sam 23 novembre 2024 - 03:11

Réflexions sur le « Golem »

L’idée est universelle : l’homme créé un être vivant selon son image et à sa ressemblance. Cette idée s’exprime par des histoires, contes et légendes et sous les voiles des symboles et des allégories de tous les peuples et de toutes les cultures.

Cette idée est contenue dans la légende du GOLEM, associée par la rumeur publique à un grand sage d’Israël : le Haut Rabbi Loew de Prague, appelé aussi le Maharal.

Nous sommes au XVIème siècle, ou la rose fleurit dans le baroque. Des personnages tels que Copernic, Tycho Brahé, Giordano Bruno et Képler entrèrent dans la scène. Nous sortons de ce Moyen-Age magique pour nous fondre le temps florissant des sciences secrètes à la Cour de l’Empereur Rodolphe II de Habsbourg, l’âge d’or pour la magie, l’alchimie, la Kabbale et le charme mystérieux du ghetto de Prague. J’y trouve la trace d’un monde aujourd’hui disparu, celui de mes origines.

Le mot Golem est bien plus ancien, il en est question dans la bible, dans le Talmud et dans la littérature juive médiévale. Il est transmis justement par les Hébreux, ceux qui comme l’indiquent leur nom ont pour mission de traverser.

La mention du Golem se trouve dans la Bible, dans le récit de l’exode et dit :

Affiche du film Le Golem réalisé par Paul Wegener en 1920.

« Vous accueillerez l’étranger, vous l’aimerez comme s’il était l’un des vôtres, car vous étiez étrangers dans le pays d’Egypte »

« Tendez vos paumes et choisissez votre destin, mais ne comptez pas que le Saint Nom vous épargne le devoir de l’accomplir ».

La création du Golem c’est la création d’une chose informe, d’un corps sans âme. C’est la création d’une RESISTANCE par la croyance, la foi, le spirituel.

Le contexte géo-politico-spirituel de l’époque est tel, que les juifs sont poursuivis, persécutés et souvent exécutés. Ils ne peuvent vivre que proches d’une ville, dans un lieu retranché, fermé la nuit : un ghetto.

Existent également des guerres intestines entre chrétiens, catholiques et protestants.

L’histoire du Golem se moule dans le thème de l’apprenti sorcier justement à l’époque où la Renaissance italienne pénètre l’Europe entière et répand le message humaniste : connais-toi toi-même et reconnais-toi comme une PERSONNE, cette notion de se reconnaître comme un HOMME avec un grand H, je dirais aussi comme un véritable ETRE HUMAIN en possession de tous ses moyens, de toutes ses qualités, de tous ses potentiels…est aussi universelle, on la retrouve dans beaucoup d’autres cultures. Dans la culture ASHKENAZE, il y a un mot en yiddish pour définir ce que tout être humain doit devenir : un MUNCH (homme en allemand et même mot en yiddish).

Se reconnaître comme une PERSONNE et non plus seulement comme membre anonyme d’une corporation ou d’une famille et signe tes œuvres, C’est-à-dire prends tes responsabilités.

La Renaissance inscrit son message dans le lieu de vie : à chacun de se reconnaître comme un homme libre, digne de produire un destin personnel. C’est le message de l’humanisme. L’homme médiéval se reconnaît dans un groupe, famille, corporation, église. Au contraire, la Renaissance montre la beauté et le sens des Anciens, c’est à dire de ce qui a été produit par l’homme avant que le christianisme constitue la référence unique.

Représentation du rabbin Loew et de son Golem, par Mikoláš Aleš (1899).

Rabbi Loew dit Le Maharal arrive à Prague en 1573 et s’y éteint en 1609, âgé de 97 ans. Sa réputation ne cesse de grandir depuis sa mort. 300 années s’écoulent et dans le Prague de Franz Kafka, de Rainer Maria Rilke, d’Arnold Schonberg et de Max Brod, l’artiste tchèque Ladislav Saloun élève la statue du Maharal dans une grande niche de l’entrée monumentale de l’Hôtel de Ville. Il est montré debout, la tête légèrement inclinée à gauche et agrippée à son bras, se tient Eva, sa petite fille.

