ven 22 novembre 2024 - 10:11

Un regard maçonnique sur le Prix Goncourt 2021 !

Ayant la chance de vivre actuellement au Sénégal, la lecture de ce roman dans l’ambiance de l’africanité a été une réelle joie et je vous invite à la partager.

La franc-maçonnerie nous invite à la quête de la vérité. Pierre Pelle Le Croisa y consacre d’ailleurs son dernier livre, en « disséquant » ses différentes approches

linguistiques (Lire une recension de “Les langages symboliques de la quête de

la Vérité, des vérités profanes aux vérités maçonniques”).

Mohamed Mbougar Saar, lui, utilise une approche littéraire, romanesque, pour explorer ce thème avec bonheur !

Le titre de l’ouvrage, « La plus secrète mémoire des hommes », qui a reçu le Prix Goncourt 2021, nous donne une première piste :   Vérité, Mémoire …

Le cabinet de réflexion, avec la formule VITRIOL, nous renvoie aussi, d’une certaine manière, à ce devoir de mémoire ! Non pas la mémoire de faits historiques, mais celle de notre propre vécu et aussi de nos origines, ce que l’on appelle aussi le roman familial.

Le narrateur, lui aussi jeune écrivain sénégalais, se lance dans une quête de la Vérité à propos de son héros (Elimane Madag Diouf ou Elimane  T.C) et de son œuvre (« Le Labyrinthe de l’inhumain ») : qu’est-il devenu ? Que lui est-il arrivé ?

L’œuvre de Mohamed Mbougar Sarr peut se comprendre comme une enquête qui dénoue les fils emmêlés d’une histoire peu banale ; l’art de l’écrivain, c’est naturellement le génie de l’utilisation des mots, la capacité à varier les styles d’écriture, le plongeon dans l’africanité et aussi une réflexion sur le sens de la littérature.

Le drame du héros du livre, Elimane Madag Diouf ou Elimane  T.C., écrivain sénégalais auteur d’un livre fascinant, énigmatique et mystique, « Le labyrinthe de l’inhumain », est en quelque sorte de rechercher une reconnaissance qu’on lui conteste pour des raisons autres que littéraires et qu’il n’obtiendra pas.

Tout être humain est pris dans la cohabitation difficile entre ce d’où il vient et son ambition d’être ! Nous avons tous besoin de reconnaissance ; le problème se pose lorsque notre milieu familial ne nous la délivre pas soit parce que nous le rejetons soit parce que nous ne pouvons bénéficier de son soutien ! Or cette première reconnaissance est primordiale et d’autres ne pourront pas la remplacer.

En franc-maçonnerie, on retrouve cette nécessaire reconnaissance dans le dialogue rituel :

  • Es-tu franc-maçon-ne ?
  • Mes sœurs/frères me reconnaissent comme tel-le.

Comme on le voit, cette quête résonne en nous, nous, franc-maçonnes et francs-maçons qui sommes aussi dans une quête de Vérité.  

Notons, l’utilisation dans le récit du mot « schibboleth », (ce qui chez les écrivains, en dehors de Victor Hugo  (cf Cromwell – 1827), est assez rare), pour signifier un code de reconnaissance entre deux personnages du roman qui ne peuvent plus communiquer autrement que par une relation spirituelle.

Une autre occurrence en lien avec la franc-maçonnerie est l’évocation du rôle de Blaise Diagne, député, (Membre et VM de la RL Pythagore du GODF à Paris) dans le recrutement de tirailleurs sénégalais pour la guerre de 14-18. Pour ce sujet, le ton est nettement plus douloureux ; le reproche et l’incompréhension persistent devant ce que de nombreux sénégalais considèrent encore comme une trahison.

L’actualité de cette œuvre littéraire, c’est aussi de parler vrai de l’africanité et de son rapport parfois ambigu avec l’Occident et en particulier la France.  

Il y a une proximité, à mon humble avis, entre les problématiques africaine et maçonnique : toutes deux sont riches de culture, d’histoire et de génie ! Mais toutes deux sont minées par une réelle désespérance de leurs forces vives : les africains sont nombreux à douter de l’Afrique et la plupart des francs-maçons doutent aussi de la franc-maçonnerie !

Dans les deux cas, on parade mais ensuite on passe à autre chose !

Dans les deux cas, la désespérance prend sa source dans la suspicion vis-à-vis des dirigeants : le plus souvent corrompus pour les africains, sans éclat pour les maçon-ne-s !

La grande différence vient de la jeunesse africaine ; jeunesse insolente, bouillonnante de vie et prête à tous les défis ! En franc-maçonnerie, c’est le règne de la gérontocratie et cela est plus préoccupant car la vieillesse, si elle ne transmet pas, n’a plus d’avenir !

