Ce volume reprend, en les rassemblant, dix-huit études de Michel Pastoureau publiées entre 1989 et 2009 dans des ouvrages collectifs, des actes de colloques ou des revues spécialisées, pour la plupart devenus difficiles d’accès. L’avant-propos, daté d’octobre 2012 et conservé tel quel dans cette réédition, rappelle que le recueil prolonge deux volumes antérieurs (Figures et couleurs et Couleurs, images, symboles. Études d’histoire et d’anthropologie), et précise les choix éditoriaux : les textes ont été pratiquement laissés dans leur état d’origine, à l’exception d’un article légèrement remanié, tandis que l’iconographie a été enrichie et que les références complètes aux premières publications sont regroupées en fin d’ouvrage dans une rubrique « Sources ». L’ensemble se présente ainsi comme une mise à disposition raisonnée d’un pan important de l’œuvre de l’auteur.

Un cahier central de vingt planches en couleurs – douze consacrées aux animaux, six aux végétaux et deux aux objets – vient prolonger et rendre visibles les analyses de l’auteur.
Avant d’entrer dans les quatre sections thématiques – animaux, végétaux, couleurs, objets – Michel Pastoureau ouvre le volume par un chapitre programmatique intitulé « Pour une histoire symbolique du Moyen Âge ». Ce texte, qui tient à la fois du manifeste méthodologique et de la mise au point historiographique, constitue la véritable clé de lecture du recueil. L’historien y rappelle que le symbole est, pour les auteurs médiévaux, un mode de pensée et de sensibilité tellement « naturel » qu’il n’appelle ni définition préalable ni justification théorique. La première difficulté pour l’historien contemporain tient ainsi au lexique : le latin médiéval recourt à tout un faisceau de termes – signum, figura, exemplum, similitudo, memoria – et de verbes qui renvoient à l’idée de « signifier », mais ne sont jamais interchangeables. La diversité de ce vocabulaire, que Michel Pastoureau analyse avec soin, montre que la culture médiévale dispose d’un outillage conceptuel précis pour penser les relations entre choses visibles et réalités invisibles.

À partir de ce constat, l’auteur plaide pour une « histoire symbolique » encore largement à écrire. Celle-ci doit prendre au sérieux les procédures par lesquelles les sociétés médiévales investissent le réel de significations multiples : rôle de l’analogie, importance de l’étymologie savante ou populaire, jeux d’échelle entre la partie et le tout, ambivalence et polysémie des signes, superposition de niveaux de lecture. Loin d’être un simple décor de l’histoire sociale, le symbolique en est une dimension constitutive : les « pratiques symboliques » et les « faits de sensibilité » appartiennent pleinement au champ de ce que l’historien peut et doit étudier. Le chapitre liminaire donne ainsi sa cohérence théorique à la diversité des études rassemblées.

La première partie, consacrée aux animaux, illustre concrètement ce programme. Qu’il s’agisse des procès intentés aux bêtes entre le XIIIᵉ et le XVIᵉ siècle, du bestiaire du Roman de Renart et de la figure de l’ours, des ménageries princières ou du bestiaire des cinq sens, Michel Pastoureau croise constamment sources juridiques, textes littéraires et documentation iconographique. Les procès d’animaux ne sont pas abordés comme curiosités pittoresques, mais comme révélateurs des frontières mouvantes entre humanité et animalité ; la place paradoxale de l’ours, tour à tour animal royal, marginal et bouffon, éclaire les tensions d’une société chrétienne face à un animal qui conjugue force, sauvagerie et proximité avec l’homme. L’analyse est toujours menée à partir d’un corpus précis, mais vise à dégager des logiques anthropologiques plus larges.