Il y a toujours une autre lecture possible de la réalité. Chaque lecture, enseigne le Maharal, n’exclut pas l’autre, mais s’ajoute. Produire du sens n’exclut pas le sens pré-éxistant.

Il convient d’insister sur le fait suivant : jamais le Maharal ne s’est lui-même attribué un pouvoir de cette nature. Jamais il n’a parlé du Golem. Le mythe du Golem se développe après sa mort, autour de lui, comme s’il s’agissait de représenter son souvenir.

Le sens original du Mythe s’enracine dans le mot grec qui signifie mensonge. Le Mythe est le mensonge qui dit la vérité voilée sous l’apparence.

La création de l’homme par l’homme, illustrée par la légende du Golem s’inscrit dans l’idée selon laquelle le but de l’homme est la domination de l’Univers grâce à son industrie.

Le Maharal était un savant et un sage. Il rayonnait. Reconnu et recherché par le pouvoir en place incarné en la personne de l’empereur Rodolphe, il était ce qu’il est convenu de nommer un homme d’influence. C’est pourquoi la rumeur publique, ce phénomène étrange de la psychologie collective, lui a attribué le pouvoir de créer un robot anthropomorphe.

Rabbi Loew de Prague est aussi l’auteur des règles (takkanot en hébreux) d’une société charitable qui prend en charge les sépultures des membres de la communauté, analogue aux confréries de pénitents dans le monde chrétien. Ces règles seront confirmées par le gouvernement autrichien et appliquées du XIIème au XXème siècle. Elles concernent aussi l’impôt, la participation aux frais, la fabrication des tombes et leur entretien, la répartition et la définition des fonctions. Contrairement à la plupart des docteurs juifs de l’époque le Maharal n’a pas laissé une Ecole, avec des disciples qui cultivent son enseignement. Il est un penseur solitaire et produit une philosophie originale. C’est un kabbaliste ouvert et non dogmatique qui voit dans la vérité un projet et non une « chose » déjà dite.

Un personnage important dans l’histoire du Golem est EVA, la petite fille chérie du Maharal, à laquelle il a transmis son savoir, rompant ainsi les préjugés à la mode dans certains milieux arriérés qui excluaient les femmes de la science et les reléguaient dans les tâches serviles.

Le Rabbi Loew s’est mis à fabriquer un être de boue, ayant eu un rêve qu’il considérait comme une inspiration divine. Il a été fabriqué en mars 1580 dans une tuilerie désaffectée du sud-ouest de Prague. Le Rabbi a été assisté par deux aides, dont un a représenté l’élément feu et l’autre l’élément eau. Et le Rabbi représentait l’élément air, symbole de la parole et le Golem représentait l’élément terre.

Le rituel a commencé à la lueur des flambeaux vers quatre heures du matin. D’abord ce fut une statue en argile d’à peu près un mètre et demi, couchée sur le dos puis il a été procédé au rituel en tournant en rond autour de la statue en cercle, 7 fois.

C’est l’assistant Katz, représentant l’élément feu qui a commencé en récitant une formule magique Kabbalistique. Ensuite, en sens inverse, en contournant la statue, l’assistant Sasson, représentant l’élément eau, a procédé de même en récitant le même texte. La statue devenait humide et de la vapeur en sortait. Pour terminer le rabbi Loew l’a contourné lui-même sept fois et a mis sous sa langue une combinaison secrète de 72 mots, signifiant le nom ineffable de Dieu, puis a inscrit sur son front le mot VERITE, EMETH en hébreux. Finalement, en s’inclinant tous vers les 4 points cardinaux, ils ont récité ensemble le 7ème verset de la Genèse et le GOLEM devint vivant. Le Rabbi lui a ordonné de se lever, il l’a vêtu et lui a indiqué son nom : Josille.

Le devoir du Golem était de découvrir les pièges que certains tendaient aux juifs, afin d’avoir des prétextes pour justifier leurs persécutions.

