Dans la Grèce antique, les dieux étaient souvent barbus, comme plus tard Charlemagne, « l’Empereur à la barbe fleurie ». Ces guides spirituels arboraient ainsi leur puissance et leur verdeur aux yeux des fidèles. Dans la cité avoir une barbe conforme aux normes en vigueur faisait partie d’une existence civilisée et la barbe, pour les citoyens, n’était pas seulement le signe distinctif de l’élite guerrière ou de la noblesse, mais elle symbolisait la sagesse des philosophes.
En un mot la barbe impressionnait !
Selon certains, les philosophes auraient même cherché par là à inspirer confiance à ceux qui écoutaient leurs discours !
De fait Socrate le plus célèbre d’entr’eux – et qui avait un visage fort laid – portait une barbe épaisse et n’attachait guère d’importance à l’esthétisme de son allure : il déambulait en effet dans les rues, été comme hiver, avec un vieux manteau ou vêtu d’une simple peau de mouton. Il est vrai que de son propre aveu il n’était pas très riche et que sa femme était plutôt avare de l’argent du ménage. On peut comprendre qu’il ne perdait pas trop temps chez le barbier et qu’il préférait aller de‑ci de‑là, dans les rues ou à l’agora, provoquer ses contemporains pour rechercher la vérité.
Il n’en allait pas de la sorte des sophistes ! Ceux-ci fréquentaient de belles villas dont les propriétaires sollicitaient leurs leçons et conseils pour eux ou pour leurs enfants en les rétribuant ensuite de manière conséquente. Les sophistes disposaient dès lors de ressources suffisantes pour soigner leurs apparences et rendre hommage à la beauté. Ainsi, dans le langage et les métaphores sur le corps, à cette époque, une barbe bien dégagée du bord inférieur de la lèvre et bien peignée, voire ondulée, faisait des barbes superbes témoignant au-delà de la masculinité, d’une force de caractère et d’intelligence en équilibre avec l’harmonie cosmique …
Épicure et ses disciples prenaient aussi grand soin de leur corps : ce soin n’allait-il pas de pair avec le soin de l’âme, l’un et l’autre participant de la recherche du plaisir, du bonheur et du contentement de soi ?
Quant à Aristote l’affaire était entendue. La barbe disait l’Homme ! Et il répondait à la question « Pourquoi les femmes ne portent elles pas de barbe ? « Parce qu’elles manquent de chaleur ! » Toutefois il montrait de la curiosité envers les femmes à barbe : « un mystère de la nature ! »
Plus tard, chez les Romains, le poète Ovide, dès le Livre I de L’Art d’Aimer, recommandait : « Que tes cheveux, mal taillés, ne se hérissent pas sur ta tête ; mais qu’une main savante coupe et ta chevelure et ta barbe ». («sit coma, sit trista barba resecta manu »).
Alors que penser de cette histoire qui courait à Athènes où chacun savait bien qui était qui ?
Elle raconte qu’un philosophe se rendit un jour chez le barbier, comptant sans doute sur ce moment de calme pour méditer les arguments de sa prochaine leçon. L’homme de l’art lui présenta la coupe de sa barbe en ces termes :
- « La barbe, la désirez-vous enroulée, bouclée, peignée, taillée en pointe, fleurie, épicée, huilée, pommadée ? Je peux vous la graisser à la cire d’abeille, la teindre au safran… à moins que, un peu de… Dites je la coupe comment ?
- « En silence ! » répondit le philosophe de la Cité.
On s’interroge encore : l’art du silence est-il bien celui qu’il convient pour couper en quatre les poils de trop ?
Source : Contes des sages de la Grèce Antique ; Patrick Fisshmann. Ed Seuil