Le triptyque maçonnique fluet et désuet
Que claquent les mains dans la joie superficielle et tonitruante de la triple devise. Avec l’ornement médian de l’Égalité ! Mais au-delà du plaisir de résonner ensemble, est-il bien sûr que l’Ordre soit une organisation, un lieu, des valeurs qui illustrent cette Égalité ? En bref, la pratique maçonnique est-elle en accord concret avec la noble déclamation ? Je ne crois pas du tout. J’estime même que les Francs-maçons sont entrainés à vivre l’inégalité, sans la moindre conscience. Et que, ce faisant, ils sont loin de devenir des militants de cette Égalité Ce formatage ne saute pas aux yeux. Je te propose donc une argumentation, que je crois justificatrice de mon assertion. Tu jugeras, en prenant le recul nécessaire, éloigné(e) de tes convictions vissées en toi. Et du brouillard trompeur de tes émotions rituelles.
Symbolisme oblige, l’affaire sera dépouillée en trois points : Les obédiences et leurs prétentions ; la tenue tant dans la couverture de son espace que dans sa structure jamais étudiée ; les conséquences sur la qualité de ses membres, les candidats, les Sœurs. Je prétendrai que la pédagogie maçonnique mérite le mitard. Parce que l’Ordre, aux yeux de solides Frères, Oswald Wirth en tête, est une « spiritualité pour agir » comme j’aime à le dire. Les Lumières, la Révolution, et les bouffissures humanistes sans atterrissage, ça suffit ! La fameuse Tradition (majuscule SVP !) est toujours et encore brodée des oripeaux érudits et historiques auto-justificateurs. La tradition maçonnique n’a que faire des planches savantes et des remugles du passé. Elle vise, c’est son génie, du moins dans les rites de style français, à trébucher sur le pont des symboles ancrés en soi, en l’humain. Puis, sur l’autre rive, devenir peu à peu un artisan discret et solide, ouvrier des mutations utiles de sauvetage de la société. Cela ne suffira pas. Les Maçons, entre autres sont amenés à aller plus loin, plus haut. Et avec l’effondrement annoncé (Club de Rome, GIEC…) de la planète, aux prémices évidentes, les Francs-maçons ont un boulot colossal. S’ils survivent, ils pourraient bien esquisser des ébauches d’une écologie frétillante. L’Égalité, pas celle de la bien-pensance mais celle qui sauve les 10 000 enfants qui meurent chaque jour de faim et de malnutrition. Au revoir la pédagogie maçonnique de grand papa. Bonjour la Maçonnerie égalitaire, non point dans ce qu’elle prétend mais dans ce qu’elle est capable, je le crois fermement, de trouver dans ses arcanes et ses désirs réalistes de réforme, une réponse qui contribuera à sauver les lendemains.
C’est bien là que se pose le triple questionnement d’une transmission dépassée, allongée sur un lit d’espoir. Trois points ? Allons-y !
D’abord l’organisation de l’Ordre, partout dans le monde : les obédiences qui portent si bien l’étymologie de leur dénomination : obéir. La plus grande inégalité les oppose, entre celles qui se disent relever de l’histoire et les nouvelles, qui se prétendent plus authentiques, nimbées des retrouvailles avec un passé de pacotille. Que quelles soient elles donnent le ton de l’obéissance voire de la soumission. Les Loges obéissent dans une inégalité de dépendance acceptée et justifiée : il faut bien de l’ordre : les Chambres, les Comités, les Conseils de l’ordre auto justifiés vont plus loin, dans les grandes obédiences ; et les inégalités de pouvoir sont affirmées avec des régions, des provinces, des territoires… Vite, oublions demain ces constructions ubuesques fomentées par les désirs de pouvoir. Vivent les réseaux de Loges, indépendantes et reliées. Elles partagent les mêmes valeurs, la même conviction d’une spiritualité pout agir. Il en existe déjà quatre ou cinq dans notre pays. Elles se portent bien
Et nulle n’est tributaire des autres dans son fonctionnement au sens le plus large. Certaines même ont le culot d’inventer des séquences rituelles ! Ce n’est plus l’obédience qui fait, par la voix du Grand Maître de grandes déclarations humanitaires et indignées à cause des malheurs du monde ; Les Loges libres, indépendantes s’attellent à la tâche ; les comités de soutien agissent. Et là la Maçonnerie anglo-saxonne avec ses faiblesses rituelles (par rapport aux nôtres) vit des réalités clubistes. Elles, bien ancrées et efficaces. J’explique tout cela dans mon dernier livre « Plaidoyer pour la survie de la Franc-maçonnerie ». Voilà bien l’Égalité, celles des dignités et des engagements concrets, audibles et palpables. Ces Loges, pour mener à bien leurs engagements peuvent regrouper des comités de soutien. Note que ce concept est déjà décrit dans une grande obédience, L’Égalité commence à poindre comme plusieurs trouvailles que l’on trouve ici et là et qui préfigurent l’avenir. L’Ordre a des ressources, des essais, des prémonitions, isolées certes mais qui entonnent les chants initiatiques futurs.
