre ans dans l’Hexagone. La seule maçonnerie qui avait réussi à survivre durant la Deuxième Guerre mondiale était celle de Robert Ambelain. Il avait créé une loge Alexandrie d’Égypte et avait réussi à s’arranger pour organiser des tenues chez lui, dans la clandestinité, pendant quatre ans sans arrêt.

Cette loge a initié de grandes personnalités françaises. Il y a eu des témoins. À la fin de la guerre, Robert Ambelain est devenu héros de la résistance en raison de son courage. De facto, on lui a confié la direction de l’obédience Memphis-Misraim, reconnue par les grandes loges de l’Europe et de l’Amérique latine, sauf l’Italie, qui revendiquait la grande maîtrise mondiale. Toutefois, ils n’étaient pas qualifiés pour le faire. Il se trouve que si les franc-maçonneries anglaises et françaises utilisent un corpus ésotérique judéo-chrétien, une large partie des grades de la franc-maçonnerie égyptienne est puisée en dehors de ce corpus.

Vous avez donc participé au développement de l’obédience Memphis-Misraïm ?
Comme je vous l’ai dit plus tôt, j’ai obtenu la patente de Memphis-Misraïm en mai 1977 des mains de Robert Ambelain. J’ai facilité son implantation dans la région de l’océan Indien. À un moment, alors qu’il y avait de problèmes au sein de l’obédience en Europe, on a fait appel à moi pour avoir des patentes afin de travailler dans les hauts grades. Il n’y avait plus de succession de Roberd Ambelain. Moi qui suis encore vivant, j’étais devenu son dernier héritier direct.

Est-ce vous disposiez des patentes de Memphis-Misraïm ?
Oui, jusqu’à septembre de l’année dernière, lorsqu’une dizaine de pays se sont réunis à Maurice pour créer une Confédération des souverains sanctuaires de l’océan Indien. C’est cette confédération qui a pris le pouvoir. Je me suis mis en retrait. Nous avons mis fin aux rapports quasi coloniaux. Dans chaque pays, il y a un souverain sanctuaire qui est indépendant et qui se rencontre au sein de la confédération.

Pourquoi avoir choisi ce titre, « La veuve égyptienne et ses héritiers », pour votre livre ?
Tous les francs-maçons sont les enfants de la veuve. La seule différence est que Memphis-Misraïm est de tradition égyptienne. Pour être plus précis, je peux dire que notre maçonnerie nous vient de l’Égypte ancienne.

Quelle preuve avez-vous pour affirmer cela ?
C’est une question qui m’a beaucoup tourmentée parce qu’on ne pouvait pas avoir de preuves. Les francs-maçons travaillent dans le secret. C’est seulement au milieu du siècle dernier que les égyptologues ont mis la main sur un document qui dormait dans un sarcophage depuis plusieurs millénaires. Celui qui est enfermé dans ce sarcophage a subi des initiations dans trois endroits. Il a fait un compte rendu de ses initiations. Comme il n’avait pas le droit de parler, il les a écrits pour lui-même. Aujourd’hui, nous avons donc des documents de ces initiations et nous nous sommes à l’évidence que ce qu’il a décrit correspond à près de 80% à ce qu’on pratique aujourd’hui dans la maçonnerie égyptienne. Donc, on a aujourd’hui des preuves d’une source première.

Comment avez-vous procédé pour effectuer vos recherches ?
Comme je l’explique dans la préface du livre, c’est une version remaniée de ”Les héritiers de la franc-maçonnerie égyptienne de Memphis-Misraïm”. Ce livre est le résultat de mes recherches à travers la lecture d’une centaine de livres, de documents et de photocopies que j’ai reçus, achetés, conservés et archivés depuis bientôt un demi-siècle, et qui sont à la base de mes recherches et écrits. J’ai aussi consulté de nouvelles informations mises à jour par de nombreux chercheurs, entre autres par le biais d’Internet. Grâce aux applications qui permettent la traduction instantanée de textes, j’ai pu avoir accès à des publications et écrits en italien, qui sont d’importance capitale dans les études des rites égyptiens.

En fait, votre livre est un récit historique…
Je raconte le cheminement d’une partie de l’histoire de l’humanité et je donne mon interprétation personnelle de plusieurs situations historiques. Par exemple, je critique l’empereur Constantin pour ce qu’il a fait de l’église catholique et je réhabilite le roi d’Angleterre Henri VIII , ainsi que des personnalités comme John Yarker, un homme de droiture.

