sam 23 novembre 2024 - 03:11

ESPAGNE : “Pour être admis dans la Franc-Maçonnerie il faut être un homme, libre, croyant et de bonnes mœurs”

De notre confrère espagnol 65ymas.com – Par Antonio Castillejo

Entretien avec Pavel Gómez del Castillo, franc-maçon et grand inspecteur de la Grande Loge d’Espagne.

Pavel Gómez del Castillo est né à Madrid en 1971 et a fini par être journaliste parce qu’il voulait être écrivain. Il a appris le métier au journal ABC et à la fin de ses études universitaires, il est entré à Diario16, spécialisé dans la politique étrangère et la défense. Après avoir travaillé dans la presse écrite au XXe siècle, il a consacré le XXIe à la communication institutionnelle et est membre de la Grande Loge espagnole depuis 20 ans .

QUESTION : Qu’est-ce que la franc-maçonnerie ?

RÉPONSE: C’est un chemin de vertu, un chemin pour être de plus en plus vertueux dans sa pensée, dans son comportement et dans ses relations aux autres. Au fond, c’est un endroit dans lequel nous nous rendus pour nous améliorer.  Souvent, nous avons des conversations entre nous dans lesquelles à la fin nous voyons que ce sont les autres qui doivent reconnaître ce changement, c’est-à-dire que si votre famille, vos amis et vos collègues n’ont détecté aucun changement en vous, c’est que ça ne change pas. La franc-maçonnerie n’est que cela, ce qui n’est pas peu. Alors chaque frère, à l’extérieur, dans le monde, fera ce qu’il a à faire. Il y a des frères de tous partis et de toutes idéologies, de toutes professions, chacun marchant sur le chemin individuellement que nous parcourons ensemble. Je le compare, parce que je l’ai fait, avec le chemin de Saint-Jacques, C’est quelque chose que vous pouvez faire accompagné mais au final c’est quelque chose que vous devez faire vous même, personne ne marchera à votre place. Les gens avec qui vous marchez sur le chemin sont la loge, ils marchent et vous marchez avec eux, mais personne ne peut parcourir ce chemin de transformation pour vous.

Q. : Quels sont les principes fondamentaux de la franc-maçonnerie ?

A. : La maçonnerie, au fond, est une école. La définition de la franc-maçonnerie que donne mon rite est qu’elle est une école de vertu et de sagesse qui conduit au temple de la vérité sous le voile des symboles ceux qui l’aiment et la désirent.

Q. : Vous parlez de votre rite, quels sont les rites et combien sont-ils ?

UNE .: Chaque membre de la Grande Loge d’Espagne appartient à une loge qui travaille selon un rite. Il existe différents rites au sein de la franc-maçonnerie mais aussi des pays dans lesquels un seul rite est pratiqué. En Espagne, qui est un carrefour, sept rites différents sont pratiqués, c’est un pays avec beaucoup de richesse rituelle. Le plus célèbre de tous dans l’imaginaire collectif des non-maçons de notre pays est celui du Rite Écossais Ancien et Accepté des 33 Degrés. Quand on dit qu’un frère est au 33e degré, il s’agit de quelqu’un qui pratique ce rite. Cependant, la réalité actuelle en Espagne est qu’il y a autant de loges de ce rite que de Rite d’Émulation. Il existe aussi d’autres rites minoritaires, comme le Rite Ecossais Rectifié, qui est celui auquel j’appartiens, le Rite Français, le Rite York, le Rite Suédois… Chaque Loge choisit son rite de travail, elle décide à quel rite elle veut travailler. Les rites sont une manière formelle d’ouvrir les travaux, de les fermer… ils se ressemblent tous, mais il y a de légères différences entre eux et la plupart datent du XVIIIe siècle. Dans tous les cas, vous pouvez visiter des loges de rites différents du vôtre, cela ne nous sépare pas.

Q. : Que cherche la franc-maçonnerie ?

A. : En gros, la franc-maçonnerie, dans n’importe lequel de ses rites, vous amène à vous demander qui vous êtes et quel est l’idée que vous avez de vous-même, elle vous fait vous questionner si vous êtes proche ou loin de l’atteindre, ce qui vous manque ou ce qui vous entoure pour être la personne que vous voulez être. La franc-maçonnerie ne vous dit pas comment vous devez être, vous pose les bonnes questions sur la distance ou à quel point vous êtes proche d’être ce que vous voulez être.

