mar 30 avril 2024 - 20:04

Liberté, Égalité, FRATERNITÉ

Le triptyque maçonnique fluet et désuet

« Fraternité », le cri totem, pluriel, sacré des Maçons. Mais ce n’est pas par hasard ; l’éthologie l’explique bien, elle qui est la science de l’étude du comportement des animaux de meute, dont nous faisons partie. Voici ce qui en ressort. En violence perpétuelle, en guerres incessantes les mâles de la meute humaine, surtout eux, culpabilisent sans cesse et se sentent étouffés par leur vilenie. Cette violence ne cesse d’ailleurs, aujourd’hui, de prospérer avec la prolifération des humains. (8 milliards quand même !) Alors l’humanimal (D. Beresniak) se raconte qu’il n’est pas que mauvais. Au fond de lui, repose aussi le désir de cacher son instinct meurtrier. Il ressent qu’il doit se racheter pour pouvoir vivre avec les autres, autant que faire se peut. Les doctes des Lumières ont repris la chanson de l’amour entre les êtres, en s’appuyant sur la vieille notion, en cette occurrence, de la raison. Ne nous commanderait-elle pas de nous aimer les uns les autres ? Mais l’éthologie, raconte une autre histoire plus profonde que les friselis de la conscience aimante et de la raison qui l’y pousse. Voici les remords, rachats, rédemptions…fonds de commerce de religions., d’associations, de groupements divers…

Mais, après ce carnage, ne pouvons-nous pas essayer quand même de nous héler, le sourire aux lèvres : « Ma Sœur, mon Frère ». Et de tenter de déshabiller nos sourdes violences pour en transformer leur force en accords, joies partagées. Dans l’exultation de l’exaltation de l’être ensemble. Un rêve d’alchimiste, bien sûr ! Mais aussi de tous et toutes : j’insiste : au nom de la fraternité, les pires exactions fleurissent dans le rejet, le mépris, la haine. Les Francs-maçons, eux, prétendent s’y prendre autrement. Coloration de leur fraternité avec le respect de l’autre, la tolérance, l’égalité… Et parfois y parviennent, comme d’autres associations humaines d’ailleurs.

Ce troisième article sur le tryptique propose un décryptage des différentes sortes, des trois étages de notre fraternité, maçonnique en l’occurrence. Après la critique, je présenterai, des ouvertures possibles et en cours. La fraternité maçonnique ? Peut faire mieux comme nous le verrons. Mais et c’est essentiel, les deux articles précédents sur la liberté et l’égalité supposaient que ces deux valeurs étaient dévoyées en Franc-maçonnerie, malgré des espoirs certains. La fraternité, elle, est un conditionnement positif effectif même si la réalité, tant obédientielle qu’en loge, peut encore grandement s’accroître.

