Simone Weil est la philosophe la plus mystique du paysage philosophique français. Née en 1909, issue d’une famille bourgeoise israélite parisienne, elle rentre très tôt à l’école normale supérieure et devient la disciple d’Alain. Tout au long de sa courte vie, Simone Weil ne se sentira bien qu’au milieu des pauvres. Elle s’éteint comme une bougie en 1943. Elle laisse le soin à son ami Gustave Thibon de faire le tri dans ses cahiers pour publier ses œuvres fragmentées. Vécue comme sa Vérité, sa philosophie mystique est-elle une philosophie capitale pour les chercheurs ?
Simone Weil, l’humanisme à fleur de peau
Souffrant de nombreuses tares physiques, comme elle l’affirme sans détours, elle sait très tôt qu’il lui faudra escompter sur un autre atout pour réussir à vivre. Très tôt, elle goutte aux joies de la philosophie, avec une soif de justice et d’égalitarisme. Et son appétence va la mener loin, jusqu’à l’agrégation. Elle maitrise parfaitement l’hébreux, le grec et devient la disciple du philosophe Alain. Puis, elle enseigne dans différents lycées, s’intéresse à la condition ouvrière, dont elle tire un ouvrage et publie dans différentes revues.
Mais cela ne lui suffit pas. Le joug de l’administration française devient si lourd, qu’elle prend congés lorsque la guerre d’Espagne éclate et elle se lie avec les anarchistes de Barcelone. Simone Weil a l’humanisme collé au corps, une grande soif de justice, une abnégation totale de sa propre personne et un amour profond pour les autres. De son corps qui la fait souffrir, elle en tire une profonde résignation de tout plaisir terrestre. Elle veut aller au delà de ses forces physiques. Au point que la souffrance devient l’axis mundi de sa philosophie.
La révélation de la foi chrétienne
Comme elle ne veut prendre les armes contre Franco, elle rentre en France et devient ouvrière chez Renault en 1937. Travaillant dans les mêmes conditions que les ouvrières, Simone Weil souffre le martyre. Mais cette souffrance devient le fer de lance de toute sa quête de vérité. La connaissance est à ce prix. Elle prend la voie christique alors qu’une phrase de l’Evangile se révèle à elle. Quelle était la nature du message? Nul ne le sait. A compter de ce moment, Simone Weil recherchera pour le restant de ses jours, la sainteté laïque au sein du dernier degré de l’échelle sociale. Cependant, elle devra surtout survivre aux affres de la seconde guerre mondiale et échapper à ses relents raciaux.
La rencontre avec Gustave Thibon
Par le biais des dominicains, Simone Weil est accueillie chez Gustave Thibon, car l’université l’exclue définitivement en 1941. La cohabitation est d’abord difficile pour les deux grands philosophes. Mais tous les jours Simone travaille à la ferme et écrit le soir dans de grands cahiers des fragments de pensées, saisies sur le vif. Pensées comme édictées par son âme, semblables à celles de Pascal qui sont des pierres d’attente. De ces cahiers rien n’était destiné à être publié en l’état. Mais en seront extraites deux œuvres majeures de la pensée Weilienne: la pesanteur et la grâce, et la connaissance surnaturelle. Toutes deux sont des œuvres posthumes que nous devons au travail de Gustave Thibon qui rassembla ce qui était épars.
La pesanteur et la Grâce
“Deux forces règnent dans l’Univers: la lumière et la pesanteur.”
On ne peut commenter l’œuvre de Simone Weil sans risquer noircir sa lumière. Comme l’écrit Gustave Thibon, l’homme est un néant capable de Dieu, esclave de la pesanteur et libéré par la Grâce.
Détachée, ascète, pure et sensible, Simone Weil dans cette œuvre cherche l’amour à sa racine, tout en restant honnête et réaliste: on ne peut se rapprocher de Dieu sans être une âme nue. Sans devenir rien. Sans la souffrance de la dècréation. Dans ce livre d’influence taoïste et hindouiste, elle interprète surtout Platon dans un sens très chrétien. Pour atteindre la Grâce, des purifications intérieures sont nécessaires dans un soucis d’authenticité intime. Et atteindre la nudité c’est surtout atteindre le point de solitude.
« Tant que la nudité d’expression n’est pas atteinte, la pensée non plus n’a pas touché ni même approché la vraie grandeur. »
Dans cette œuvre fragmentaire, faite de chair et d’esprit, comme peut l’être une colonne invisible et ascendante, chaque fragment est insécable, car simple dans l’intention. La grâce est tel l’éclair divin posé sur le papier gorgé d’encre, mais sans bavure, en constant devenir, superposé au champ de tous les possibles dans l’altérité et la Beauté. Cependant, pour aborder la philosophie weilienne, il faut une âme nue, dépouillée, au risque de se brûler à son incandescente flamme ou ne pas la comprendre. Au risque de finir comme un Icare. .