Q. : Combien y a-t-il de Loges en Espagne ?

R. :  Il y a quelques jours à Séville nous avons allumé les feux d’une loge qui porte le numéro 189. Il y a autant de Loges que les maîtres de la Grande Loge d’Espagne le souhaitent, puisque sept maîtres peuvent demander l’érection d’une Loge et la Grand Maître l’accorde ou pas, mais s’il l’accorde, à partir de ce moment-là tu vas travailler. 

Q. : Combien y a-t-il de maçons en Espagne ?

A. : Dans la Grande Loge d’Espagne nous sommes environ 4000. Toutes les loges régulières du pays appartiennent à la Grande Loge d’Espagne, organisée par provinces. Entre la Grande Loge et les loges il y a un niveau intermédiaire que sont les provinces maçonniques et les loges dépendent de ces provinces. Chaque frère appartient à une loge et à une seule. Comme je l’ai dit, nous sommes actuellement environ 4000 regroupés dans les 189 loges dont nous avons parlé.

Q. : Existe-t-il un seul type de franc-maçonnerie ?

R. : En plus de ces 189 loges, il existe d’autres institutions maçonniques qui appartiennent à la franc-maçonnerie irrégulière, qui en Espagne compte environ 18 institutions qui réunissent ensemble environ 500 ou 600 personnes. Ils sont minoritaires. Il n’y a que deux pays dans lesquels la franc-maçonnerie irrégulière est majoritaire, la France et la Belgique, dans le reste de la planète la franc-maçonnerie régulière est celle qui compte le plus de membres.

Q. : Pourquoi ?

R. : Parce que si vous supprimez la partie spirituelle de ce voyage, il ne vous reste plus qu’à parler de la partie matérielle, de la façon dont vous organisez la matière et vous finissez inévitablement par parler de choses qui sont très proches de la politique. Ceci, dans la franc-maçonnerie régulière, n’arrive pas, dans cette franc-maçonnerie à laquelle j’appartiens on ne parle jamais de politique, ni de religion, en comprenant religion comme confessions concrètes, on parle de choses qui sont au-dessus de tout cela, parce que la franc-maçonnerie dit depuis sa naissance il y a 300 ans, c’est que la politique nous sépare et la religion nous sépare. Nous avons chacun droit à notre idéologie et à notre croyance, mais nous ne devons pas en parler dans la loge , ce dont nous devons parler est ce qui nous unit et ce qui nous unit est le voyage spirituel, de connaissance de soi-même, de grandir en tant qu’être humain, d’être un peu plus vertueux chaque jour. C’est le genre de choses que nous partageons dans la loge..

Q. : Quelles sont les conditions requises pour entrer dans la franc-maçonnerie ?

A. :  Pour être admis à la Franc-Maçonnerie il faut être un homme, libre, croyant et de bonnes mœurs. Quiconque remplit ces conditions et frappe à la porte de la franc-maçonnerie peut y entrer. Mais l’appréciation de cette notion d’être libre et de bonnes mœurs est jugé par chaque loge. Chaque loge est souveraine pour admettre ou non ses membres à travers un processus d’appréciation. Mais tant les provinces que la Grande Loge d’Espagne ne sont que des structures pour s’assurer qu’il y a des temples, etc., la vie initiatique est dans les loges.

Q. : Vous avez dit qu’il faut être un homme, la maçonnerie est-elle fermée aux femmes ?

R. : Au sein de la franc-maçonnerie régulière, nous ne travaillons que des hommes, les Loges ne sont que des hommes. Dans la franc-maçonnerie irrégulière ou libérale, comme ils s’appellent, il existe des loges de tous types, exclusivement masculines, féminines, mixtes… à l’autre. Dans le courant régulier, le problème a été résolu en ce sens qu’il existe de grandes loges pour femmes dans lesquelles seules des femmes travaillent. En effet, lorsqu’il y a des femmes qui frappent à la porte de la Grande Loge d’Espagne, nous les renvoyons à la Grande Loge des Femmes d’Espagne et c’est elle qui en quelque sorte accueille cette candidate et met en branle tout le processus.