On peut distinguer trois niveaux de fraternité chez nous avec des traits distinctifs pour vivre toujours plus la devise que je propose dans mes ouvrages : « Une spiritualité pour agir ». Le « pour » est la passerelle psychagogique (pédagogie de l’initiation) pour se hisser à une fraternité, en livraison des cœurs assemblés. D’abord, premier niveau, la complicité, attribut de la majorité des Loges : sur les parvis, on se salue, on se sourit, on s’embrasse. Au fond on est content de vivre bientôt une tenue. Puis, à un deuxième niveau, la solidarité : on ne laisse pas tomber l’autre s’il(elle) a besoin de quoi que ce soit. Là, c’est mon expérience ; alors je ne généraliserai pas à toutes les Loges. D’abord parce que l’office d’Hospitalier masque le rôle d’hospitalier que nous devrions être tous(tes). Ensuite parce que, dans notre société, l’isolement croissant, l’individualisme galopant, le plaisir du sens éparpillé freinent la solidarité. Je ne suis pas le seul à le constater hélas. Voici, à titre d’illustration de ces évolutions (dérives ?) Un exemple réel et significatif : un Frère ne peut plus participer aux tenues car il souffre d’une lourde détresse. Il a besoin d’être soutenu ? Alors il écrit à chacun€ : « Envoie-moi une ligne, une seule de soutien ; j’en ai besoin ». Résultat : 6 Frères et Sœurs l’ont fait et 26 ont laissé tomber. Enfin diras-tu mais il y a un Hospitalier pour ça. Il ne s’est même pas manifesté ! Nous devrions nous considérer comme des soutiens solidaires. Hélas j’ai d’autres exemples de cette eau. Il semblait que cette désaffection que chacun(e), explique en mauvaise foi ou par le mépris, soit aujourd’hui surtout le triste apanage des Loges des grandes villes et de leur banlieue. Sans doute que cet abandon ne se serait pas vécu ailleurs : notre fraternité : en tant que solidarité existe bien souvent en province. Il est temps qu’il y ait des planches, dans les loges urbaines, de mises en œuvre d’entraide, loin des grandes déclarations sur la fraternité et la solidarité. Car hélas, le contraire de la complicité est la duplicité. Cette antithèse de la complicité ne se limite pas à de rares loges hélas : les jeux souterrains ou pas qui poussent tel ou telle à briguer les responsabilités de carton-pâte : officier mais sur tout avoir la consécration du vénéralat, en repoussant, l’air innocent, d’autres prétendants aussi avides. Et que dire de la course aux degrés qui prolongent la Loge bleue ? Pour certain(es) « monter en grade » est une nécessité pour se réjouir de son image de gagnant, alors que ce n’est trop souvent que fatuité, inconsciente

La complicité, elle, est bien différente de la duplicité ; elle repose en grande partie sur la joie de vivre ensemble. J’ai glané, en France, de ci de là, quelques exemples simples qui forgent cet état d’esprit si positif. Tu as certainement d’autres exemples, peut être chez toi. Ici, dans cette Loge, après l’ouverture, le Vénérable va chercher par la main chaque visiteur et l’amène entre te tableau et les deux colonnes. Là, il l’accueille par quelques mots de bienvenue. Ailleurs les planches ne renforcent pas la relation maître-élève comme c’est l’habitude ; les Frères, les Sœurs s’expriment d’abord, liberté, égalité et fraternité obligent. Et le conférencier termine, après les interventions. Dans une autre Loge ; un geste rend encore plus charnel l’initiation. Le candidat, les yeux encore bandés, guidé, fait le tour de la Loge dont les membres sont en cercle. Chacun(e) lui prend les deux mains et les étreint sans un mot. Et que dire de cette ancienne tradition, presque perdue, de la solidarité fondée sur l’expérience commune de la voix : à la fin de la tenue, lors de la chaîne d’union, le chant Auld Lang Syne (Ce n’est qu’un au revoir…) résonne dans la ferveur de l’unité ; je l’ai vécu c’est vraiment touchant !

Dépassons le cadre de la Loge. Veux-tu un exemple national de la solidarité, très vivant aujourd’hui ? Un de nos Frères, un des fondateurs des SEL a mis en place un système d’entraide maçonnique. Qu’est-ce qu’un SEL d’abord ? C’est un système d’échange local, une association où les membres mettent certains biens, connaissances ou savoir-faire au service des autres, sans aucune relation pécuniaire. Ce Frère inspiré a transporté le modèle dans la maçonnerie (Site OVR). Voici la définition de l’organisation mise en place : « Réseau social fraternel, annuaire d’entraide et de services fraternels ». En toute gratuité. C’est un nouvel et passionnant exemple de solidarité. Je t’engage à te rendre compte par toi-même de ce type d’échanges qui pourrait enflammer beaucoup d’entre nous. Voilà bien, au niveau de notre Franc-maçonnerie « Une spiritualité pour agir ». Ne clame-t-on pas au REAA : « Agir envers les autres, vivant concrètement les valeurs de fraternité et de solidarité ». ?