La section sur les végétaux, plus brève, n’en est pas moins exemplaire de la méthode. On y trouve notamment une étude sur la pomme, suivie d’un texte sur la symbolique du bois et des arbres. L’auteur y montre comment un fruit apparemment banal concentre des significations multiples – de la pomme biblique à la pomme mariale – et comment les arbres se situent au croisement de pratiques techniques, de savoirs naturalistes et de représentations religieuses. L’exemple du tilleul, présenté comme « arbre musical » par excellence en raison à la fois de ses propriétés acoustiques et de son lien traditionnel avec les abeilles, illustre parfaitement cette façon d’articuler observation matérielle, traditions littéraires et usages artisanaux : sans avoir lu Virgile ni les encyclopédistes, l’artisan médiéval sait intuitivement quel bois se prête à tel usage, et c’est cette compétence incorporée que l’historien est invité à prendre au sérieux.

La troisième partie, la plus importante quantitativement, est consacrée aux couleurs, domaine où Michel Pastoureau fait autorité. Les études réunies abordent successivement la place des couleurs chez les Cisterciens au XIIᵉ siècle, l’émergence des couleurs liturgiques, l’évolution du regard porté sur les couleurs au XIIIᵉ siècle, la promotion du bleu, les métamorphoses du vert, puis l’instauration, à la fin du Moyen Âge, d’un nouvel ordre chromatique articulé autour du noir, du gris et du blanc.

Loin de proposer une simple typologie symbolique, l’auteur insiste sur les contraintes institutionnelles (décisions conciliaires, normes monastiques), sur les usages sociaux (vêtements, bannières, armoiries) et sur les héritages scripturaires qui encadrent la perception des couleurs. Le bleu royal et marial, le vert ambigu, à la fois couleur de la jeunesse et de l’instabilité, ou encore la dignité nouvelle acquise par le noir dans la société urbaine et bourgeoise, sont autant de cas qui montrent comment changements politiques, mutations économiques et recompositions religieuses se lisent dans le système chromatique.

La dernière partie se concentre sur les objets – gant, cor, sceau – et prolonge la réflexion sur les « pratiques symboliques ». Le gant est étudié comme signe de pouvoir, instrument de transfert de droit et marque de statut social ; le cor, comme objet à la fois sonore et animal, se situe à la rencontre de la chasse, de la guerre et de l’imaginaire de l’appel ; le sceau, enfin, est envisagé comme outil de validation juridique et comme image sociale, par laquelle individus et communautés se donnent à voir. Dans chacun de ces dossiers, Michel Pastoureau montre que les objets ne sont pas seulement des auxiliaires de l’action, mais des médiateurs de sens, au croisement du droit, du rituel et de la représentation.
Pris dans sa globalité, Symboles du Moyen Âge dépasse largement la logique du simple recueil. La juxtaposition d’articles de dates et de contextes divers pourrait faire craindre l’hétérogénéité ; le chapitre introductif, la constance de la problématique et la rigueur de l’écriture assurent au contraire une forte unité d’ensemble. Quelques redites ponctuelles, inhérentes à la reprise de textes autonomes, ne nuisent pas à la lecture et peuvent même être utiles pour un public qui n’est pas familier de l’ensemble de l’œuvre de l’auteur. L’ouvrage s’impose ainsi comme une synthèse particulièrement représentative d’un demi-siècle de recherches sur la symbolique médiévale.

Historien médiéviste né en 1947, Michel Pastoureau est directeur d’études émérite à l’École pratique des hautes études, où il a occupé pendant trente-cinq ans la chaire d’histoire de la symbolique occidentale. Spécialiste des couleurs, des images et des emblèmes, il est l’auteur d’une soixantaine de livres, parmi lesquels les célèbres monographies chromatiques (Bleu, Noir, Vert, Rouge, Jaune), plusieurs ouvrages consacrés aux animaux (L’Ours, Le Roi tué par un cochon, Bestiaires du Moyen Âge) et de nombreuses études sur l’héraldique. Traduit dans une trentaine de langues, il a largement contribué à faire de l’histoire des symboles et des sensibilités un champ central de la recherche historique contemporaine, dont Symboles du Moyen Âge offre une présentation exemplaire.

Symboles du Moyen Âge – Animaux, végétaux, couleurs, objets
Michel Pastoureau – Les Éditions Dervy / Le Léopard d’or, 2025, 368 pages, 26 €
EAN 9791024218526
