« Au commencement était le silence ! » Je pourrais ainsi paraphraser avec une pointe de malice la première phrase de la Bible, puisque le silence, cette absence de bruit pour l’oreille humaine, tel que le définit le dictionnaire, le silence serait un état cosmique né avec l’Univers lui-même !
Mais en voulant dire ici, pour faire un mot, que le silence a précédé le Verbe, suis-je vraiment sûr de moi ? Par définition, il n’y avait évidemment pas de témoins humains lors du big bang. Si l’on fait confiance aux données de la science, il est imaginable que la gigantesque explosion originelle ait été muette. En effet, nous savons qu’un corps ne peut émettre un son que s’il vibre dans un milieu matériel, solide, liquide ou gazeux. Or, dans le vide sidéral, c’est-à-dire, sans air, aucune transmission vibratoire n’est possible. Sauf toutefois, nous dit cette même science, les ondes électromagnétiques, comme le confirme d’ailleurs les astronautes, reliés à la terre par radio. Ce qui voudrait dire que le big bang n’aurait émis avec ces ondes qu’un simple “bruit de fond”, celui-là même qui continue d’envelopper l’Univers et de parvenir en écho aux récepteurs radio-télescopiques des astronomes. Ce qui signifie aussi, il faut l’admettre, que le silence complet n’existe donc pas sur notre terre et qu’il est un concept fictif, puisqu’il y a toujours un bruit quelque part ! Un constat qui vient ainsi contredire ma plaisanterie liminaire.
Le silence, c’est quoi ?
Il n’est pas inutile de faire ce détour par le cosmos, pour mieux appréhender, cette fois à notre niveau, ce que nous appelons le silence. Pour que les ondes vibratoires soient reçues et entendues, il faut évidemment que le tympan de l’oreille qui les reçoit vibre à son tour afin de transmettre le son au nerf auditif. Selon ce processus, on sait que l’homme n’a pas la meilleure oreille du système « vivant » et que beaucoup d’animaux, réceptifs aux ultra-sons, sont bien plus performants que lui, en termes de perception des bruits.
Il est permis de penser que si l’homme a été doté de cinq sens par la création, c’est bien pour lui permettre d’être en contact et de communiquer avec elle. Au sens même de « communier ». Ainsi, parallèlement à la vue, l’odorat, le goût et le toucher, l’ouïe, dotée dudit appareil auditif sophistiqué, lui permet d’entendre, si je puis dire, les battements de cœur du monde. Et c’est précisément parce qu’il entend, que l’homo sapiens a pu devenir un « parlêtre » autrement dit cet homme qui émet et articule ces suites sonores faites des mots de sa langue, qu’on nomme la parole. Et c’est l’arrêt de cette parole qu’on appelle le silence, du latin silere, et du verbe siler, se taire. Par extension de langage, le mot « silence » en français, recouvre aujourd’hui toutes les absences et interruptions de sons, au-delà même de la parole. En cela, il a largement supplanté le vocable « insonorité » qui serait, en l’occurrence et hors discours, le mot juste.
Dans notre macrocosme binaire, nous avons tendance à en opposer les éléments constitutifs. Ainsi, soulignons-le c’est important, parce que l’univers est asymétrique et non symétrique, le soleil n’est pas le contraire de la lune, le ciel n’est pas opposé à la terre et le jour n’est pas l’inverse de la nuit. Et pour ce qui concerne la franc-maçonnerie, sur le pavé mosaïque, le noir n’est pas antinomique du blanc. Toutes ces composantes, de nature simplement différente, sont en vérité complémentaires, avec leurs caractéristiques. Il en est de même du bruit et du silence : l’un et l’autre ne s’excluent pas, ils sont surtout dissemblables, avec leurs avantages et inconvénients. Le bruit de la rue est irritant quand celui de la cour d’école nous emplit de joie. Le silence d’une chambre mortuaire est glaçant alors que celui d’une église est bienfaisant. Autre exemple, le silence de la voiture électrique est un grand bénéfice pour ses occupants mais cette absence de bruit représente un vrai danger pour les piétons !
Ces avantages et inconvénients mêlés du bruit et du silence nous suivent toute notre vie, de façon paradoxale, même. Alors qu’après notre conception, nous avons lentement pris forme humaine dans les tiédeurs sourdes utérines, notre naissance, nous a brusquement projetés à la lumière et au bruit, pour commencer notre existence au monde. Avec cette première violence, fini le silence douillet du ventre maternel ! Puis, tandis que nous nous sommes progressivement acclimatés aux bruits ambiants et liés aux autres par l’écoute puis la parole apprise dans la grande chaîne du langage, se sont souvent succédées les interdictions et injonctions de nos éducateurs et chefs, dans la vie profane :
En famille : – On ne parle pas à table !
A l’école : –Silence dans les rangs !
A l’armée : –Vos gueules l’d’dans !
En entreprise : –Mademoiselle, dans le mot « secrétaire », il y a « secret » et « se taire » !
Résultat de cette forme de conditionnement : A l’inverse du modèle éducatif américain qui privilégie l’expression orale dès l’école maternelle, notre vieux système scolaire latin culpabilisant a longtemps fabriqué des enfants, prisonniers de l’écrit. Et n’osant pas, après avoir été enfant au tableau tête baissée, prendre la parole en public, adulte devenu. C’est encore très souvent le cas aujourd’hui, l’obligation de cette circonstance terrorisant bien des gens. Ne voyons-nous pas évoluer en loge des frères qui, après s’être réfugiés dans le silence en soi confortable de l’apprentissage, et devenus compagnons et maîtres, éprouvent encore des difficultés à verbaliser leur point de vue ? ! Combien de frères nous disent ensuite leurs progrès, et donc leur plaisir, progressivement mis en confiance, d’avoir pu libérer leur parole sur les colonnes ou derrière le pupitre, où je me trouve ce soir !