mer 24 avril 2024 - 23:04

LIBERTÉ, égalité, fraternité

Le triptyque maçonnique fluet et désuet

Ouvrons les fenêtres de notre loge. Jetons un coup d’œil sur la liberté qui se prélasse sur des dizaines de milliers de feuilles. D’Honoré de Balzac au modeste écrivaillon banlieusard, elle est dans tous les à-plats, dans tous les recoins, et dans l’honneur des ouvrages qui la consacrent, chacun à leur manière. Pas question ici de rajouter une page à la somme jamais tarie de ce concept qui hante les consciences, c’est-à-dire les émotions. Ne sait-on pas, depuis au moins les années 70 que les émotions sont à l’origine de toute rationalisation. Il faudra nous en souvenir tout à l’heure quand la loge sera sous nos regards dévoilés.

La liberté, partout, est convoquée : par sous-entendus masqués, par affirmation circonstanciée, par déclaration péremptoire (je pense à l’Antiquité). Foin du monde profane même si celui-ci donne forme aux valeurs de l’Ordre.

Elle est chantée, chez nous, par les plus écoutés ; en vrac : Oswald Wirth, Jean Mourgues, Daniel Béresniak. Ils la font leur et la revêtent d’égalité et de fraternité ; cette belle trilogie républicaine. Celle de la Maçonnerie française du moins.

Mais cette liberté du triplet s’y insère avec toutes les valeurs qui y sont liées et qui datent du coude entre la fin du XIXème et du XXème. « Faire ce que l’on veut, sans nuire à l’autre », est vieilli.  Restons dans la seule maçonnerie. La question est cruciale pour découvrir les rides du mot.

Quand claquant les mains pour s’égosiller dans les batteries, se pose-t-on les questions de fond. Dont la principale est bien. Quand je braille « liberté », dans quelle mesure cela m’incite-t-il à développer celle-ci dans ma vie de tous les jours et dans celles des autres ? Car la supposition est bien maçonnique : changer ses comportements, voire ses attitudes grâce aux tenues et aux planches. En raccourci léger de forme et lourd de sens, un apophtegme que j’aime beaucoup :  Comment nos rencontres nous amènent-elles à « une spiritualité pour agir ? » C’est le nœud du problème de la transmission maçonnique. Je ne parle pas des formes anglo-saxonnes qui sont en train de mourir. Non je prétends, bien au contraire, que celles qui sont en vigueur et en joie, les formes françaises surtout, sont prêtes à se couler dans la question de la transmission sans négliger un pôle. Si nous y arrivons, alors notre maçonnerie de style français, ne se bercera plus d’illusions sur ces faux-nez grotesques : l’historicité des obédiences et la régularité des rites. Tout ce fatras que les décennies prochaines mettront sous le boisseau. Car nous travaillerons, si notre cœur chantant, nous le souffle sur l’essence indubitable de la transmission ; celle qui, en outre, concernera ardemment le monde profane. Ainsi pourrions-nous devenir, comme nous le fûmes une petit lumière (du monde ? N’exagérons pas !). Et au centre la question : dans la transmission entre la spiritualité et l’agir, que se passe-t-il donc ? Avec le trésor, peut être caché : jusqu’où la liberté d’apprendre joue-t-elle pour (se) changer ? Oh ! il y a des précurseurs qui se sont posés la question depuis des dizaines d’années et tu les connais : Freinet, Dewey, Montessori

C’est ainsi que celle liberté est au cœur du fou pari maçonnique : Non pas « Fais ce que dois » mais « agis jusqu’aux limites de ta liberté intérieure ; celle que tu as conquise par tes efforts et par la pédagogie maçonnique qui en a accouchée ». Ne rêvons pas : nous ne savons pas encore bien comment un individu passe librement de ses émotions, dont la liberté, à sa mise en œuvre et toute indépendance et harmonie. Je dis bien « émotions » et non pas, surtout pas « raisons » comme les études le montrent depuis les années 70. Avec, entre autre la psychologie humaniste

