Il y a au moins deux façons d’interpréter un rituel maçonnique. Soit, comme les « ritolatres » contemplatifs et jargonnants, en considérer chaque degré comme le précieux papillon figé et épinglé d’une collection sous verre. Soit, utiliser le rituel pour ce qu’il est avant tout : un conducteur cérémoniel, qui prend vie à partir d’une suite fictionnelle, et porteur de principes moraux et de valeurs existentielles, à mettre en pratique par des maçons libres, dans le réel de la loge et de la Cité.
L’homme n’est pas conçu pour se représenter le monde, enchaîné et immobile dans une caverne, comme celle de Platon. Il est fait pour le découvrir, le parcourir. Un squelette et des membres progressivement adaptés à la station debout et à la marche bipède, des mains et des pieds agrémentés d’un pouce, les premières permettant une forte préhension et les seconds une bonne stabilité au sol, une boîte crânienne volumineuse et profilée, un cou dégagé, une dentition bien arrondie, des yeux alignés en façade : l’homo sapiens montre une évidente dynamique pour aller de l’avant, scruter l’horizon. Pour marcher et courir devant lui. A remarquer, précisément, que sa structure ne comporte pas de marche arrière ! C’est avec cet équipement physique, complété de cinq sens, vue, ouïe, odorat, goût, toucher – par excellence, outils indispensables pour répondre à son besoin d’information – qu’il a d’abord « palpé » et inspecté son environnement immédiat puis quitté ensuite ce berceau africain où il est né, actionné par le DÉSIR d’être, de faire et d’échanger avec ses congénères, en conquérant progressivement toute la planète.
En chemin, ce désir – façon « Connais-toi toi-même » socratien – l’a conduit à s’intéresser à son propre fonctionnement corporel extérieur. La dissection des cadavres a longtemps été interdite par le clergé. C’est à la fin du Moyen âge seulement que la « curiosité chirurgicale » a, si je puis dire, ouvertement pu exercer l’exploration interne des corps. Et ainsi, à partir de la mort, préserver la vie, par des interventions appropriées. L’étymologie du mot « curiosité » prend ici tous son sens, puisqu’il est une déclinaison de « cure » : prendre soin, donner des soins, soigner. On peut s’étonner du changement de sens, lorsque la curiosité vient à signifier « le besoin de savoir ». Le philosophe Spinoza nous donne la passerelle entre les deux sens, lorsqu’il affirme que l’Homme est destiné à « persévérer dans son être ». Il s’agit donc bien de se perfectionner, donc de « s’occuper de soi », d’apporter du soin à sa propre réalisation. On ne peut y parvenir qu’en étant « curieux de soi même », c’est à dire en recensant « soigneusement » nos possibilités.
LA CONNAISSANCE DE SOI
Cette « connaissance de soi » établie, notre curiosité, ce « radar individuel » nous invite à une conversion de point de vue. Il convient, pour le curieux, au delà de sa personne, de regarder, penser et vivre ce monde. La franc-maçonnerie nous propose d’adopter le raisonnement de Kant sur le Devoir, qui inclue le concept de « pensée élargie ». A savoir, la nécessité d’ôter nos œillères psychiques – productrices d’idées arrêtées et de préjugés – et d’agrandir notre périmètre d’action (on parle aujourd’hui de « zone de confort »), par exemple en apprenant une langue étrangère puis en voyageant dans le pays concerné. La curiosité est alors pleinement satisfaite avec une pensée augmentée de découvertes et de raisonnements nouveaux. Et d’une imagerie mentale enrichie !
L’utopie est l’antichambre du réel. La curiosité comblée trouve son plus bel exemple avec la conquête de la lune ! Combien de générations l’ont rêvée ? Jusqu’à ce qu’une équipe de terriens l’atteignent et y posent le pied (dont un franc-maçon Eldwin Aldrin) en 1969 ! La liste est longue des hommes et des femmes, auxquels nous devons, grâce à leur « soif de trouver », un savoir sur le macrocosme et le microcosme. Et aussi une vie préservée, facilitée, prolongée. De Gambatista della Porta, inventeur du premier télescope (1586) à Zacharias Jensen, inventeur du premier microscope (1595). De Louis Pasteur, découvreur des micro-organismes responsables de plusieurs maladies infectieuses, à Alexander Fleming découvreur du penicillium ouvrant la voie aux antibiotiques. Puis à Marie Curie, découvreur de la radio-activité du thorium et avec son mari Pierre Curie, du polonium et du radium (1898). Depuis, ces inventions et recherches ont produit des avancées scientifiques prodigieuses.
Après la médecine, on ne peut passer sous silence les domaines où la curiosité permet des découvertes pratiquement chaque année, qu’il s’agisse de l’astronomie, l’archéologie, la vie sous-marine. Les sciences humaines et sociales ne sont pas en reste depuis la philosophie avec notamment la psychanalyse, qui a fait qualifier Sigmund Freud de « spéléologue de l’âme » ! Ont précédé ou suivi, les découvertes de l’ethnologie, la psychologie, la linguistique, la sociologie, etc. La curiosité exprime ce besoin humain, de connaître le pourquoi et le comment «de moi et du monde». Qui suis-je ? D’où viens-je ? Où vais-je ? : éternelle trilogie questionnante !
Les religions apportent des réponses, la franc-maçonnerie apporte des questions.
Nous sommes des témoins qui ne connaitrons jamais le mystère de l’univers mais cette « soif de savoir » nous donne ici et maintenant, à la fois, un regard d’avance dans notre vie quotidienne et un délicieux et… curieux goût d’éternité !