lun 17 novembre 2025 - 19:11

Juan Perón et la Franc-maçonnerie : révélations, contradictions et héritage d’un secret politique

De notre confrère argentin derechadiario.com.ar

Introduction : un tabou révélé dans les archives de l’histoire Argentine

Le 8 novembre 2025, la Grande Loge d’Argentine de Francs-maçons Libres et Acceptés a franchi un cap inédit en ouvrant une partie de ses archives historiques au public, dans le cadre de La Noche de los Museos. Parmi ces documents jaunis par le temps – lettres, formulaires d’adhésion, correspondances internationales entre loges – émerge une révélation explosive : Juan Domingo Perón, le fondateur du péronisme et trois fois président de l’Argentine (1946-1955 et 1973-1974), était bel et bien Franc-maçon.

Alfonsín Franc-maçon Source : Infobae | Journal de La Derecha

Accompagné de preuves similaires pour Raúl Alfonsín (1983-1989), ce scoop met un terme à des décennies de rumeurs, de démentis et de théories conspirationnistes. Infobae, premier média à y accéder, qualifie ces papiers de « première preuve documentaire directe ».

Pourtant, Perón, farouche critique public de la maçonnerie, avait nié toute affiliation jusqu’à sa mort en 1974. Cette découverte n’est pas seulement anecdotique : elle interroge l’ensemble de son parcours, de son ascension militaire à son exil européen, en passant par ses politiques populistes et ses alliances occultes. À la lumière de ces archives et de la biographie exhaustive de Perón, cet article décrypte les strates d’un engagement secret qui pourrait avoir modelé l’histoire argentine du XXe siècle.

Les origines d’un héritier maçonnique : enfance et ascension militaire

Né le 8 octobre 1895 à Lobos, dans la province de Buenos Aires, Juan Domingo Perón grandit dans un contexte familial marqué par l’humilité rurale et des influences discrètes. Fils illégitime de Mario Tomás Perón, un modeste employé des chemins de fer, et de Juana Sosa, issue d’une lignée métissée potentiellement tehuelche (peuple autochtone patagonien), Perón revendiquait fièrement ses racines indigènes pour souligner son ancrage populaire.

Son grand-père maternel, maçon convaincu, représente le premier lien tangible avec la Franc-maçonnerie – un héritage familial qui, bien que non direct, imprègne l’atmosphère de son enfance itinérante en Patagonie (Río Gallegos, Cabo Raso). Des débats historiographiques persistent sur cette ascendance tehuelche, que Perón utilisait pour forger son image de « leader du peuple », mais aucun document ne lie explicitement ce grand-père à l’initiation de son petit-fils.

Entré au Collège militaire national en 1909, Perón en sort sous-lieutenant en 1913, marquant le début d’une carrière fulgurante. De 1914 à 1919, il sert au 12e régiment d’infanterie à Paraná, où il vote pour le radical Hipólito Yrigoyen en 1916, signe précoce de son inclinaison progressiste contre les conservateurs oligarchiques. Il participe à la répression de grèves ouvrières, comme celle de La Forestal en 1919, et à la sanglante « Patagonie rebelle » – des épisodes qui forgent son pragmatisme syndical futur, sans trace maçonnique évidente. Champion d’escrime militaire en 1918, promu capitaine en 1924, il publie des ouvrages comme Hygiène militaire (1924) et étudie à l’École supérieure de guerre en 1926.

C’est dans les années 1930 que les ombres maçonniques se dessinent. Attaché militaire au Chili de 1932 à 1938, Perón voyage en Europe (Italie, Allemagne, France, Espagne, URSS), assistant à des cours sur l’économie et les conflits mondiaux. Des sources ultérieures suggèrent une initiation précoce au Chili en 1936, juste avant son retour en Argentine comme colonel. Promu major après le coup d’État de 1930 contre Yrigoyen – qu’il collabore en sécurisant la Casa Rosada –, Perón rejoint le Groupe des Officiers Unis (GOU), une loge militaire secrète nationaliste et anti-maçonnique en apparence, formée pour renverser le président Ramón Castillo et maintenir la neutralité pendant la Seconde Guerre mondiale.

