Les francs-maçons doivent avoir l’humilité de penser que l’idéal de justice et de vérité existait, notamment avec la philosophie, au moins 2500 ans avant les rites maçonniques : de la sorte ces derniers en sont l’un des relais – précieux agents transmetteurs certes – mais pas les tenants de quelque « Tradition primordiale », ou vérité « non humaine » transmise oralement d’origine édénique, comme l’avancent les « ritolatres » fébriles. Le mythe enrichit, l’affabulation peut discréditer !
Pour sa part, Baruch Spinoza (Amsterdam 1632- La Haye 1677) le penseur rebelle, disciple de Galilée et de Descartes, adhère à cette revendication philosophique première des Grecs anciens mais « s’arrache » littéralement de toute transcendance. Et de la représentation anthropomorphique correspondante d’un Dieu créateur de l’univers, doué d’intention et vénéré. Selon lui – sa vérité bien humaine ! – le Cosmos (l’ordre universel) – qu’il nomme la Nature, existe de toute éternité. Elle comprend tout ce qui est, donc, par définition, l’univers précité et toutes les espèces sur terre. Elle n’a besoin que d’elle-même pour être. Ce qui lui fait dire : « Par cause de soi, j’entends ce dont l’essence enveloppe l’existence, autrement dit ce dont la nature ne peut être conçue autrement que comme existante » (Ethique. 1).
Cette « philosophie englobante » qui présente une création sans créateur et pensée comme « Substance » (ou Etendue) est perçue comme un rationalisme, violemment combattu par les éducateurs religieux de Spinoza ! Ses propos sont même jugés blasphématoires. Ce fils de commerçants portugais d’origine juive est excommunié en 1656 par la synagogue d’Amsterdam et il va se fixer à La Haye. Parallèlement aux études (langues européennes) et réflexions (spirituelles) qu’il poursuit, il y apprend la physique et devient expert en optique et polissage de verres de lunettes, microscopes et télescopes. On ne peut éviter de songer ici, par métaphore, que Spinoza l’intellectuel, aide doublement ses contemporains à leur procurer une meilleure vision du monde ! Et la liberté de penser, en aiguisant en même temps leur esprit !
Il ne rejette pas les croyances religieuses : elles relèvent selon lui de la conscience individuelle. Une position qui fait de Spinoza l’un des pionniers de la laïcité au 17ème siècle ! Son concept philosophique, acquis par un travail solitaire – mais néanmoins attentif au développement des diverses sciences comme aux problèmes politiques et cultuels – est centré sur la raison. Au bien et au mal, sa morale préfère ce qui est bon et mauvais pour l’Homme. Celui-ci – partie de la nature, à l’image du système solaire régi par des lois – obéit aux lois de causalité qui commandent le vivant. Cette forme de déterminisme (qui n’est pas un fatalisme superstitieux) est la doctrine même de Spinoza : elle l’éloigne définitivement de Descartes. Tout part d’une cause et c’est leur « engrenage » qui produit les faits – et non le hasard – mais il est néanmoins persuadé que l’homme bénéficie de « marges de manœuvre ». Il peut ainsi agir sur ses deux grandes passions : la joie qui augmente sa puissance d’être et la tristesse, à même de la diminuer. Les attaques que lui valent son « panthéisme » supposé dans son Traité théologico-politique, l’engage à ne plus publier. Son Maître-livre, l’Ethique – véritable traité de sagesse et guide de la métamorphose de soi – écrit sur quinze années – ne sera édité qu’après sa mort.
« Ne vous moquez pas, ne vous lamentez pas, ne détestez pas, mais comprenez » : c’est le conseil qui sera retrouvé dans plusieurs de ses œuvres. Ignorer, c’est faire place au « mauvais ». Connaître, c’est le combattre et aller vers le « bon ». L’humble observation de soi conduit à des explications logiques sur nos comportements. Nous retrouvons ici, à la fois, le « Connais-toi, toi-même » socratien et les défauts des trois mauvais Compagnons de la légende d’Hiram ! Au temps de Baruch Spinoza, en ce XVIIème siècle ou « tradition » signifie précisément conformisme, obscurantisme, fanatisme, tous ces « ismes » « emprisonnants » et sombres, ce philosophe « libérateur » annonce ni plus ni moins, les « Lumières », avec cinquante ans d’avance sur Emmanuel Kant ! Vision optimiste et progressiste du monde, confiance en la culture et la morale, sortie des préjugés religieux, substitution de la nature à Dieu, déculpabilisation de l’Homme, tolérance, entre autres : tel est bien le courant philosophique qui traversera l’Europe au XVIIIème siècle. Telle est bien la philosophie de Spinoza. Elle contient aussi, à y bien regarder, les germes de la franc-maçonnerie spéculative !
On ne peut évoquer la pensée de ce philosophe de génie – ainsi considéré par Nietzsche et Einstein – sans évoquer le conatus (mot latin signifiant l’effort, l’élan vers) qui est pour lui l’essence même de l’homme. Il le traduit par la volonté, l’appétit, la motivation, pour le dire avec un mot d’aujourd’hui. Ce « vouloir vivre » qui nous fait « persévérer dans notre être », selon son expression même. Et qui conduit chacun, vers ce qui le valorise, l’amplifie, le fait grandir : en premier lieu la liberté ! Spinoza le dit bien avant la sociologie et la psychanalyse : l’Homme, par sa nature même, est un être de désirs qui recherche l’agréable autant que l’utile. Dès lors, toute « soif » – saine, escortée de raison et orientée vers le « bon » précité – majore notre puissance vitale et nous procure ainsi une JOIE profonde et active. A nous de l’exprimer !