Doucement, nous renouons avec les traditions ; je veux dire des manières de vivre en dehors des organisations obédientielles ; Les Loges indépendantes, en réseaux, n’évoquent-elles pas le renouveau des communautés urbaines ou agrestes (500 environ en Occident) ? L’égalité y est de mise Elle est le germe de l’échange, de l’affection, de la liberté et du respect de l’autre. Bref d’une vie en petits groupes qui respirent la chaleur, la joie et les tâches imbibées d’Égalité. Chacun(e) est ainsi égal(e) aux autres. L’émission de télévision, Des racines et des ailes chante souvent la vie harmonieuse de ces villages qui renaissent.
Nos loges ne seraient-elles pas prêtes à vivre ainsi ? Celles qui sont indépendantes, déjà ; pourtant les autres, dans les obédiences, ont en elles les graines de l’Égalité. Germeront-elles ? Je l’espère ! Mais les structures de pensée universelles bloquent sauvagement mais en « loucedé » les rites et soumettent les tenues, en toute inégalité. Quel est donc ce frein qui nous rend ainsi ? Chez les humains presque partout. La Franc-maçonnerie, en particulier, doit, pour son avenir, prendre conscience de sa soumission au mode de pensée assassin de l’Égalité.
Pas un endroit, un enseignement, une organisation, quelle que soit sa vocation, qui ne se plie au diktat de la pyramide : en haut, le pouvoir qui s’émiette au fur et à mesure que l’on dévale sur ses flancs. Des dictatures aux démocraties, des riches qui font plier les pauvres et in fine les planches souvent aux relents universitaires. La constatation, au fond est banale, transmise dans les deux mots : « dominant-dominé »
Partout l’organisation pyramidale confortent les degrés, l’existence des officiers qui dirigent et souvent, la manière de s’exprimer des membres de la Loge ; toujours la pyramide du pouvoir ! Cette manière de vivre le fonctionnement de la meute humaine, définit la composition des rites et le vécu des tenues. Soyons impertinent : le grand symbole de notre Ordre n’est-il pas un triangle, avatar graphique de la pyramide ? Notre désir d’Égalité que nous clamons, se dessèche dans cette manière de vivre ensemble.
Vue de près, la Franc-maçonnerie adopte, sans ambages et avec une rare conscience, sa soumission à l’organisation pyramidale. Pourtant, peut-être que l’avenir qui va nous bouleverser va réveiller notre attention. Pour trouver d’autres voies que le diktat de la pyramide. A l’école, au travail, dans les loisirs donc dans nos rites et nos tenues, vivons différemment l’harmonie égalitaire. Mais là, nous ne sommes pas prêts. Pourtant rappelle-toi : nous nous voulons des « Maçons libres dans une Loge libre » ? Apparemment, peut-être pour les moins observateurs, trop ancrés dans la relation universelle, de la domination-soumission. D’ailleurs quand les soumis se rebellent, c’est pour imposer une autre hiérarchie de pouvoir. Quelques essais, à contre-courant de la nature humaine ont essayé de vivre la société autrement. J’ai évoqué plus haut les communautés actuelles, en partie héritières de mai 68. Avec l’anarchie en étendard. Son père, Joseph Proudhon harangua avec cette belle définition : « L’anarchie, c’est l’ordre sans le pouvoir ». Mais cela fait tellement peur de quitter notre native relation pyramidale que l’anarchie est devenue un vocable chargé de mépris et de ridicule.
