Dans de nombreuses ethnies, les cérémonies sacrées et les rituels initiation s’accompagnaient de l’usage de plantes psychotropes généralement hallucinogènes et/ou stimulantes. On pourrait citer : Iboga chez les Pygmées du Gabon, Kpatima et Trichilia heudelotii dans le culte Vaudou, Kava en Polynésie et bien d’autres, dont la feuille de Coca. Aujourd’hui, la dépendance à la cocaïne sous forme de crack, créé un véritable problème de société : comment le comprendre ?
Ainsi en était-il chez les Incas avec l’utilisation de la feuille de Coca (Erythoroxilium coca). Cette plante avait un caractère sacré qui la réservait aux dignitaires. Après la chute de l’Empire Inca en 1532, l’utilisation de la feuille de coca se généralise. Elle est essentiellement utilisée pour ses vertus stimulantes et apaisantes mais son caractère sacré reste une référence pour de nombreux boliviens. La Bolivie est le seul pays au monde où la culture de la plante de Coca est autorisée. Les Boliviens la consomment le plus souvent en la mâchant.
Aujourd’hui, cette feuille de Coca s’est transformée en Crack et … bonjour les dégâts !
C’est à partir du milieu du XIXème siècle que des chimistes allemands et autrichiens s’intéressent à la composition de la plante ; en 1879, Wassili von Anrep (1852-1927) met en évidence les propriétés psychotropes de son principal alcaloïde, la Cocaïne.
La principale utilisation médicale de la Cocaïne, à cette époque, sera surtout chirurgicale grâce à ses propriétés anesthésiantes. Dès la fin du XIXème siècle, dans le monde occidental « branché », l’utilisation des feuilles de Coca se répand ; des écrivains et artistes en font l’éloge mais il faudra attendre les années 1970 pour voir, aux Etats-Unis, apparaître le crack ou free-base qui, par suite d’une transformation chimique de la Cocaïne, permet une prise plus facile à une concentration plus forte : on ne pouvait fumer la cocaïne, on peut désormais fumer le crack !
Si la consommation de feuilles de Coca n’entraînait ni une trop forte addiction ni une trop forte toxicité, avec le crack il en va tout autrement : l’action sur le cerveau est beaucoup plus rapide et intense et l’addiction beaucoup plus prégnante. Le crack produit ses effets en moins de trente minutes avec une sensation de bien-être, d’euphorie et de surpuissance qui dure environ une heure suivie d’une phase d’abattement et de vide.
Bien que prohibée dans la plupart des pays, la cocaïne (pure ou sou forme de crack) est produite par les réseaux mafieux qui en tirent de confortables bénéfices. Cette économie informelle prospère grâce à la corruption des structures étatiques.
Toujours est-il qu’on estime que le nombre des consommateurs a été multiplié par trois en dix ans ; en France, on comptabilise plus de 30 000 utilisateurs de crack.
Une des particularités du crack, c’est de créer une véritable dépersonnalisation qui peut aboutir à des passages à l’acte d’une extrême violence ; j’ai souvenir d’un patient hospitalisé aux urgences psychiatriques pour un meurtre dont il n’avait aucune souvenance. La dépendance est également extrêmement forte et se fait sentir lorsque l’effet des prises diminuent avec l’utilisation.
Depuis 2016, les pouvoirs publics français ont imaginé des lieux de consommation appelés « Salles de consommation à moindre risque (SCMR) » en espérant maîtriser la consommation et d’éviter l’utilisation de produits frelatés. Cinq ans après, les résultats ne semblent pas très probants.
L’addiction : du besoin de sacré à celui de paradis artificiel !
Manifestement le besoin de sacré est insuffisant à équilibrer un être humain ! Les Incas rajoutaient la feuille de Coca ! Aujourd’hui, l’offre de sacré ne convainc plus et le besoin de paradis artificiel est plus important d’autant plus que l’offre des toxicomanies est plus large.
