En hommage à la mémoire de Jean-Pierre Thomas
(Les « éditos » de Christian Roblin paraissent le 1er et le 15 de chaque mois.)
La Franc-maçonnerie est, elle aussi, affaire de mémoire, surtout que, comme toute tradition, elle cherche à éclairer les chemins de l’avenir avec les lumières du passé. Or, comme tout ce qui marque l’Histoire, elle est ce que l’on en raconte. Longtemps réfugiée dans les limbes d’un ésotérisme réservé aux seuls initiés, elle devait, par principe, échapper à toute annexion par la culture aussi bien courante que savante. Depuis quelques décennies, elle s’insère, désormais, dans l’ensemble des courants de pensée qui traversent la société et relève ainsi de toutes les formes d’intérêt intellectuel qu’illustre la littérature paraissant à son sujet.

Cela ne va pas sans quelques querelles et remises en cause, qui portent sur la légitimité de telle ou telle obédience à occuper telle ou telle place ou à se revendiquer de telle ou telle école ou tendance, chacun étant jaloux de ses prétendus héritages, oubliant au besoin les sinuosités de son propre parcours. Ces vastes évolutions donnent lieu à moult monographies et communications, tantôt parsemées des anathèmes et des sortilèges que se jetaient les protagonistes. L’histoire de la Franc-maçonnerie est d’autant plus vibrante que les hommes et les femmes qui l’ont façonnée y ont mis ce qu’ils croyaient être le meilleur d’eux-mêmes – sachant que la pointe de leur action n’allait pas toujours sans obsession ni bannissement.

L’avantage des études historiques, quand elles sont conduites sans parti-pris, c’est qu’elles relient bien les idées et les pratiques aux réalités de leur temps, aux modes qui s’emparaient alors des contemporains. La maçonnerie devient, ce faisant, un luxe d’antiquaire, gourmand des manières d’autrefois. L’histoire aide aussi à comprendre le paysage de ces confréries, de nos jours. La lecture critique des passions subsistantes permet d’en percevoir les contrastes dans leurs origines comme dans leurs mouvements, en restaurant le souvenir des « initiateurs » et des continuateurs, tout aussi bien. Le temple des vanités y est rarement tout à fait vide…
Bref, l’œuvre des historiens est des plus salutaires, déblayant l’horizon d’un fatras de représentations échauffées ou réchauffées où les excommunications n’ont pas toujours été l’apanage de la seule Église. Restent, en définitive, des rituels compendieux, s’offrant aux rebonds des imaginaires et des introspections, sous l’énigmatique étoile de la vie.
En attendant… que d’histoires !
