jeu 06 novembre 2025 - 17:11

Analyse du legs maçonnique dans les colonnes du Brésil

Inspiré de notre confrère eshoje.com.br – Par Jean-Baptiste Dallapiccola Sampaio

La patrie brésilienne, souvent contée sous l’angle des scènes publiques et des héros officiels, réserve un chapitre d’une profondeur insoupçonnée à l’action discrète mais décisive de la Sublime Ordre Maçonnique. Des salons feutrés où s’articula l’Indépendance aux cercles républicains qui renversèrent la Couronne, la Franc-maçonnerie a érigé, pierre après pierre, les colonnes invisibles qui soutiennent encore la nation.

Comme Maçon et homme de Droit, il est de mon devoir d’éclairer ce legs : une architecture morale faite de Liberté, d’Égalité et de Fraternité, dont les échos résonnent bien au-delà des temples voûtés d’or et de symboles.

Le Grão-Mestre impérial : la fulgurante alliance de Dom Pedro I

Prince Régent Dom Pedro I

L’histoire aime les paradoxes. Le 2 août 1822, le Prince Régent Dom Pedro I est initié dans la Loge Comércio e Artes. Le 24 septembre – date retenue par les historiens maçonniques les plus rigoureux –, il ceint l’écharpe de Grão-Mestre du Grand Orient du Brésil. Moins de deux mois pour passer du tablier neuf au maillet suprême : jamais couronne et tablier n’aurent cohabité si brièvement. L’objectif ? Souder les forces libérales autour d’un seul cri : l’émancipation.

Pourtant, l’Empereur centralisateur se heurte vite à l’esprit indomptable des Loges. Le 25 octobre 1822, il ordonne la fermeture des ateliers. Geste révélateur : la Maçonnerie ne ploie devant aucun sceptre. Dom Pedro I abdique le tablier ; les colonnes, elles, demeurent debout.

La lumière de l’Indépendance : les Loges, creuset de la patrie

Avant le « Cri d’Ipiranga », il y eut les murmures des Loges. C’est dans l’ombre des colonnes J et B que José Bonifácio de Andrada e Silva, premier Grão-Mestre et « Patriarche de l’Indépendance », affine le plan. À ses côtés, Joaquim Gonçalves Ledo, plume incandescente, rédige les manifestes qui enflamment les cœurs. José Clemente Pereira et José Joaquim da Rocha orchestrent le « Jour du Fico » (9 janvier 1822). Les ateliers deviennent des états-majors. On y parle français, on y lit Voltaire, on y jure sur l’Équerre et le Compas. Le 7 septembre 1822, quand Dom Pedro brandit l’épée au bord de l’Ipiranga, il ne fait qu’exécuter le scénario écrit dans les Loges. Sans la maçonnerie, pas d’unité ; sans l’unité, pas de Brésil.

La proclamation de la République : triomphe des trois lumières

Tableau de Benedito Calixto représentant la Proclamation de la République (1893).

Le Second Empire voit refleurir les temples. Les Loges se muent en foyers abolitionnistes et républicains. Le 15 novembre 1889, le maréchal Deodoro da Fonseca, Maçon fervent, proclame la République au Champ de Santana. À ses côtés, Benjamin Constant, théoricien du positivisme et Vénérable respecté. Le premier ministère ? Un tableau d’honneur maçonnique : Rui Barbosa, Campos Sales, Quintino Bocaiúva, Aristides Lobo. La devise « Ordre et Progrès » qui orne le drapeau national n’est pas un hasard : elle sort tout droit des rituels du Rite Écossais. La République naît sous le triple rayon de la Maçonnerie : Liberté du citoyen, Égalité devant la Loi, Fraternité entre les peuples.