Dècouvrez la connaissance surnaturelle de Simone Weil ici La connaissance surnaturelle (6e éd.) / Simone Weil | Gallica (bnf.fr)
La philosophie de l’existence sous l’influence de la pesanteur
« Dire que le monde ne vaut rien, que cette vie ne vaut rien, et donner pour preuve le mal est absurde, car si cela ne vaut rien, de quoi le mal prive-t-il ? »
La pertinence de cette phrase concise réduit le conflit entre Schopenhauer et Sartre et leurs dilemmes au sujet du poids du monde. Exister c’est être placé au dehors étiologiquement parlant. Ainsi, Le monde ne coexiste pas avec Dieu, mais il en est son empreinte. En se dépossédant de sa nécessité, Dieu se confond avec le bien après s’être retiré de sa création. La pesanteur est la force dèifuge, notre racine divine, qui nous pousse à rechercher tout ce qui peut la conserver, voire l’accroître. Chercher à échapper à cette pesanteur équivaut à rester extérieur, opposé à Dieu, donc à soi.
La contradiction
Chez Simone Weil, plus une âme est attachée à poursuivre l’œuvre du bien, plus les contradictions déséquilibrent le réel.
“Chaque chose que nous voulons est contradictoire avec les conditions ou les conséquences qui y sont attachées. “
Il faut accueillir chaque branche, bien comme mal, et se laisser écarteler pour trouver l’identité originelle du nécessaire et du bien. La philosophie de Simone Weil reprend le postulat d’Hermès: « le plus haut ressemble au plus bas. » Ainsi, le détachement peut être assimilé à de l’indifférence, la non violence à la lâcheté… mais le vrai bien ne s’oppose jamais au mal, il le transcende et l’efface. Grâce à l’attention. On retrouve le même postulat chez Leibniz.
La Grâce comme processus d’individuation
La pesanteur nous crée, la Grâce nous décrée. Le héros porte une armure, le saint est nu. Pour Simone Weil nous sommes des non-êtres comme Dieu. Sans forcer son propre talent, nous devons être détaché du bien ou du mal, projeter sur l’un et sur l’autre la lumière de l’attention, pour faire en définitive…le bien. La grâce est telle une goutte d’eau qui s’insinue à travers chacune de nos couches géologiques. Sans pour autant modifier leur structure. Silencieusement, la Grâce nous fait redevenir Dieu.
Les metaxus de Simone Weil
Si Simone Weil est façonnée par sa quête d’Absolu, elle n’entend tout de même pas renoncer aux valeurs temporelles. Toute vie humaine serait impossible sans ce lien temporel. Le metaxus est la notion du bien et du mal terrestre. Le Bien et le mal necessaires pour permettre à l’homme de choisir le meilleur. Encore Leibniz.
Le metaxus sont des moyens de trouver en soi sa nature divine, sa vérité, mais ils ne sont pas fin en soi, et n’ont aucune valeur d’éternité. Tout comme la Franc-maçonnerie est un metaxus qui contient en elle même son bien, son mal, sa force, sa faiblesse, mais l’ensemble des moyens qu’elle propose n’est que proposition à tirer meilleur parti de soi. Il n’y’a pas de fin en soi à être franc-maçon ni de garantie d’éternité. Les metaxus sont des chemins, des voies à emprunter sous couvert d’espèrance d’y puiser de la Beauté.
La Beauté selon Simone Weil
Le telos de la pensée weilienne c’est de concevoir un agir moral, comme étant la possibilité d’une action désintéressée. La charité. L’agapé. Cette action désintéressée est rendue possible par une relecture du sentiment moral qu’est le respect en terme de sentiment esthétique du plaisir ressenti devant le beau. Une gratitude envers la beauté sans désir de possession. « La beauté est lumière d’éternité » ; l’éclat du monde, la Source féconde qui est source du bien le plus pur.
Toutefois, la beauté n’est pas une entité. Elle est une relation qui transfigure par rayonnement les choses matérielles et terrestres. Et elle n’est pas un metaxus. Elle colore simplement les choses, les moyens terrestres, pour les ordonner. La beauté est une lumière sur l’éternité car, au préalable, toute scorie est ôtée. La beauté reste le filigrane en pointillé de cette voie du cœur où l’attention, le regard posé sur chaque chose a un parfum d’éternité. Sans rien attendre.
« Dieu est l’unique fin. Mais aucunement une fin, puisqu’il ne dépend d’aucun moyen. Tout ce qui a Dieu pour fin est finalité sans fin. Tout ce qui a une fin est privé de finalité. » Encore Leibniz.
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Dimanche prochain, devinez qui sera au rendez-vous ? Leibniz
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