Au fond la question devient, « Comment, le rite parvient-il à faire naître en chacun-e, dans son apprentissage, l’émotion de la liberté. Car de la réponse découle l’envie de passer à l’acte sans bonnes raisons et sans cette conscience qui est la meilleure planque de nos croyances ; elles qui sentent si mauvais les bancs de l’université. Et dont notre maçonnerie est, en partie l’otage, avec sa manière de présenter une planche. Voilà, la première chose est dite : « L’enseignement traditionnel ne peut articuler une spiritualité pour agir » On me répliquera, indigné-e : « Mais on le sait depuis toujours ! » Et bien ce que l’on sait effectivement c’est la reproduction, sans friselis, d’un modèle, prof d’école ou vedette. Mais les pédagogues professionnels, eux, se posent toujours la question de la liberté de l’apprenant dans le contrat de transmission, hors la dictature de l’imitation servile., Decroly, Meyrieu qui a milité pour une pédagogie de la liberté ; et, bien sûr, le Frère Ferrer, pédagogue libertaire et anarchiste Tiens donc ! Et bien nos tenues pourraient bien s’en inspirer, surtout en France, à la traîne pédagogique en comparaison avec les essais et les réussites des États-Unis.

 Premier point : ce n’est pas avec une planche bien argumentée, a fortiori si le sujet convoque l’érudition, que nous pouvons lever le taquet qui ouvre la spiritualité sur l’agir.
£Il nous faut donc chercher plus loin, creuser Une supposition : La maçonnerie dans sa méthode, « (symboles et rite) déclenche bien le passage de la liberté auto-apprise de la mise en actes. Une nouvelle fois, la question est toujours ouverte dans le monde profane. Ce qui suit est donc fondé sur mes intuitions professionnelles et centré sur nos pratiques et coutumes. Pas plus !

Ce que l’on sait bien, et je l’ai dit plus haut : ce sont les émotions qui sont le terreau des raisonnements et des formulations où la conscience se donne en travestissement. De quoi remuer le monde certes mais restons-en à la franc-maçonnerie.

La deuxième question est donc : en quoi les pratiques spirituelles, (mythes, rites et symboles) favorisent-ils la naissance utérine des émotions ? La troisième question portera sur le passage à l’acte dans le cheminement spirituel.

Pas de souci : les parents évolués le savent bien : ce ne sont pas les ordres, les limites et les autorisations qui établissent l’autonomie de l’enfant. Intéressant, dans la mesure où l’errance maçonnique (car il y a errance dans la succession des degrés) est articulée, comme presque toutes les spiritualités, sur le retour au ventre et sur l’accouchement qui s’ensuit. Avec une recollection des premiers âges de la vie. Et là, notre maçonnerie brille d’un joyau inégalable ou presque ; les âges 3,5 et 7 ans. Comment s’y prendre donc pour faire naître des émotions en toute liberté du receveur ? La réponse est apparemment simple : en faisant part de ses propres émotions à propos d’un sujet ou en réponse à une question des colonnes. Au diable les savoirs, les connaissances, les teintes d’érudition, sauf si elles font naître un bain émotionnel. En fait, on pourrait prétendre qu’un conférencier commence ses interventions par des « Voici ce que je ressens… », « Voici ce que cela fait naître en moi », « Je vis bien ou mal ce qui vient d’être dit, indépendamment du fond »…

Un jeu de ping-pong entre les émotions des un-e-s et des autres. Sans que le conférencier profite d’être juché-e sur les marches de l’Orient pour imposer ses manières de ressentir. Ce qu’il dément bien entendu, comme presque nous tous. Le risque n’est pas mince, pour lui-elle de témoigner de son humilité grâce à la mesure muselée de ses propos émotionnels. Des Frères, des Sœurs y parviennent toutefois. C’’est une condition inévitable pour s’emmêler dans la troisième question : « Quelle est la nature du lien entre la spiritualité et l’agir, cette articulation, cette causalité ? » Un des fleurons des rites de famille française qui lui permettront, je le crois, de survivre aux caprices et plus, à l’effondrement prédit ?Oui s’emmêler car nous sommes maintenant barbouillé-e-s de mystères. Les données de base : les émotions et la liberté individuelles qui en est le terreau. C’est déjà ça car la proposition remet en cause tant de prises de paroles, en tenue ! Mais essayons d’aller plus loin.