Dépassons maintenant le niveau de la solidarité entre nous, pour nous hisser à celui de l’humanité. Le génie de la Maçonnerie à la française est de lier la recherche spirituelle en tenue pour, passer à l’action dans le monde, par une mystérieuse alchimie très peu élucidée par les andragogues (pédagogues d’adultes) Ce mystérieux passage de la spiritualité à l’action est caché, contenu dans la petite préposition « pour » de la devise « Une spiritualité pour agir » Un degrés sommital du REAA, en fait l’aboutissement de notre démarche : « la résistance à l’oppression est le plus sacré des devoirs… Ce n’est ni dans le ciel ni dans les nues que vous devez agir… durant votre existence, c’est sur terre. Votre travail sera votre action hors du Temple. Vous n’avez donc plus à porter de Tablier… Allez dans le monde, seuls et responsables devant votre conscience faite de connaissance et d’amour Je suis très fier, et nous sommes nombreux à sentir ce lien superbe entre la spiritualité et l’action dans le monde. Nous parvenons alors au dernier niveau de la fraternité qui gagne ses galons d’universalité tangible : l’Humanité, après la complicité et la solidarité.

Ce n’est pas le choix de la Maçonnerie anglo-saxonne, en train de s’éteindre. L’accent est résolument mis sur l’action, le plus souvent humanitaire, au détriment d’un vécu profond de la maçonnerie rituelle. Certainement, l’esprit clubiste si caractéristique chez eux a-t-il forgé et reforgé les propos, souvent dépassés de notre James Anderson. Mais, sur leur terrain, la fraternité universelle, l’humanité, est une réalité de Loge qui mérite quelques exemples. Savoure : La Loge des Francs-maçons de Broxburn a joué son rôle en aidant à distribuer plus d’un million de livres sterling de marchandises à des organisations caritatives et à des entreprises sociales communautaires à travers l’Écosse au cours des deux dernières années. Ou encore un autre exemple admirable : les Maçons du Lodge Buchan St John N° 636 ont lancé la campagne lorsque la pandémie a commencé en avril 2020, dans l’espoir d’aider les groupes communautaires à faire face au verrouillage. Des témoignages éloquents mais de type fréquent là-bas

Nous ne jouons pas à la même Maçonnerie (bien sûr je simplifie en deux camps ; quelques nuances sont nécessaires) Pourtant pas un seul de nos rites n’oublie cette action dans le monde, à la fin de la tenue. Encore le REAA : « Agir enfin au bien commun selon l’idéal universaliste de nos principes fondamentaux ». Mais alors que faisons-nous pour être en accord avec nous-mêmes ? Simple, les Loges se reposent sur les obédiences qui décident de l’affectation des deniers collectés pour de grande causes. Humanisme délégué. Mais dans chaque Loge, qu’en est-il ? Rien ou presque. Il serait cohérent de les mettre en action, comme le font les loges américaines. Par exemple fonder et animer un comité d’entraide. La Loge se choisit un projet : aide aux nécessiteux, défense des libertés, soutien à l’éducation des enfants… Projet souvent articulé à une association. Et il y en a florès ! Amnesty International, Avaaz, L214, Secours populaire, Citoyens du monde et cent autres. La Loge repère une action particulière dans l’association retenue parce qu’elle lui plaît. Le comité d’entraide la mène sans faillir et sans amateurisme.