Le Golem, privé de la parole travaillait et s’occupait surtout de la sécurité des habitants du ghetto. Un vendredi, le Rabbi a oublié d’ordonner au Golem ce qu’il avait à faire pour assurer la sécurité. Le Golem n’ayant pas reçu d’ordre a montré son essence vitale grossière et s’est mis dans une rage folle. Il était d’autant plus immaîtrisable qu’à cause de sa croissance rapide, il mesurait alors plus de 2 mètres. Le Rabbi fut prévenu et interrompit son office pour se hâter afin de maîtriser le Golem.

Avant de se retrouver face à sa créature, il dénoua le lacet d’un de ses souliers. Une fois devant le Golem il lui ordonna d’en refaire le nœud. Le Golem s’agenouilla afin d’atteindre le soulier. Le Rabbi se trouvait alors à portée de main du visage du colosse et put effacer la première lettre du mot EMETH qui était inscrite sur son front. Il en changea ainsi irrémédiablement le sens. Sur le front du Golem on lisait désormais le mot METH c’est à dire MORT et l’être artificiel redevint dans l’instant une statue d’argile inanimée.

La légende prétend que le corps du Golem repose toujours dans le sous-sol de la vieille synagogue de Prague.

C’est ainsi que le Rabbi Loew créa le Golem, sous la pression des juifs du ghetto de Prague qui étaient dans un état d’épouvante…. Après toutes les persécutions qu’ils avaient subies. Ce Golem arrêta les Gentils qui venaient tuer les juifs, la force de cette boue était phénoménale et bien qu’il repoussât l’ennemi, personne ne pensa à crier victoire, car cette puissance créée pouvait échapper à son créateur.

Que représente le Golem ? et que représente-t-il pour nous Francs-maçonnes et Francs-maçons ?

Gustav Meyrink écrivain allemand qui a romancé le premier l’histoire du Golem, dénonça toute sa vie la léthargie, l’état de sommeil dans lequel évoluait l’humanité. « L’Homme est fermement convaincu qu’il veille », déclare-t-il, mais en réalité, il est prisonnier d’un filet de sommeil et de songes qu’il a lui-même tissé !

L’initiation est d’une certaine manière notre premier acte de volonté. Elle nous a permis de quitter la dépouille de la « vieille femme » ou du « vieil homme » que nous étions et de passer à un autre état, celui de l’éveil.

Dégrossir la pierre brute signifie alors travailler à transformer notre Golem en femme nouvelle ou homme nouveau, celle ou celui qui, d’éveil en éveil, tend vers la Lumière et la Vérité, celle qui peut être sauvée comme le déclarent les Anges dans la seconde partie du Faust de Goethe :

« Celui qui sa vie durant essaie de se dépasser, celui-ci sera sauvé ».

Se dépasser, oui il me semble que cela fait aussi partie de notre chemin Maçonnique. Non pas uniquement pour être sauvé, mais pour mieux apprécier le parcours, pour tendre vers une certaine liberté de conscience, pour découvrir à chaque T. ce qui nous constitue, pour trouver notre place de femme ou homme libre dans le monde.

Il n’est pas anodin que le Golem soit composé d’argile, une des matières minérales les plus malléables qui soient. Si la vérité est inscrite sur son front, elle est absente de son cœur. Dénuée de libre-arbitre, aucune pierre brute ne résiste aux assauts de sa volonté. Evitons également l’adoration d’un autre être ou d’une chose, le danger peut être grave d’une influence négative ou bien même d’une influence de quelque nature qu’elle soit.

Etre façonné à loisir par d’autres, c’est bien le contraire de la liberté absolue de conscience dont nous parlons en Loge.

Qui est en quête de vérité donnera du sens à sa vie….

On peut voir que lorsque le Golem représente l’être perfectible que nous portons en nous, il devient notre double symbolique sur le chemin de l’Initiation.

Le Rabbi a été victime de sa certitude de créer un être parfait. Le Golem n’est qu’une image de son créateur, l’image d’une de ses passions qui grandit et risque de l’écraser.

Pour me défaire de mes propres certitudes, je médite sur le précepte d’un autre Rabbi que j’apprécie beaucoup, le Rabbi Naham de Braslav qui dit : « Ne demande jamais ton chemin à quelqu’un qui te connaît, car tu ne pourras pas t’égarer ».

