De notre confrère actu.fr – Par Jean Lavalley
Le 26 janvier 2023, Philippe Charuel, ancien Grand Maître de la Grande Loge de France, a animé une conférence publique à l’hôtel Le Cercle à Cherbourg (Manche).
Le 26 janvier 2023, Philippe Charuel, Grand Maître de la Grande Loge de France de 2015 à 2018, a animé une conférence publique à l’hôtel Le Cercle à Cherbourg (Manche). Il nous a accordé un entretien.
Actu : La fracture de la société française est devenue un thème récurrent. Est-ce pour vous un sujet de préoccupation ?
Philippe Charuel : La maçonnerie s’est toujours préoccupée de problèmes qui touchent son temps. Au début du XVIIIe siècle, nous avions travaillé sur la pauvreté du peuple quand une minorité vivait dans l’opulence. Plus que l’égalité ou l’équité, la maçonnerie cherchait l’efficacité. Beaucoup de jeunes de l’époque auraient sans doute pu devenir des Mozart, Einstein ou Marie Curie, mais ils n’ont pu qu’essayer de subsister. Donner des moyens suffisants au plus grand nombre, c’est donner à la société en général les moyens aux plus compétents d’aider le collectif. Cela prend du temps : la Révolution française n’est arrivée qu’en 1789… Au XIXe siècle, les enfants n’allaient pas à l’école, mais à la mine ou aux champs. Nous nous sommes battus, dans les loges, pour changer ce système. Lorsque certains d’entre nous sont arrivés au pouvoir, Jules Ferry, Emile Combes, Jean Macé ou Léon Gambetta par exemple, ils ont fait passer des lois rendant l’école obligatoire et gratuite. Au grand dam des ouvriers, parce que l’enfant ne ramenait plus d’argent à la famille, alors que les industriels, eux, voyaient plutôt la montée des compétences.
Il n’y a pas, aujourd’hui, que la fracture sociale ou financière…
P. C. : Il y a aussi celle entre les générations. Elle provient de l’éclatement de la famille, d’un rythme de vie qui a fortement évolué si on compare avec celui de nos grands-parents. Le niveau de vie, quoi qu’on en pense, a augmenté. Et quand on est dans le confort, on se bat pour en avoir un peu plus, en délaissant les vraies valeurs, notamment celle de la famille. Parfois, ça explose, en laissant des enfants sur le carreau. La technologie et le progrès sont aussi allés tellement vite que les jeunes aujourd’hui fonctionnent avec des outils que nous avons générés, mais dont nous n’étions pas esclaves. Eux le sont. Ce que nous essayons de faire, c’est d’aller vers cette jeunesse, où elle se trouve, pour comprendre ses préoccupations et essayer d’échanger sur les valeurs essentielles, des moments d’espérance qui vont leur donner plus de possibilités de se construire.
Pas simple avec les réseaux sociaux…
P. C. : Le gros problème, c’est qu’il est difficile de vérifier la viabilité de l’information. Avec le danger de radicaliser des gens à partir de fausses informations.
Et la radicalisation ?
P. C. : Il y a effectivement une fracture des communautarismes. Certaines tendances religieuses radicalisées, quelle que soit d’ailleurs la religion, attaquent ce qui correspond à la libre-pensée et l’ouverture d’esprit. Nous essayons d’y répondre. La franc-maçonnerie a un caractère universel. Dans les loges, les gens se côtoient et découvrent des cultures qui ne sont pas les leurs. À la Grande Loge de France, nous recevons ainsi régulièrement, parfois ensemble, le recteur de la mosquée de Paris, le grand rabbin de France, des archevêques… Ce sont des ponts qui doivent nous aider à passer des messages.
La société n’est-elle pas aussi coupée en deux, entre résignés et révoltés…
P. C. : Il y a des révoltes légitimes. Quand j’observe la montée du Front national, le Rassemblement national désormais, je ne pense pas qu’elle signifie forcément une montée du rejet de l’autre. C’est plutôt celle d’un mécontentement qui n’est pas bien défini, celui de gens qui veulent que l’on repense les choses. Ce que ne font pas vraiment les partis politiques traditionnels.
« Il y a des révoltes légitimes »
Et maintenant, quels sont vos sujets de réflexion aujourd’hui ?
P. C. : Les thématiques sur lesquelles nous travaillons concernent des sujets éthiques, par exemple la fin de vie ou le transhumanisme. Quand par des cellules-souches, on peut régénérer des organes, c’est un progrès.Vidéos : en ce moment sur Actu
Quand on remplace, dans des usines, l’homme par la machine pour les tâches les plus ingrates et répétitives, c’est un progrès. Mais le transhumanisme peut aussi aller jusqu’à créer des hommes parfaits, ce qu’ont cherché à faire les nazis…
P. C. : Il faut donc mettre des verrous : ce n’est pas que l’affaire des scientifiques ou des politiques, cela concerne tout le monde. Il faut s’engager.