Mais je t’entends, toi qui lis ces lignes : « Justement, la Franc-maçonnerie échappe à cette construction ». Je ne le crois pas du tout et, dans le sens de cet article, je crois même qu’avec douceur, falbalas et une fermeté cachée et puissante, elle renforce chez ses adeptes la soumission, qui apporte tant de confort. Rappelle-toi : les titres pompeux, les fioritures des décors portés avec gloriole, la construction sociale et nos valeurs de dominants : des Apprentis, tout en bas et les Maîtres en haut. Mais ce n’est pas assez, et nous prolongeons la Loge bleue par des degrés appelés, note-le, « supérieurs ». Participent en outre à ce conditionnement, la disposition même de l’espace : une salle en longueur, serrée dans des murs droits. Et des estrades pour ceux qui détiennent le pouvoir. On objectera : « Peut-être mais cela marche bien comme ça et partout, depuis des siècles. » Alors, changer, mais pourquoi ?
Je ne reviendrai pas sur les Loges indépendantes ni sur celle, disséminées qui osent l’anarchie dans le souffle transmis par nos Frères Francisco Ferrer et Léo Campion si bien connus dans les années 70-90 ; Léo Campion braillait sans sourciller : « La dictature est une forme autoritaire de la démocratie dans laquelle tout ce qui n’est pas obligatoire est interdit » ; et je n’évoquerai pas la discipline de nos tenues, par exemple dans la prise de parole. Non point qu’elle ne soit de mise, mais parce qu’elle durcit encore la leçon dominant/dominé.
Mais ne pourrions-nous pas nous transformer dans cet effondrement planétaire qui est annonce ? Je crois que le pari est audacieux et quasi grotesque tant il parait irréaliste. Mais pas impossible pour les personnes éprises d’égalité, nous, en particulier. Mais pour ce faire, il faut descendre en nous et ne pas nous chicaner sur les comparaisons entre les systèmes politiques, les choix économiques, les tissus d’idéaux et de valeurs affichée… Laissons de côté les psychologies, sociologies ; descendons encore et allons, dans une audace incroyable jusqu’à l’éthologie. Là peut être comprendrons nous le pourquoi de la pyramide du pouvoir. Et alors, enfin, qui sait, changer avec labeur, et lourdeur notre manière de vivre depuis les 400000 ans que nous existons. Alors nous pourrions nous joindre à la foule grossissante de celles et ceux qui refusent l’étendue de la domination-soumission.
L’éthologie est une science qui a pour but d’observer les comportements animaux dont les 8 milliards de prédateurs humains font partie. Science mal vue et peu clamée : ne détruit-elle pas cette insupportable anthropocentrisme qui nous posent, avec une insolence folle, comme maîtres de la création. Pour l’éthologie, ; nous somment comme l’a écrit joliment le frère Daniel Beresniak des « humanimaux ». Allons-y : étudions-le comme tel. Nous allons découvrir, ce faisant, une inégalité maçonnique, souvent dénoncée mais sans suite palpable. L’inégalité des sexes dans la maçonnerie. « Ça ne va pas ; les Sœurs ont totalement leur place dans l’ordre ». Par leur présence physique, oui, certainement, mais pas par la singularité de leur génie. Depuis les années 70, les études, les expériences, les cohortes observées, les analyses comparées, des livres bien connus sont formels : des différences existent entre les deux sexes : physiques, comportementaux, émotionnels, sociaux et autres.
Or qu’observons-nous dans la Franc-maçonnerie. Des essais déjà : elles sont « acceptées » ; on disait « adoptées » ; sous-entendu par les Frères dont elles enfilaient les caractéristiques. Attention, parenthèse : je ne dis jamais tous les mâles, toutes les femelles. Il n’y a que des proportions dans la population et dans la tête de chacun-e. N ’empêche, on peut être sidéré par la soumission des Sœurs aux dispositifs, valeurs et organisations des mâles. Pourquoi ? Car les humains sont des animaux de meute. C’est à ce niveau, celui de l’éthologie que tout s’éclaire. Je développe un paragraphe dans mon livre déjà cité : « Plaidoyer… ». Je t’y renvoie parce que je vais maintenant affirmer mon point de vue et peut-être te faire bondir.