Cette contradiction initiale préfigure les ambiguïtés de son rapport à la maçonnerie : le GOU, bien que non affilié au Rite Écossais, opère comme une société initiatique, influençant la Révolution de 1943 qui porte Perón au secrétariat au Travail.

L’Initiation secrète : de l’exil européen au 33e degré

Lettre affirmant que Perón était maçon. Source : Infobae | Journal de La Derecha

La révélation des archives de la Grande Loge d’Argentine, fondée en 1857 et installée au Palacio Cangallo (inspiré du Temple de Salomon), pointe vers une initiation formelle durant l’exil de Perón (1955-1973). Après son renversement par la « Révolution libératrice » en 1955 – un coup qu’il attribue plus tard à une « synarchie internationale » incluant maçons, capitalistes et communistes –, Perón fuit au Paraguay, puis au Panama, Nicaragua, Venezuela et Espagne.

C’est à Madrid, en 1973, que Licio Gelli, grand maître de la loge italienne Propaganda Due (P2), l’initie au Rite Écossais Ancien et Accepté, selon les déclarations de Gelli lui-même : « Perón était maçon, je l’ai initié à Madrid à Puerta de Hierro en juin 1973. »

Les documents confirment une affiliation antérieure en Suisse, via la Grande Loge Alpina, où Perón atteint le 33e degré – le plus élevé, réservé aux « Souverains Grands Inspecteurs Généraux » – avant son retour triomphal en Argentine. Pablo Lázaro, actuel président de la Grande Loge, insiste sur l’activité de Perón :

« Ces documents prouvent non seulement qu’il était membre, mais qu’il était actif. »

Perón nommé Grand Maître Maçon. Source : Infobae | Journal de La Derecha

Des lettres et formulaires d’adhésion montrent des échanges avec des loges internationales, reliant Perón à un réseau transatlantique. Cette initiation tardive s’inscrit dans un contexte d’exil fertile : à Madrid, Perón publie Los Vendepatria (1956) et rencontre Che Guevara (1959-1962), tout en tissant des liens avec des exilés fascistes et des réseaux atlantistes. La P2, loge clandestine dirigée par Gelli (un ancien de la République de Salò), devient un vecteur d’influence : Gelli conseille économiquement Isabel Perón et José López Rega, fondateur de la Triple A (Alliance Anticommuniste Argentine). Des membres de la junte militaire argentine (1976-1983), comme Emilio Massera, étaient affiliés à la P2, reliant Perón à des dynamiques plus sombres.

Contradictions publiques : le Péronisme anti-maçon ou une stratégie d’occultation ?

Perón incarna une paradoxale hostilité publique à la franc-maçonnerie, tout en étant initié en secret. Dans une interview de 1970 à Tomás Eloy Martínez, il dénonce les maçons comme partie d’une « synarchie internationale » responsable de son coup d’État de 1955, aux côtés du « sionisme, du communisme et du clergé traditionnel ».

Pourtant, il admet leur rôle dans l’indépendance argentine de 1816. Cette rhétorique s’inscrit dans son opposition au GOU anti-maçonnique des années 1940, où il critique les loges comme élitistes et anti-populaires. Des historiens y voient une stratégie : en Argentine, la maçonnerie, influente depuis Domingo F. Sarmiento et Bartolomé Mitre (XIXe siècle), est associée à l’oligarchie libérale que Perón combat.

Le livre de Potash qui a révélé les documents du GOU. Source : Infobae | Journal de La Derecha

Ses politiques justicialistes – « troisième position » entre capitalisme et communisme – résonnent pourtant avec des idéaux maçonniques : fraternité ouvrière, laïcité, éducation gratuite (triplement des étudiants universitaires en 1949), droits des femmes (suffrage en 1947, impulsé par Eva Perón). La Fondation Eva Perón (1948), financée à hauteur de 1 % du PIB, évoque les œuvres philanthropiques maçonniques. Des controverses posthumes amplifient le paradoxe : en 1985, la profanation de sa tombe à San Vicente – mains sectionnées pour une rançon – est attribuée à la P2, en représailles à un prétendu manquement de Perón envers Gelli. Cette affaire, impliquant des complices militaires, souligne les enjeux occultes de son héritage maçonnique.