Le crack, comme tous les produits provoquant une action psychotrope, est utilisé dans le cadre de l’addiction : comment la comprendre ?
L’addiction, terme d’origine anglaise composé à partir du verbe « to addict », est d’abord une dépendance à l’égard d’une conduite qui améliore la pensée et l’action d’un être humain.
Tout se passe comme si l’être humain avait besoin d’un comportement rituel pour stimuler son fonctionnement physique et intellectuel.
Lorsque le comportement rituel devient insuffisant à produire l’effet recherché, l’individu commence à modifier son comportement alimentaire ; à un degré de plus ce sera l’adjonction d’une substance psychotrope pour obtenir la stimulation souhaitée. Lorsque l’effet de la substance psychotrope devient dose dépendante, c’est l’aspiration dans une spirale suicidaire.
Que faire pour aider l’être humain à ne pas se laisser entrainer dans cette spirale mortifère ?
Il est clair que nous avons tous besoin d’une addiction ! Pour qu’une addiction joue son rôle, il est nécessaire qu’elle soit pratiquée fréquemment et journellement.
Si certaines addictions ont des effets pervers, pour s’en séparer il est illusoire de se cantonner à des interdits ! On ne guérit d’une addiction perverse qu’en la substituant à une addiction non dangereuse, une addiction positive.
Quelles addictions positives méritent un intérêt ? Trois principales me semblent recommandables.
- Le travail en est la principale et dans ce sens, la « Gloire au travail » que l’on célèbre dans les loges maçonniques en est une belle incitation ! Pour ce faire, le travail doit être aussi passion ; qu’il soit manuel ou intellectuel, le travail avec sa recherche de la perfection et son besoin de dépassement est sûrement la plus belle addiction positive. Le travail c’est aussi une activité non forcément lucrative exercée passionément.
- Le sport est également une addiction positive ; pour obtenir l’effet recherché, il est nécessaire d’avoir une pratique sportive relativement importante car on sait que l’effet morphine like s’obtient à un certain degré de l’effort.
- Le jeu est aussi une addiction positive à condition qu’il ne soit pas couplé avec le gain financier.
Pour changer d’addiction, un accompagnement est indispensable car on sait que le sevrage physique et psychologique, qui dure entre deux et quatre semaines, est une période de souffrance où les rechutes sont fréquentes. Cet accompagnement doit être médical et psychologique. Une hospitalisation est parfois nécessaire ; mais il faut avouer que les structures de santé actuelles ne sont pas toujours capables de répondre aux demandes.
Souvent un débat oppose les fervents de la répression et les adeptes d’une attitude « compréhensive » envers les toxicomanes. Il est clair que le rôle des réseaux mafieux est fondamental car c’est eux qui dans le cadre de l’économie informelle organisent la production et la distribution des toxiques et en particulier du crack. Leur imagination est sans limite et ils savent s’adapter à tous les publics, des bobos aux SDF. Cette activité mafieuse n’est possible que grâce à leur capacité de corrompre toutes celles et tous ceux qui, par leurs fonctions, à un moment ou à un autre, sont dans une situation de contrôle. Renforcer la collaboration internationale et combattre la corruption nécessite des moyens énormes. Les gouvernements sont-ils prêts à en faire une priorité ?
Problème existentiel, problème social, l’addiction est le signe du mal-être sociétal ; elle mériterait une plus grande attention.
Sources :
- Des plantes psychotropes : Initiations, thérapies et quêtes de soi – 16 octobre 2013 – Sébastien Baud (Auteur), Christian Ghasarian (Auteur), Editeur Eds Imago
Pour infos : un excellent article du Monde sur les différentes étapes qui mènent du producteur au consommateur de cocaïne à lire sur https://www.lemonde.fr/societe/visuel/2021/10/29/comment-la-cocaine-arrive-jusque-dans-la-poche-des-consommateurs_6100312_3224.html#1