             D’abord, avec dédain, écartons, autant qu’on le peut, tout ce qui est de l’imitation, de l’exemplarité. Sauf, nous venons de le cerner, ce mode de transmission est assis sur la délivrance émotionnelle. Car les émotions s’enchantent les unes les autres, sans besoin de raison et de conscience affichées. Mais cela ne suffit pas encore pour le passage à l’acte. Il faut encore deux conditions fort éloignées. La première vient de la constatation,  maintenant largement établie que chez l’animal humain comme chez les autres animaux, les émotions prédominent. Elles sont ensuite rationalisées pour justifier et donner du « sens » à  tous nos actes, y compris les guerres, les violences, les tortures…et cela depuis la nuit des temps. C’est, à nul doute une spécificité humaine : nous sommes des prédateurs proliférant, agressifs et violents. Je dirais qu’il s’agit surtout des mâles qui se partagent avec délices les déchirures. Au fond qu’est-ce qu’être libre dans ce carcan émotionnel ? C’est prendre conscience (tiens, pour une fois elle est utile, cette faculté du meilleur et du pire) de ce carcan. Ainsi, à l’intérieur, la liberté chante la joie des libres mouvements libérés dans cette prison largement reconnue. Et la maçonnerie dans tout cela ? Elee est digne d’honneur et avec gloire et sérénité : elle met en œuvre un carcan qu’il n’est pas question de remettre en cause. On le devine c’est le rite avec ses symboles, ses mythes, ses gestes…Que se passe-til donc dans la tête de l’initié-e ? Si je reconnais et accepte le carcan rituel, alors j’accéderai à cette « liberté librement consentie ». Pour ce faire, il est nécessaire que je l’entende de nombreuses fois. L’assiduité n’est pas seulement de la morale ; elle est aussi une condition pédagogique
Enfin marions deux éléments : le plaisir d’être ensemble pour vivre un groupe. Qui plus est centré sur une tâche conforme aux valeurs que nous chantons sans cesse. S’employer, ensemble ; à être utiles. Non point à nous-mêmes mais à des profanes. Il s’agit, n’est-ce pas de faire avancer la société ? Nous parvenons alors à additionner deux nouveaux éléments émotionnels forts : dans l’instant, le vécu de groupe ; dans un second temps, la gloire et la joie de mettre en œuvre ce que nous serinons, en tenue, avec le mot « liberté. Les frères américains, en posture fragiles, ont très bien compris cela. Chapeau ! Au pont d’en faire le but par excellence de la maçonnerie. Chez eux, elle se résume essentiellement à devenir un club de bienfaisance, une association humanitaire, un soutien aux indigents. Mais la spiritualité, telle que nous l’entendons parait bien discrète chez eux. C’est pour cela que notre « spiritualité pour agir », des rites français porte sur son écu les chevrons d’une métamorphose de l’être qui vaut mille carats. Encore faut-il que ces actes soient accomplis, non point dans la condescendance, mais dans l’égalité. A voir dans la suite !

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Jacques Fontaine
Jacques Fontaine
Jacques Fontaine est né au Grand Orient de France en 1969.Il se consacre à diffuser, par ses conférences, par un séminaire, l’Atelier des Trois Maillets et par une trentaine d’ouvrages, une Franc-maçonnerie de style français qui devient de plus en plus, chaque jour, « une spiritualité pour agir ». Il s’appuie sur les récentes découvertes en psychologie pour caractériser la voie maçonnique et pour proposer les moyens concrets de sa mise en œuvre. Son message : "Salut à toi ! Tu pourrais bien prendre du plaisir à lire ces Cahiers maçonniques. Et aussi connaître quelques surprises. Notre quête, notre engagement seraient donc un voyage ? Et nous, qui portons le sac à dos, des bagagistes ? Mais il faut des bagagistes pour porter le trésor. Quel est-il ? Ici, je t’engage à aller plus loin, vers cette fabuleuse richesse. J’ai cette audace et cette admiration car je suis un ancien maintenant. Je me présente : c’est en 1969 que je fus initié dans la loge La Bonne Foi, à Saint Germain en Laye, au Rite Français. Je travaille aussi au Rite Opératif de Salomon. J’ai beaucoup voyagé et peu à peu me suis forgé une conviction : nous, Maçons latins, sommes en train d’accoucher d’une Voie maçonnique superbe : une spiritualité pour agir. Annoncée dès le début du XXème siècle. Elle est en train de se déployer et nous en sommes les acteurs plus ou moins conscients mais riches de loyauté.

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