Q. : Vous avez également dit que l’une des conditions pour être maçon est d’être croyant…

R.: Vous devez comprendre comment nous sommes organisés. Il existe dans le monde deux grands courants maçonniques, le courant régulier, comme l’appelons ceux d’entre nous qui en font partie, et l’irrégulier. A son tour, ce courant irrégulier parle de franc-maçonnerie dogmatique pour se référer à la nôtre, car nous exigeons une croyance spirituelle du candidat, et de franc-maçonnerie libérale qui serait la sienne. Actuellement, dans le monde neuf francs-maçons sur dix appartiennent au courant régulier. La franc-maçonnerie apparaît comme un lieu où les gens qui pensent différemment, qui ont des croyances, des religions et des idéologies différentes peuvent vivre ensemble et dialoguer sans aucun problème, mais la différence fondamentale entre nous vient du fait qu’il fut un temps au 19ème siècle que la franc-maçonnerie s’est fracturée en deux dans certaines institutions maçonniques, le Grand Orient de France et le Grand Orient de Belgique ont décidé d’admettre aussi des athées parmi eux, et c’est ce qui nous maintient divisiés. Dans celle d’Espagne, comme dans celle de toute autre Grande Loge régulière, il faut croire en quelque chose. Personne ne va vous demander quoi. Mais si vous n’avez pas de vie spirituelle, si vous ne croyez pas qu’il y a quelque chose au-delà de ce que nous pouvons voir, toucher, peser et mesurer, nous pouvons dire que vous appartenez à l’autre courant.

Q : Tous les maçons ont-ils la même catégorie au sein de l’institution ?

A. : Vous entrez comme apprenti, au bout d’un temps, un an ou deux, vous devenez compagnon, lorsque votre travail de compagnon est terminé vous devenez maître et ce sont les maîtres de chaque loge qui choisissent parmi eux chaque année un vénérable maître qui dirige les travaux de la loge à chaque tenue maçonnique. Et ce sont tous les maîtres qui ont été des vénérables, environ un tiers des membres de l’institution, qui composent la grande assemblée de la Grande Loge d’Espagne et élisent le grand maître. Mais en principe la franc-maçonnerie a trois degrés : apprenti, compagnon et maître. Ce qui se passe c’est qu’à partir de là il y a d’autres niveaux et ça dépend de chacun s’il veut travailler dessus ou pas. 

Q. : Qui est actuellement le Grand Maître de la Grande Loge ?

A. :  Le grand professeur actuel est Oscar de Alfonso, un avocat valencien en poste depuis près de 12 ans mais qui a déjà annoncé qu’il ne se représenterait pas. Tous les quatre ans, nous élisons le Grand Maître et il y a plusieurs frères qui ont déjà annoncé leurs intentions de se présenter pour la prochaine désignation. En mars, il y aura un nouveau frère au poste de Grand Maître qui aura été choisi par tous ces frères qui ont été jadis de vénérables maîtres. 

Q. : Y a-t-il un âge limite pour entrer dans la franc-maçonnerie ?

R .: Il n’y a pas d’âge pour frapper à la porte de la franc-maçonnerie, mais il est vrai que l’âge a son importance. La franc-maçonnerie ne fait pas de prosélytisme, elle s’occupe de ceux qui frappent à sa porte et ceci relève de sa propre identité. Les gens qui frappent à votre porte sont des personnes qui, en train de construire leur propre identité, qui ressentent qu’ils leur manquent quelque chose. Jusqu’à l’âge de 20 ans, nous sommes tous sur le même chemin, au moment de choisir un métier, de fonder une famille ou non, de déterminer nos idées…, c’est pourquoi il y a beaucoup de candidats qui entrent après 30 ans. Mais il existe une autre tranche d’âge, à partir de 50 ou 60 ans, de personnes en fin de carrière professionnelle qui ont le sentiment qu’après toute cette vie qu’elles ont vécue, il leur manque encore quelque chose. Comme je l’ai dit, il n’y a pas d’âge pour entrer, mais c’est surtout fait dans ces deux moments, quand on commence la vie d’adulte après avoir fait une série de choix sur ce que va être ta vie, c’était mon cas. Mais il y a aussi un autre moment particulièrement crucial où de nombreuses personnes frappent à la porte de la franc-maçonnerie, à la fin d’une vie professionnelle, avec des enfants déjà élevés, lorsque vous découvrez que vous approchez des 65 ans et que vous avez une vie à vivre, du monde à construire et beaucoup de choses à savoir sur vous-même.