La fraternité, celle de la complicité et de la solidarité est assez souvent vivant. Elle peut néanmoins se développer encore. Comment ? Les recherches en psycho sociologie se sont posé la question : quelles attitudes et quels comportements maintiennent-ils ou augmentent-ils la fraternité dans un groupe humain ? En d’autres termes maçonniques, comment développer l’égrégore et le soutenir dans le temps ? Les chercheurs ont mis en évidence sept types de relations entre les gens, qui permettent le déploiement de l’excellente ambiance dans un groupe, une loge par exemple : ce sont les 7 gratitudes. Je te livre la définition du net : Pratiquer la gratitude c’est se focaliser sur ce qui est positif maintenant pour soi et remercier, selon la situation, pour ce que vous avez et pour ce qui vous arrive. La gratitude, en outre, est une émotion positive : l’exprimer augmente notre sentiment de bien-être. Tout le monde est donc gagnant : celui(celle) qui émet une gratitude et celui qui la reçoit. La France est en retard sur le sujet et la gratitude est encore un mot peu usuel ; donc sa mise en œuvre. La recherche nous apprend concrètement à perfectionner le climat d’un groupe quel qu’il soit, une Loge en particulier. Ne peut-on imaginer que les Maîtres, a fortiori les Officiers et le Vénérable s’entraînent à vivre, des relations de gratitude ? Pour apprendre à rendre toujours plus riche et joyeux l’égrégore. Cette formation pourrait être une mission des obédiences devenues des Centres de Services. Je reviendrai sur ce sujet essentiel dans un autre article. Mais, en attendant, voici un exemple réel de gratitude dans une loge : au moment des agapes, chacun(e) à tour de rôle, exprimes-en une ou deux minutes au plus, son remerciement pour ce qu’il(elle) a vécu pendant la tenue. Cela même s’il y a une déception car le fond reste la gratitude, la gratitude pour l’existence de l’autre, qui a déclenché une émotion.

Le titre général des trois articles énonce les trois valeurs républicaines, Liberté, Égalité, Fraternité. Beaucoup de Loges françaises les acclame en fin de tenue. Mais n’est-ce pas, comme je le prétends dans le titre « fluet et désuet » ? Oui, en bonne partie. Je crois avoir montré que vivre une tenue n’accroit surtout pas la liberté, pas plus d’ailleurs que l’égalité. Mais il me semble aussi que, dans l’Ordre de style français, il y a des germes de gains possibles de liberté et d’égalité. Quant à la fraternité, elle est mieux appareillée. Il suffirait de perfectionner les relations de gratitude pour que s’épanouissent, la Sagesse, la Force et la Beauté. Pour que tous, toutes se sentent heureux. Frères et Sœurs dans la reconnaissance fraternelle et affectueuse.

Ne résistons pas à « une spiritualité pour agir ». C’est notre génie maçonnique. A preuve, on lit dans un rite répandu cette déclaration ; elle nous mène sur le chemin de la réalisation du sens que la vie peut nous apporter : « la résistance à l’oppression est le plus sacré des devoirs… ce n’est ni dans le ciel ni dans les nues que vous devez agir … durant votre existence, c’est sur terre. Votre travail sera votre action hors du Temple. Vous n’avez donc plus à porter de Tablier… Allez dans le monde, seuls et responsables devant votre conscience faite de connaissance et d’amour ».

(Fin du tryptique)

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Jacques Fontaine
Jacques Fontaine
Jacques Fontaine est né au Grand Orient de France en 1969.Il se consacre à diffuser, par ses conférences, par un séminaire, l’Atelier des Trois Maillets et par une trentaine d’ouvrages, une Franc-maçonnerie de style français qui devient de plus en plus, chaque jour, « une spiritualité pour agir ». Il s’appuie sur les récentes découvertes en psychologie pour caractériser la voie maçonnique et pour proposer les moyens concrets de sa mise en œuvre. Son message : "Salut à toi ! Tu pourrais bien prendre du plaisir à lire ces Cahiers maçonniques. Et aussi connaître quelques surprises. Notre quête, notre engagement seraient donc un voyage ? Et nous, qui portons le sac à dos, des bagagistes ? Mais il faut des bagagistes pour porter le trésor. Quel est-il ? Ici, je t’engage à aller plus loin, vers cette fabuleuse richesse. J’ai cette audace et cette admiration car je suis un ancien maintenant. Je me présente : c’est en 1969 que je fus initié dans la loge La Bonne Foi, à Saint Germain en Laye, au Rite Français. Je travaille aussi au Rite Opératif de Salomon. J’ai beaucoup voyagé et peu à peu me suis forgé une conviction : nous, Maçons latins, sommes en train d’accoucher d’une Voie maçonnique superbe : une spiritualité pour agir. Annoncée dès le début du XXème siècle. Elle est en train de se déployer et nous en sommes les acteurs plus ou moins conscients mais riches de loyauté.

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