J’étais en Loge il y a quelques soirs et comme la date fatidique de mise en ligne de mes textes approchait, je me suis connecté et j’ai cherché une idée d’illustration pour mon billet sur les ressources humaines. C’est donc tout naturellement que j’ai cherché une représentation de marchands d’esclaves et que j’ai choisi une représentation du Marché aux Esclaves d’un peintre du XIXe siècle que j’aime beaucoup, Jean-Léon Gérôme. Illustre inconnu ? Allez visionner la scène d’ouverture de Gladiator de Ridley Scott. C’est ce M. Gérôme qui en a réalisé le story-board.
Plus sérieusement, dans le tableau que j’ai choisi, on y voit un marchand d’esclaves romain vendre sur le marché une femme nue. Représentation picturale dans un courant artistique du XIXe siècle qui ne devrait choquer personne, en principe. Sauf que…
Il faut savoir que pour la promotion du site, nous passons par les réseaux sociaux, notamment Facebook. Pour l’annonce de la publication, une miniature de la page apparaît sur le fil d’actualité. Sauf que l’algorithme Facebook n’a pas fait apparaître l’image du tableau de Gérôme. Nous avons donc décidé de changer l’illustration pour la bonne marche de la promotion du blog et du site. Mais tout cela me pose un certain nombre de problèmes.
Le premier problème, c’est qu’un algorithme décide de ce qui est décent ou pas. Bon, Facebook est une entreprise américaine, et reste maître de ce qui peut être affiché ou pas. Tout comme dans South Park (le film), on peut, je cite, « montrer des images violentes mais pas de grossièreté ni de vulgarité ». Par ailleurs, les américains sont connus pour leur pudibonderie et leur puritanisme. La tartufferie fait partie de la culture : « Cachez ce sein que je ne saurais voir ». Des polémiques éclatent régulièrement à ce propos : des enseignants voient leurs posts censurés pour cause d’image « inappropriée ». Donc, une copie du Marché aux Esclaves de Jean-Léon Gérôme ou de celui de Gustave Doré seraient des images inappropriées, qui pourraient heurter la sensibilité de certains. On en revient à cette dictature de la sensibilité. Pour ne pas heurter la sensibilité d’une minorité d’incultes, on se prive d’esthétique ou d’oeuvres d’art. Vive l’hygiénisme à l’américaine, vive ce charmant pays où on peut acheter des armes en vente libre mais surtout pas montrer un tableau de Gérôme ou de Doré représentant un corps féminin nu. Bon, comme tous les puritains, ces braves gens n’aiment pas les femmes, et en bons tartuffes, préfèrent accuser le corps féminin d’être plutôt que maîtriser leur pulsions. Mais quel tas d’hypocrites !
Mais il y a un autre problème qu’on occulte, parce que méconnu : les travailleurs du clic. J’ai découvert via la série de reportages Les Invisiblesi que les fameux algorithmes avec lesquels on nous rebat les oreilles sont une vaste fumisterie, pour ne pas dire une escroquerie. Le fameux auto-apprentissagen’existe pas. L’ensemble de la base de données qui alimente les algorithmes de choix est en fait configuré par des travailleurs humains (qui soit dit en passant sont payés une misère) qui doivent répondre à des questions en cliquant. Leur réponse alimente la base de données qui sert à l’algorithme de décision. La même escroquerie que l’automate joueur d’échecs du XVIIIe siècle, ce fameux « Turc mécanique » en fait animé par un nain, complice du concepteur… Décidément, le monde ne change pas. Nous sommes des gogos lâches et paresseux, qui préférons confier nos responsabilités à des machines mal programmées.
Le troisième problème est l’extraterritorialité du droit américain. Qu’on ne puisse pas publier chez les ricains un texte illustré par un tableau de Gérôme, soit. Mais nous sommes en France, non ? On ne peut donc plus mettre à l’honneur le patrimoine français au nom d’une pudibonderie très mal placée ?
En fin de compte, ces histoires de réseaux sociaux ne sont qu’une immense tartufferie. Le seul intérêt de leurs dirigeants, c’est le profit. Le reste, rien à battre. Et nous nous laissons faire.
En tant que Franc-maçon et homme libre, je suis en quête de la Vérité et je ne reconnais aucune entrave à ma quête, et certainement pas un algorithme à la noix. J’ai fait miennes un certain nombre de nos recommandations, comme « chercher l’esprit derrière la lettre » ou « ne point se forger d’idoles humaines » ou encore « n’accepter pour vraie qu’une idée que j’aurai éprouvée comme telle ». La Franc-maçonnerie m’a apporté un esprit critique que mon entourage qualifie d’au-delà de la mauvaise foi. Je m’estime donc assez mûr pour savoir ce qui est bon pour moi ou pas. C’est cet esprit critique qui me permet de résister à la tentation de cliquer sur tout et n’importe quoi et de ne pas avaler n’importe quel boa constrictor. Il m’est donc insupportable qu’une machine me dise quoi faire. Je ne suis pas un objet, je ne suis pas un numéro, je suis un homme libre (et de bonnes mœurs, malgré mon amour pour l’oeuvre de Gérôme).
Ne nous laissons plus faire.
J’ai dit.
iFrance.tv/slash.