ven 22 novembre 2024 - 23:11

Mot du mois : Coeur

Ah, ce cœur qui se met à battre dès que la vie pointe son nez… avec ses petites oreilles, oreillettes, et ses petits ventres, ventricules. Comme un centre de référence autour duquel toute l’existence va organiser son cheminement, physique et mental, sentimental et fébrile.

Le sémantisme indo-européen *kerd induit l’ambiguïté entre le corps et le sentiment, puisqu’il signifie le cœur ainsi que la moelle.

Le grec en infère *cardios, qui se référera plutôt au domaine médical de la cardiologie. La médecine antique connaît évidemment l’organe que révèle une simple ouverture thoracique, mais son rôle de pompe régulatrice restera méconnu jusqu’à ce que le circuit artériel et veineux livre son mystère. Cœur et sang sont au cœur de la vie, le sang *sanguis, qui s’écoule, et le sang qui jaillit de la blessure, *cruor, avec sa charge de cruauté. Toujours l’ambivalence.

Le latin enrichit le radical de nombre de préfixes, qui oscillent entre la cordialité et la concorde, le cordial revigorant en cas de submersion nauséeuse, l’accord, la concorde etles accordailles, le désaccord et la discorde.

Le cœur entre dans la composition de beaucoup d’expressions, qui relèvent elles aussi de l’ambivalence première, physique ou sentimentale. Crève-cœur, accroche-cœur, sans cœur, haut-le-cœur.

Mais il est à noter que la réaction physique est toujours première, dans la conception et la formulation que les Anciens font des mouvements du cœur. Qu’on soit écœuré, courageux ou découragé, plein de rancœur, qu’on prenne son courage à deux mains, c’est d’abord le corps qui s’exprime. Et l’encouragement se manifeste par le geste avant le mot, la main tendue de la miséricorde, le cri inarticulé avant la parole organisée.

La langue est implicitement consciente de la signification trouble de ce cœur, qui se serre de tristesse, par lequel on sait, retient, récite par cœur, qui marque la détermination quand on a à cœur de bien faire. Et la main sur le cœur authentifie la sincérité des propos.

Une peine de cœur chagrine les sentiments, le mal de cœur tangue au bord de la nausée.

On se confie à cœur ouvert, se livre à cœur perdu, s’aime à cœur-que-veux-tu.

A cœur perdu ? Pourquoi ne pas dire à cœur gagné, enrichi … de tout ce que m’offrent l’Autre à mes côtés et le monde alentour, quand je les accueille sans réticence ?

Un bien difficile équilibre à établir et maintenir entre les élans du cœur et la froide retenue de la raison… La spontanéité brouillonne, généreuse, des sentiments et la nécessaire lucidité de la mise en perspective.

Et Jules Renard ironise : “N’écoutant que son courage qui ne lui disait rien, il se garda d’intervenir.”

Annick DROGOU

Le cœur, c’est la vie. La vie qui bat et palpite. Pour quoi, pour qui ? Pour la vie qui va, qui vit. C’est à la fois l’intime, dans le secret du cœur, taiseux en notre for intérieur, et aussi ce cœur qui bondit, s’émeut et toujours répond à l’univers et s’y accorde. Sursum corda ! Haut les cœurs ! Cœur-courage, toujours l’élan vital issu de l’organe le plus caché, niché au sein de toute créature. Comme le noyau ou la graine contiennent la promesse du fruit.

Organe et symbole, le cœur, cet autre mot de l’âme, ne va pas sans le don, la générosité. On ne peut manquer de cœur. De bon cœur auquel, toujours, s’associe la joie. Cœur brûlant de la promesse. Tout est affaire de cœur. La source de l’amour, de toutes les amours, des plus charnelles et érotiques aux plus gratuites et charitables. Car ce cœur si personnel, si individuel, ne sait pas, ne peut pas battre qu’à son unique profit. Son battement est diapason et métronome, à la recherche de l’accord parfait et du rythme universel.

À cœur perdu… Le cœur n’est rien sans le souffle, sans la formidable soufflerie de nos poumons. Invitation sans cesse renouvelée à la respiration du monde et l’aventure cosmique, sans laquelle ce cœur n’est rien qu’un muscle inutile. Alors, pourquoi de battre ton cœur s’est-il arrêté, toi qui vivais si fort ? Vous que j’aimais, j’entends toujours l’écho de votre cœur battant dans une éternelle et fragile concorde.

Jean DUMONTEIL

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Annick Drogou
Annick Drogou
- études de Langues Anciennes, agrégation de Grammaire incluse. - professeur, surtout de Grec. - goût immodéré pour les mots. - curiosité inassouvie pour tous les savoirs. - écritures variées, Grammaire, sectes, Croqueurs de pommes, ateliers d’écriture, théâtre, poésie en lien avec la peinture et la sculpture. - beaucoup d’articles et quelques livres publiés. - vingt-trois années de Maçonnerie au Droit Humain. - une inaptitude incurable pour le conformisme.

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