Peau claire, cheveux châtain doré, lèvres charnues et hanches larges, incarnées dans un corps et un visage, je suis, selon Homère, mon historiographe, la réplique sublime d’Aphrodite : je m’appelle Hélène, d’origine égéenne je suis prêtresse de Diane.
Ma relation avec les garçons, et la vie elle-même, ont été très compliquées dès l’enfance !
Une naissance « hors normes » fut comme le signe que mon destin ne se réaliserait ni simplement, ni sans drames et tragédies ! Mi-déesse ou simple mortelle ? Suis-je fille de Zeus et Léda ou fille de l’humain Roi Tyndare et de Léda ? Fille d’Océan ou fille d’Aphrodite elle-même ? Sœur de Castor et Pollux et sœur de Clytemnestre dans une grande famille de Grèce de plain-pied avec la légende et l’épopée ? Dès le départ ma filiation est brouillée et n’inaugurait que des difficultés à vouloir chercher l’œuf d’origine.
La beauté sans artifice, si elle attire les regards, attire aussi les combats, selon l’expression de Zeus dont j’étais paraît-il la préférée. En effet si cette grâce est cadeau du ciel, le ciel fut pour moi, hélas, également prodigue d’orages furieux, de vents déchaînés et de tornades effrayantes ! Jugez-en vous-mêmes… Toute jeune adolescente, à douze ans à peine, alors que j’étais occupée à offrir un sacrifice à Artémis, Thésée et son ami Pirithoos m’enlevèrent et me tirèrent au sort pour savoir qui me posséderait comme esclave personnelle ! Pendant qu’ils étaient partis aux Enfers pour enlever Perséphone – une autre jeune femme victime des instincts primitifs des Dieux autant que des humains mâles – mes frères Castor et Pollux sont venus me récupérer pour me ramener à la cour de notre père, auguste patriarche soucieux de la tranquillité de sa maison et de son royaume.
Pour régler ce souci, il lui parut bon de me marier : pour cela il en fit une large annonce alentour. Y répondirent des guerriers, des athlètes, des princes, venus nombreux portés par la fascination d’avoir à leurs côtés une femme au physique convoité, comme un trophée au bénéfice de leur propre image. Comme cette rivalité risquait d’embraser la Grèce, mon père Tyndare conseillé par Ulysse, homme rusé par excellence, en profita pour faire signer à tous ses prétendants un serment d’alliance et de défense avec celui qui serait retenu comme mon mari.
L’élu fut Ménélas, roi de Sparte, frère d’Agamemnon, pas fâché de préserver sa cité et ses intérêts en faisant un tel mariage selon un accord préalablement pris avec Tyndare, bénéficiant aussi de quelques richesses à l’issue de cette transaction matrimoniale.
« Blond, pourvu d’une crinière de lion, de fortes cuisses et de belles chevilles », vaillant au combat, mais pas vraiment un personnage de premier plan, Ménélas avait toutefois bien retenu mon attention et je me rendais compte qu’il n’était pas insensible à mon charme…
Nous aurions pu vivre heureux ensemble si une nouvelle fois la destinée ne m’avait pas été funeste. Victime de l’envie de trois déesses à vouloir être désignées comme la plus belle par l’indolent berger qu’était Paris, jeune prince troyen, frère d’Hector, je lui fus promise par Aphrodite. Ainsi si Paris la désignait victorieuse en lui accordant la pomme destinée à la plus belle femme du monde, elle lui accorderait la possibilité de me rencontrer, le privilège de me séduire moi, son double humain, et elle lui faciliterait la fuite pour qu’il m’emporte comme un simple paquet vers Troie, sa ville d’origine !
Arrachée dès mon plus jeune âge à ma famille, considérée comme une proie, mariée sur ordre du père, assignée à vivre à Sparte selon la loi du mariage, ce dernier évènement : mon enlèvement par Paris de l’épouse que j’étais devenue, déclencha rien moins que la guerre de Troie ! Elle dura plus de dix ans opposant Grecs et Troyens. Les uns et les autres ne cessèrent de me tenir pour la seule coupable de ces combats passés à l’histoire comme les plus meurtriers de l’Antiquité. Aujourd’hui cette accusation terrible fait force de vérité et m’accable d’une incontournable détresse intérieure.
À la fin du siège et du saccage de Troie, Ménélas m’ayant récupérée comme étant son butin légitime, avait une folle envie de me tuer invoquant l’intolérable trahison qui avait profané son honneur et froissé son ego… Pourtant « à la vue de mon sein nu » toujours selon le poète Homère (et conscient peut-être de ma vulnérabilité ?), l’amour revint dans son cœur et le mien. Ménélas me ramena à Sparte au bout d’un voyage de huit longues années et nous eûmes l’occasion de mieux nous estimer… Mais arrivés à Sparte, ce furent ses habitants qui me chassèrent comme la scandaleuse, la perfide, l’infidèle ! J’ai dû me réfugier à Rhodes où la reine Polyxo, dont le mari était mort sous les remparts de Troie, me fit étouffer dans mon bain, mue par un furieux ressentiment. Puis elle fit suspendre ma dépouille à un arbre.
Aux confins du royaume des ombres, je m’interroge toujours, à la recherche d’une vérité…
Croyez-vous que je fus heureuse et comblée par cette beauté naturelle qui me distingua dès ma naissance des autres femmes ? Que je fus satisfaite d’en être universellement louée et de sentir à chaque instant le poids du désir éveillé dans le regard des Autres ? À Troie était-ce bien moi, « Hélène de Sparte » à la source des discordes, des conflits et des bains de sang ? À Sparte ai-je mérité la vindicte populaire, stigmatisée haineusement sous l’appellation d’« Hélène de Troie » ? Où était mon identité ?
Mes lamentations furent-elles entendues de quelques-uns ? Ai-je eu véritablement les moyens de lutter contre un destin implacable et sourd, tracé d’avance au panthéon des dieux et des déesses ? Ai-je été la victime typique des crimes des hommes qui perdurent contre le sexe féminin : harcèlement, enlèvement, viol, diffamation publique, avilissement voire transactions et pactes entre une gent masculine chosifiant les femmes comme des biens à disposition ?
Serai-je uniquement passée au travers des mythes et légendes comme l’incarnation des mauvais traitements faits à la beauté naturelle, confrontée autant au regard et aux désirs des hommes comme des dieux ? Suis-je réellement sortie du mystère de mes origines pour ouvrir la voie à une parole singulière dans le sillage des plaintes et des douleurs de l’humanité ?
Au-delà de nos destinées et de nos différences, est-il enfin devenu possible, aux uns et aux autres, de noyer nos chagrins et de nous rassembler pour se retrouver unis par le même besoin de reconnaissance et de fraternité ?
#hélènedetroie
Remarquable illustration par le choix du tableau de David. Le sexe voilé de Paris exposé allégoriquement avec le bonnet phrygien dont le bout est un prépuce, révèle indiscutablement sa relation érotique avec Hélène. Priape était souvent représenté avec un tel bonnet phrygien (voir la représentation de Priape en train de peser son énorme ithyphalle trouvée à Pompéi 🙂
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