Les colonnes J et B : du Temple de Salomon aux temples brésiliens

Tiradentes

Dans chaque Loge brésilienne, deux colonnes encadrent l’entrée : Boaz (B) à gauche, Jakin (J) à droite. Hautes de bronze dans le Temple de Salomon, elles deviennent symboles vivants. Boaz : « En Lui est la Force ». Jakin : « Il établira ». Ensemble, elles proclament : « Par la Force, Il établira le Temple ». Les Apprentis s’alignent sous Boaz : c’est là qu’ils reçoivent le « salaire » – les leçons pour tailler la pierre brute. Les Compagnons sous Jakin : ils y apprennent la Beauté qui couronne l’ouvrage. Entre les deux, le Maître veille, maillet en main, rappelant que la nation repose sur ces trois piliers : Sagesse (le Vénérable), Force (le 1er Surveillant), Beauté (le 2nd Surveillant).

Des cathédrales gothiques aux palais républicains, le sceau maçonnique est partout. Le Palais Tiradentes à Rio, siège du premier Congrès républicain, aligne ses colonnes ioniques – ordre grec cher aux Maçons. Le Théâtre Municipal de São Paulo, inauguré en 1911, élève ses chapiteaux corinthiens comme un hymne à la Beauté maçonnique. Même la statue du Christ Rédempteur, bras ouverts sur Rio, reproduit la posture du Maître de Loge : accueillir le monde sous le delta lumineux.

L’héritage vivant : philanthropie et vigilance démocratique

Grand Orient du Brésil
Grand Orient du Brésil

Aujourd’hui, les Loges ne conspirent plus dans l’ombre ; elles irradient dans la lumière. Hôpitaux pédiatriques à Recife, écoles professionnelles à Belém, campagnes de greffe d’organes à Brasília : la Maçonnerie brésilienne verse chaque année des millions de reals en œuvres sociales. Le Grand Orient du Brésil, bicentenaire en 2022, reste la plus ancienne obédience nationale, forte de 400 000 frères et sœurs.

Dans les couloirs du Congrès, au Palais du Planalto, dans les tribunaux suprêmes, des Maçons discrets veillent. Non pour imposer, mais pour rappeler : la démocratie n’est pas un acquis, c’est un chantier permanent. Quand la tentation autoritaire resurgit, les colonnes tremblent ; quand la fraternité l’emporte, elles s’élèvent plus hautes.

Des noirs illustres aux femmes d’aujourd’hui

Luiz Gama vers 1860

Luiz Gama, esclave affranchi, avocat des opprimés, initié en 1849, fut le premier Maçon noir à défier l’esclavage devant les tribunaux. José do Patrocínio, mulâtre, journaliste incendiaire, fit de sa Loge un bastion abolitionniste. Aujourd’hui, les Loges mixtes et féminines – comme la Grande Loge Féminine du Brésil – prolongent l’œuvre : une femme sur trois initiées au XXIe siècle.

Les colonnes du futur

Demain, les colonnes J et B ne seront plus seulement de bronze ou de marbre. Elles seront numériques : forums cryptés où l’on débat de l’intelligence artificielle éthique ; elles seront écologiques : Loges qui plantent des millions d’arbres en Amazonie ; elles seront inclusives : jeunes de 18 ans recevant la Lumière aux côtés de vétérans octogénaires.

Car la Maçonnerie n’est pas un musée : c’est un chantier. Chaque frère, chaque sœur, est une pierre vive. Et tant qu’un Maçon posera son maillet sur la pierre brute, les colonnes du Brésil resteront debout – hautes, droites, inébranlables sous le regard du Grand Architecte de l’Univers.

Que la Lumière soit.
Que le Brésil demeure.
Que les colonnes ne tremblent jamais.
João Batista Dallapiccola Sampaio
Avocat, Maçon, citoyen d’un pays bâti sur l’Équerre et le Compas
En collaboration avec le Souverain Grand Inspecteur Général Jefferson Carlos Morais, 33º

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Pierre d’Allergida
Pierre d’Allergida
Pierre d'Allergida, dont l'adhésion à la Franc-Maçonnerie remonte au début des années 1970, a occupé toutes les fonctions au sein de sa Respectable Loge Initialement attiré par les idéaux de fraternité, de liberté et d'égalité, il est aussi reconnu pour avoir modernisé les pratiques rituelles et encouragé le dialogue interconfessionnel. Il pratique le Rite Écossais Ancien et Accepté et en a gravi tous les degrés.

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