On peut voir dans cette histoire, que les persécutions subies par les juifs les ont amenés à vouloir se défendre. Le peuple juif aujourd’hui n’est plus ainsi menacé mais je voudrais donner des précisions concernant les descendants du peuple juif et plus largement les descendants de génocides :

Ce dont a, peut-être hérité, le peuple juif après toutes les persécutions, de cette époque dont je viens de parler jusqu’à aujourd’hui, en passant par la shoah qui a été le summum dans leur histoire, c’est d’une certaine sensibilité et non pas sensiblerie qui permet aux descendants des survivants, d’être plus vigilants, d’être plus à l’écoute des prémices du rejet de l’autre, car cela commence par une parole désagréable voir malencontreuse et blessante pour finir par des actes barbares… L’Histoire nous l’a bien démontrée…

Me concernant, cette sensibilité s’est affinée après plusieurs années de travail au sein de l’association du Wagon souvenir des Milles. Travail en équipe avec d’anciens déportés et d’anciens résistants. La vigilance était le maître mot, informer et transmettre les suivants…

Il n’y a, d’ailleurs pas que le peuple juif, car malheureusement, les rwandais et les arméniens ont également eu leur lot de génocides. Peut-être faut-il penser que les générations qui ont subies ces génocides, sont plus attentives et plus à l’écoute pour éviter que cela ne se reproduise.

Et pour aller un peu plus loin, ne pourrait-on penser que cette vigilance nous concerne toutes et tous et que nous devons être des sentinelles toujours prêtes à réagir ?

Peut-être est-ce en exprimant un peu nos doutes que nous parviendrons à faire vivre une parcelle de vérité…

Le roman de Gustav Meyrinck, mais également l’Histoire Etrange du Golem de Daniel Béresniak, ainsi que le roman de Mareck Alter « Le kabbaliste de Prague » sont des lectures indispensables sur ce thème.

2 Commentaires

  1. Selon la traduction du dictionnaire de Sender Treniel, Golam signifie “sans intelligence”, “fœtus”, “matière informe”. C’est en psaume;139,16 que l’on trouve l’expression “Tes yeux me voyaient, quand j’étais une MASSE INFORME” (traduction Mechon Mamre). ( גָּ לְ מִ י)
    Je ne vois pas le rapport avec le mot “l’étranger” dont le mot hébreu n’a pas la même racine ( גָּ ר) (Deutéronome;10,19). Si vous pouviez m’éclairer avec quelques précisions sur ce rapport que vous établissez, merci.

  2. En parlant du Golem, comment ne pas se remémorer la magnifique et magique expo temporaire de 2017 intitulé « Golem ! Avatars d’une légende d’argile » au musée d’Art et d’Histoire du judaïsme (mahj) à Paris et de son non moins remarquable catalogue officiel (Éds. Hazan, Coll. « Catalogues d’exposition », 184 p., 32 €).

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Ida Radogowski
Ida Radogowskihttps://forms.gle/jqqZUgXG4LN6vv9aA
Pratiquante bouddhiste depuis plus d’une trentaine d’années, continue de suivre régulièrement des enseignements auprès de maîtres du bouddhisme Theravada-moines de la forêt (bouddhisme de l’Asie du sud-est) et pratique la méditation régulièrement. Ida a pratiqué pendant longtemps le hatha-yoga, s’est imprégnée d’une certaine philosophie hindouiste moderne (Swami Prajnanpad et Krischnamurti). Je guide depuis plusieurs années des séances de yoga-nidra (yoga relaxation) auprès de différents groupes. Ses thèmes de réflexion sont : l’éthique – le travail sur soi, la cohérence et rassembler ce qui est épars. Elle travaille dans le milieu du spectacle vivant depuis de nombreuses années en qualité d’administratrice de compagnies de théâtre et d’ensembles musicaux (gestion-administration). Ida a crée avec d’autres personnes LA LETTRE DES DEUX VOIES pour favoriser des échanges et des liens entre Francs-Maçons(nes) qui sont déjà dans une démarche bouddhiste ou qui souhaite connaître un peu mieux le bouddhisme. La lettre est trimestrielle et gratuite, on peut s’y inscrire en précisant son Ob., sa L. et la Ville de résidence à ce mail : lesdeuxvoies@orange.fr

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