La majeure partie du récit se déroule dans le milieu littéraire de la diaspora africaine à laquelle sont associés des écrivains francophiles d’autres origines ; en contrepoint du sujet principal du roman, la place de la littérature et le rôle de l’écrivain sont les sujets de prédilection de leurs débats ;  je me permets de vous citer une des digressions de l’auteur:

«  La littérature m’apparut sous les traits d’une femme à la beauté terrifiante. Je lui dis dans un bégaiement que je la cherchais. Elle rit avec cruauté et dit qu’elle n’appartenait à personne. Je me mis à genoux et la suppliai : Passe une nuit avec moi, une seule misérable nuit. Elle disparut sans un mot. Je me lançai à sa poursuite, empli de détermination et de morgue ; je t’attraperai, je t’assiérai sur mes genoux, je t’obligerai à me regarder dans les yeux, je serai écrivain ! Mais vient toujours un terrible moment, sur le chemin, en pleine nuit, où une voix résonne et vous frappe comme la foudre ; et elle vous révèle ou vous rappelle, que la volonté ne suffit pas,  que le talent ne suffit pas, que l’ambition ne suffit pas, qu’avoir une belle plume ne suffit pas, qu’avoir beaucoup lu ne suffit pas, qu’être célèbre ne suffit pas, que posséder une vaste culture ne suffit pas, qu’être sage ne suffit pas, que l’engagement ne suffit pas, que la patience ne suffit pas, que s’enivrer de vie pure ne suffit pas, que s’écarter de la vie ne suffit pas, que croire en ses rêves ne suffit pas, que désosser le réel ne suffit pas, que l’intelligence ne suffit pas, qu’émouvoir ne suffit pas, que la stratégie ne suffit pas, que la communication ne suffit pas, que même avoir des choses à dire ne suffit pas, non plus que ne suffit le travail acharné ; et la voix dit encore que tout cela peut être, et est souvent une condition, un avantage, un attribut, une force, certes, mais la voix ajoute aussitôt qu’essentiellement aucune de ces qualités ne suffit jamais lorsqu’il est question de littérature, puisqu’écrire exige toujours autre chose, autre chose, autre chose. Puis la voix se tait et vous laisse dans la solitude, sur le chemin, avec l’écho d’autre chose, autre chose qui roule et s’enfuit, autre chose devant vous, écrire exige toujours autre chose, dans cette nuit sans certitude d’aube. »

Mohamed Mbougar Saar a toutes ces qualités et aussi cette « autre chose » qui éclaire son quatrième roman, belle illustration d’une littérature française contemporaine ;  son jeune âge laisse espérer d’autres œuvres de cet acabit ! Patientons pour les découvrir !

Parce que je suis un amoureux du Sénégal, je terminerai en vous confiant un poème que j’ai écrit il y a près de 15 ans :


La plus secrète mémoire des hommes 

Roman

Auteur : Mohamed Mbougar Sarr

co-Editeurs : Philippe Rey – Jimsaan – 2021 – 457 pages – Prix : 22 €

Prix Goncourt 2021

Table des matières

  • Livre premier
    • Première partie : La toile de l’araignée-mère
    • Deuxième partie : voyage estival
    • Premier biographème : trois notes sur le livre essentiel
  • Deuxième livre
    • Première partie : le testament d’Ousseymou Koumakh
    • Deuxième biographème : trois cris en plein tremblement
    • Deuxième partie : enquêteuses et en quêtées
    • Troisième biographème : Où finit Charles Ellenstein
    • Troisième partie : Nuits de Tango par marée haute
  • Troisième livre
    • Première partie : Amitié – Amour x littérature/politique = ?
    • Quatrième biographème : Les lettres mortes
    • Deuxième partie : la solitude de Madag
  • Remerciements

On lira aussi avec profit :

une recension de Christine Bini

et une autre de Pierre Benetti

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Alain Bréant
Alain Bréant
Médecin généraliste, orientation homéopathie acupuncture initié en 1979 dans la loge "La Voie Initiatique Universelle", à l'orient d'Orléans, du GODF Actuellement membre d'une loge du GODF à l'orient de Vichy Auteur sous le pseudonyme de Matéo Simoita de : - "L'idéal maçonnique revisité - 1717- 2017" - Editions de l'oiseau - 2017 - "La loge maçonnique" - avec la participation de YaKaYaKa, dessinateur - Editions Hermésia - 2018 - "Emotions maçonniques " - Poèmes maçonniques à l'aune du Yi King - Editions Edilivre - 2021

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