Q. : Pourquoi y a-t-il cette impression d’obscurantisme qui existe autour de la franc-maçonnerie ?

R .:C’est un sentiment local. L’histoire de la franc-maçonnerie en Espagne est complexe car c’est le pays au monde où la franc-maçonnerie a été la plus persécutée. Il n’y a aucun autre pays qui a créé un tribunal spécifique pour la persécution de la franc-maçonnerie. Il y a un historien, José Antonio Ferrer Benimeli, un jésuite, qui est probablement la personne qui a le plus étudié l’histoire de la franc-maçonnerie espagnole. Il est l’une des premières personnes qui, à la fin des années soixante, a pu entrer dans les archives de Salamanque pour voir toute la documentation qui s’y trouvait, une documentation qui a été utilisée pour la persécution des francs-maçons mais qui est maintenant une source pour tous les maçons, comme s’appellent les historiens de la franc-maçonnerie. C’est l’un des plus grands gisements au monde parce qu’il n’y a pas de telles archives dans aucun autre pays et dans aucun autre nous n’avons été systématiquement persécutés comme cela s’est produit ici. Et cette perception dont vous parliez si vous allez aux États-Unis, par exemple, n’existe pas. Là, les frères mettent sur leur curriculum vitae qu’ils sont francs-maçons car la personne qui le reçoit comprendra qu’une institution comme la franc-maçonnerie les a acceptés, il y a une perception positive de la franc-maçonnerie.

Q. : Est-ce que ça arrive aux États-Unis peut-être parce que George Washington était un franc-maçon et son visage est sur les billets d’un dollar, alors qu’ici, pendant 40 ans on a dit que ce pays n’avait pas levé la tête à cause d’un complot judéo-maçonnique ?

R :En effet, cela arrive dans les pays où la franc-maçonnerie a été persécutée, qui sont ceux qui au cours du 20ème siècle ont eu de longues dictatures de droite ou de gauche, peu importe le signe, toutes les dictatures nous ont persécutés. Accompagnant une persécution, il y a toujours une histoire officielle qui l’a justifiée. Mais dans les pays du monde qui ont la démocratie depuis 200 ans, les choses changent beaucoup. Ce n’est pas que la franc-maçonnerie ait un certain projet, mais beaucoup de ceux qui ont fondé ces pays étaient des francs-maçons qui voulaient faire de la politique et qui ont fondé les États-Unis ou la Suisse. Mais dans les pays où nous avons vécu de longues dictatures, nous avons été persécutés parce qu’en fin de compte, si nous comprenons l’essence de la franc-maçonnerie comme un espace de tolérance mutuelle, de ne pas rejeter ceux qui ne pensent pas comme vous et de penser librement, dans une dictature , peu importe la nature, ce n’est pas autorisé. Ils veulent imposer au contraire de la monopole de la pensée, mes idées sont correctes et les autres je dois les combattre. En fait, dans le cas du communisme, la IIe Internationale nous a interdits en 1921 parce qu’elle nous considérait comme un espace de transversalité qui tentait de nier la lutte des classes.

Q. : Mais n’avez vous pas expliqué que la franc-maçonnerie est égalitaire…

A. : Bien sûr, la franc-maçonnerie est un espace dans lequel j’ai vu des choses incroyables. J’ai vu les PDG d’une entreprise importante servir la table parce qu’ils étaient des apprentis et un chauffeur de taxi qui est maître assis à la table, quelque chose d’impensable dans n’importe quel autre espace, c’est-à-dire que la transversalité est absolue. En fait, nous, les maçons, nous nous habillons tous de la même façon lorsque nous allons à la loge, en costume sombre, chemise blanche et cravate noire, afin qu’il n’y ait pas de différences visibles entre nous. Il n’y a pas de différences entre nous, peu importe ce que vous êtes à l’extérieur, ce qui compte c’est le chemin sur lequel vous êtes et le degré que vous avez.

Q. : Nous avons déjà parlé du fait que George Washington était un franc-maçon et je comprends que parmi les francs-maçons il y a une curieuse anecdote à son sujet…

R .: Oui, c’est une anecdote que tous les Maçons connaissent, bien que nous ne sachions pas si c’est vrai ou non, mais la vérité est parfaitement crédible et a beaucoup à voir avec ce dont nous avons parlé sur l’égalité entre nous et les degrés de la institution. Ils disent que Washington se promenait un jour dans les jardins de la Maison Blanche et est tombé sur le jardinier qui a dit “Bonjour, Monsieur le Président” auquel il a répondu : “Bonjour, vénérable maître” Et c’est que le jardinier était le vénérable maître qui est choisi annuellement dans chaque loge pour diriger les travaux et quand ils étaient dans la loge, le responsable était le jardinier et le président siégeait comme un maître de plus.. La franc-maçonnerie est finalement comme un monde parallèle où ce que vous êtes en dehors n’a aucune valeur.

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