Contradictions Clés de Perón vis-à-vis de la MaçonnerieExemples
Critiques PubliquesAccuse les maçons de complot en 1955 ; dénonce la « synarchie » en 1970.
Liens PrivésInitiation en Suisse/Espagne ; 33e degré ; amitiés avec Gelli (P2).
Influences PolitiquesSoutien à l’indépendance argentine (1816) via maçons ; politiques sociales alignées sur fraternité maçonnique.
Héritage PosthumeProfanation de tombe (1985) liée à P2 ; membres de junta (1976-1983) affiliés.

Implications politiques : une influence sur le péronisme et l’histoire argentine ?

L’adhésion de Perón à la maçonnerie éclaire rétrospectivement son « justicialisme » : nationalisations (ferrovias en 1948, Aerolíneas Argentinas en 1950), État providence (santé unifiée sous Ramón Carrillo, retraite pour ouvriers), et diplomatie non-alignée (ONU, reconnaissance de l’URSS). Ces réformes, influencées par la doctrine sociale catholique (Rerum Novarum), convergent avec l’humanisme maçonnique universaliste. Son exil renforce ces liens : la P2, via Gelli, facilite son retour en 1973, où il nomme Cámpora (péroniste) président intérimaire.

Des photos montrent Gelli à la Casa Rosada avec Perón et Giulio Andreotti, soulignant un réseau transatlantique. Pour Raúl Alfonsín, les documents révèlent une adhésion active, contrastant avec son image de démocrate radical. Ensemble, ces révélations « démystifient » la maçonnerie, comme l’affirme Lázaro : « Elle n’a rien à cacher. »

En Argentine, où la Grande Loge compte aujourd’hui 10 000 membres (contre 2 200 en 2008), cette ouverture coïncide avec une revitalisation post-dictature. Elle questionne aussi les théories conspirationnistes : la P2, impliquée dans le scandale du Banco Ambrosiano et la tuerie de Bologne (1980), liait Perón à des opérations anti-communistes atlantistes.

Conclusion : Perón, maçon occulté, et l’écho d’un héritage divisé

Ces documents secrets transforment Perón d’icône populiste en figure ambivalente : critique virulent d’une maçonnerie qu’il intégrait en sous-main, allié pragmatique de réseaux initiatiques pour survivre à l’exil et revenir au pouvoir. Son grand-père maçon, ses voyages européens, l’initiation tardive via Gelli – tout converge vers un engagement qui, sans dominer son action, infuse son universalisme social.

À l’heure où l’Argentine renaît de ses divisions, cette révélation invite à repenser le péronisme non comme un monolithe anti-élite, mais comme un syncrétisme habile, mêlant catholicisme social, nationalisme et ésotérisme discret. Comme le note Lázaro, « La maçonnerie a influencé l’indépendance et l’unité du pays » ; pour Perón, elle fut peut-être le fil invisible reliant son premier mandat triomphal à son ultime discours de la Plaza de Mayo en 1974 : « Je porte dans mes oreilles la musique la plus merveilleuse, celle du peuple argentin. » Un peuple, désormais, qui peut enfin sonder les mystères de son leader.

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Pierre d’Allergida
Pierre d’Allergida
Pierre d'Allergida, dont l'adhésion à la Franc-Maçonnerie remonte au début des années 1970, a occupé toutes les fonctions au sein de sa Respectable Loge Initialement attiré par les idéaux de fraternité, de liberté et d'égalité, il est aussi reconnu pour avoir modernisé les pratiques rituelles et encouragé le dialogue interconfessionnel. Il pratique le Rite Écossais Ancien et Accepté et en a gravi tous les degrés.

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