Une meute animale est quasiment toujours constituée ainsi : en haut de la pyramide, les dominants, les seigneurs, les mâles les plus forts, ceux qui sont capables de protéger la meute. Puis en descendant les mêles moins musclés. Enfin et, le plus souvent, dans le socle de la pyramide du pouvoir les femelles. Et elles se sentent bien, protégées, en lieux sûrs, les dangers écartés. Et tout cela grâce aux dominants qui règnent sur les corps et les esprits. C’est le fonctionnement des meutes, la nôtre en particulier.
Mais, depuis un siècle, nous assistons à un incroyable révolution dans cette soumission des femelles, en Occident et plus rarement ailleurs (il y a quand même un peu plus de trois milliards de femmes soumises). Les féminismes naissent ci et là et, quelle que soient les nuances : les réponses varient sur l’égalité des hommes et des femmes. Alors, dans la Maçonnerie, nous avons réussi à la faire depuis la fin du XIX° siècle, avec les obédiences féminines et mixtes. J’ose et je m’inscris dans une autre lecture. Plus haut, nous avons observé que la Franc-maçonnerie comme l’écrasante majorité des organisations humaines, renforçait l’organisation pyramidale. Celle des mâles dominants. Ils ont donc construit (un temple !), à partir de légendes historiques qui cautionnent sans chic, une maçonnerie typiquement masculine. Je ne reviendrai pas sur la distribution du pouvoir dans l’ordre ; même s’il nésite pas à se déjuger, en dénonçant les abus de pouvoir ailleurs.
Les femelles de la meute, les Sœurs, prétendent que les arcanes maçonniques sont universels et qu’elles peuvent de les approprier. Ne peuvent-elles pas faire comme les frères ? Et, mais ce n’est que mon point de vue, elles se sentent bien dans cette soumission ; Alors elles se justifient et persévèrent. Les obédiences féminines qui croient dur comme fer qu’elles peuvent tout à fait vivre tenue comme les frères, en ont tout à fait le droit. Mais sans prétendre, selon moi, à une quelconque égalité. De même dans les loges mixtes mais la question est plus complexe. Or des études récentes démontrent que les femmes sont tout à fait capables de s’adapter à d’autre valeurs et organisations. Elles ont une souplesse de compréhension qu’ont plus rarement les mâles. Des obédiences mono genres, mixtes, pourquoi pas ? Mais, je le souligne, dans la perpétuation de l’inégalité ; car les femmes sont capables, avec leur génie propre, de repousser sans haine les construits dominants des hommes. Et d’inventer une autre voie spirituelle, initiatique dans le droit fil d’une « spiritualité pour agir » Avec une cohorte d’arcanes (rite, mythes et symboles) revus à leur aune., leur créativité et leur ouverture.
Voici donc, en bref, voici ma conviction à propos de l’Égalité des sexes, dans la voie maçonnique : Les Sœurs acceptent, en plein accord inconscient la voie telle qu’elle a été récupérée et habillée depuis trois siècles par des hommes épris d’un cheminement initiatique qui soit le leur. Cette reprise a deux origines : la première est universelle, simplement humaine. Par exemple : un lieu consacré, une entrée, le silence et la méditation, une couleur, des temps distincts, un travail sur soi avec les autres… La seconde est un habillage social. Les frères, évidemment ont revêtu l’universel de leurs propres vêtements : espace longiligne, hiérarchie, planches, place éminente de la Loi…Les sœurs, quant à elles, vivent, par nature, l’universel. Mais elles se soumettent, dans le même élan, au construit social des frères. Les sœurs restent sagement, dans leur corps et dans leur tête, là où la nature les a placées : dans les bas de la pyramide. Et elles sont capables de trouver juste et authentiques cette loi de la meute humanimale. Quoiqu’il en soit, pas question donc de supposer que l’Égalité est une solide branche initiatique de notre maçonnerie masculinisée et figée. Que chacune choisisse mais en toute conscience, condition impérieuse.
Mes Sœurs, grâce à plusieurs d’entre vous, c’est, en bonne partie, par votre grande et indubitable singularité que les temps maçonniques basculeront. Enlevez les oripeaux culturels de vos frères et revêtez-vous de vos propres vêtures. Avec vous, survivra, renouvelée, enrichie, notre si belle Maçonnerie de racines universelles. Alors l’Égalité chantera dans nos tenues accueillantes à toutes les sensibilités.