Entre l’an 325 et l’arrivée d’Henri VIII, toute l’Europe était catholique grâce à l’empereur Constantin, jusqu’à ce qu’Henri VIII décide de rompre avec l’église catholique de Rome pour créer l’église d’Angleterre, dont il est devenu le chef.

Lorsque j’étais au collège, je détestais ce roi qui avait répudié ses femmes. Par la suite, j’ai pris conscience que grâce à lui, les esprits se sont libérés. Car en prenant son indépendance par rapport à l’église de Rome, il a permis aux écrivains britanniques de s’exprimer.

Francis Bacon, un des pionniers de la pensée scientifique moderne, a commencé à écrire des essais qui sont des réflexions sur soi et sur la société. Cela n’était pas possible à cette époque. C’est le début de la littérature anglaise avec William Shakespeare. À la Royal Society of Science, la recherche scientifique se développe et on voit l’émergence de scientifiques de l’envergure d’Isaac Newton, entre autres, dont les découvertes sont encore valables jusqu’à aujourd’hui. Tout compte fait, je n’ai fait qu’ouvrir des pistes de recherches pour les chercheurs à l’avenir.

Vous dites que vous n’auriez pas écrit ce livre si vous n’étiez pas né à Maurice…
Tout à fait. Naître dans cette île, c’est avoir la chance de devenir un citoyen du monde universel. Vivre dans cette île, c’est côtoyer quotidiennement des héritiers de trois grandes aires de civilisation : l’Europe, l’Afrique et l’Asie. C’est baigner dans les cultures autres qu’occidentales, les cultures indiennes, chinoises, malgaches, africaines, et connaître de l’intérieur les richesses millénaires que transportent et véhiculent les descendants des immigrés que nous sommes tous, nés ici.

Être né à Maurice, c’est non seulement avoir accès dès sa naissance à l’anglais, au français et au créole, mais également aux principales langues de l’Asie, dont le tamoul, l’hindi, le télougou, le marathi, le mandarin, le cantonais, le hakka, que d’ailleurs nous entendons tous les jours, soit autour de nous, soit par le biais de nos radios ou télévisions nationales.

On dit que je suis Chinois, mais je n’ai pas de passeport chinois. Et je suis plus riche que ceux qui sont nés là-bas, avec une seule culture. Étant né à Maurice avec la culture mauricienne, cela me permet de comparer et de voir qui a raison et qui a tort.

Si vous lisez les livres des auteurs français sur la maçonnerie égyptienne, ils critiquent tous les francs-maçons belges. Ils ont tort, dans ma réinterprétation de l’histoire, et je réhabilite des francs-maçons belges. Parce que nous sommes nés à Maurice, nous sommes forcés d’avoir un esprit ouvert et une attitude de tolérance vis-à-vis de nombreuses croyances, même si l’on pense sincèrement qu’elles sont pour la plupart des fables, des mythes ou des superstitions. Il n’y a pas de pays plus tolérant et plus généreux que notre île Maurice.

C’est fort de cette expérience multiculturelle et multireligieuse que j’ai été amené à regarder l’histoire des rites égyptiens non pas avec les yeux des Français, des Belges, des Anglais ou des Italiens, ou même des Égyptiens, mais avec ceux d’un Mauricien.

D’autres publications en préparation ?
Certainement. Dans le cadre de la recherche de la vérité, j’ai plusieurs projets pratiquement prêts pour la publication. Je dois toutefois faire quelques retouches afin de les peaufiner. J’ai récemment publié deux essais dans la Collection Radical. Ils avaient été présentés dans le cadre des travaux initiés par Jack Bizlall et un groupe d’amis sur une nouvelle Constitution pour Maurice. Les essais sont intitulés: Les malheurs des 60-0 et Le projet Fair-play. Dans le premier, je dénonce l’amendement No 2/1982 introduit par le gouvernement MMM-PSM après la victoire de 60-0 en 1982. Je tiens pour responsable Paul Bérenger, parce qu’il était l’homme fort de ce gouvernement. À mon avis, cet amendement est à la source de nos problèmes institutionnels et sociaux d’aujourd’hui. Dans le projet Fair-play, je propose une réforme électorale susceptible de répondre aux aspirations des Mauriciens.

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