ven 22 novembre 2024 - 06:11

Risque

Un mot étrange, à l’étymologie incertaine.

En latin, *rixa, la querelle, d’où la rixe. *resecare signifie couper, tailler, supprimer. Faut-il y voir la roche coupée qui représente un écueil et le danger du naufrage ?

En arabe, rizk désigne la nourriture quotidienne. Marzuq, celui qui en a reçu sa part, serait-il ainsi chanceux ?

Le vocable français risque tendrait plutôt vers l’aspect négatif.

Qu’est-ce que l’on risque en entrant en Maçonnerie ? Rien, pourrait-on répondre a priori.Une telle naïveté est bientôt battue en brèche !

Derrière la fraternité de façade, de gestes et de sourires, il y a d’abord l’Autre, que l’on ne s’apprêtait pas forcément à découvrir et reconnaître comme tel. Parce qu’autrui dérange essentiellement, ne serait-ce que par ses regards, qui suscitent en retour la peur de décevoir, d’apparaître autre que ce que l’on souhaiterait donner à voir. Or la fraternité vécue au quotidien ne va pas de soi et demande à être repensée en permanence. D’où le risque d’une déception à l’exacte proportion des illusions que l’on s’était bâties, si la vigilance n’est pas convoquée.

Risque de se sentir bousculé à une profondeur d’intimité que l’on ne soupçonnait pas.

Risque d’une libération vertigineuse, d’une liberté méconnue jusqu’alors, parce le jeu symbolique met en autre perspective, reformule, relativise ce que l’on croyait solidement acquis.

Risque de l’éveil à soi et au monde, risque de la liberté.

Peut-être l’engagement maçonnique fait-il courir essentiellement le risque du miroir, celui que l’on tend aux autres, celui que l’on nous tend ?

Annick DROGOU

« Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque. À te regarder, ils s’habitueront. »

Ces mots du poète René Char résument à eux seuls toutes les définitions du risque. Élan vital, acte de foi, le risque est ouverture, il est un don à qui sait le saisir. Il faut aimer courir le risque.

Pourtant, pour nos contemporains, le risque suppose toujours une mise en danger et notre principe de précaution n’aime pas le risque. C’est le même contre-sens que l’on fait avec le mot “prudence” qui, d’une vertu cardinale alliant la prévision au courage de la force d’âme et à la justice, est devenu une pusillanimité frileuse. Pourquoi toujours associer risques et périls ? La vie est un risque et la peur n’évite pas le danger. Connaître le risque, c’est espérer et apprendre à le maîtriser. Il faut aimer prendre le risque.

Le vocabulaire de la statistique ne connaît pas le mot risque, il emploie indifféremment le mot chance, positivement ou négativement. Mais il est vrai que la statistique ne connaît pas l’émotion et voudrait ignorer l’inattendu.

Retour au poème de René Char. Car, avant les mots cités plus haut, il commençait ainsi : « L’état d’esprit du soleil levant est allégresse malgré le jour cruel et le souvenir de la nuit. La teinte du caillot devient la rougeur de l’aurore » (“Rougeur des matinaux“, Les Matinaux, Poésie/Gallimard, 1950).

Il n’y a pas d’honneur sans risque.

Jean DUMONTEIL

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Annick Drogou
Annick Drogou
- études de Langues Anciennes, agrégation de Grammaire incluse. - professeur, surtout de Grec. - goût immodéré pour les mots. - curiosité inassouvie pour tous les savoirs. - écritures variées, Grammaire, sectes, Croqueurs de pommes, ateliers d’écriture, théâtre, poésie en lien avec la peinture et la sculpture. - beaucoup d’articles et quelques livres publiés. - vingt-trois années de Maçonnerie au Droit Humain. - une inaptitude incurable pour le conformisme.

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