mar 23 décembre 2025 - 18:12

La chambre du milieu

Qui dit milieu dit qu’il y a quelque chose avant mais dit surtout qu’il y a quelque chose après, ou qu’il y a de l’inférieur et du supérieur. L’introduction de la « chambre du milieu », dans la Franc-maçonnerie spéculative n’est pas séparable des conditions dans lesquelles le grade de Maître en est venu à se distinguer des deux autres grades symboliques dans les années 1725-1730 en Angleterre.

L’apparition tardive de la chambre du milieu marque un tournant essentiel de la Franc-maçonnerie symbolique, à la fois sur le plan historique et sur le plan initiatique ; avec elle c’est tout l’édifice traditionnel qui a pris un sens nouveau.

Où et quand a-t-on parlé pour la première fois de la Chambre du Milieu dans un texte maçonnique ?

Et bien cela s’est produit en 1730 à Londres dans un contexte de scandale. À cette époque, en 1717, quatre loges tout à fait banales se réunissent en une Grande Loge, et posent les bases d’une administration centrale, en 1723, elle se dote d’un Grand Maître noble ; il en sera ainsi en Angleterre jusqu’à aujourd’hui, elle se dote également des fameuses Constitutions dites d’Anderson.

Au début de 1720, la Maçonnerie anglaise ne comporte que deux grades ; ces deux grades s’inspirent du reste d’un système analogue en usage à la même époque en Écosse, ainsi la carrière d’un maçon, se déroulait en deux étapes, d’abord apprenti, puis compagnon ou maître « fellowcraft or master ». En Angleterre, depuis son origine et jusqu’à nos jours, la Chambre du Milieu n’a jamais été – et n’est toujours pas – au troisième grade, mais au deuxième : c’est là qu’est reçu un Compagnon. Toutefois,  dans les systèmes anglo-saxons (RY, RSE/RÉÉ, RÉ), la chambre du milieu, apparue dès le deuxième degré, n’est chargée d’aucune connotation funèbre ; elle est restée un concept central de ce grade.

Dans le catéchisme du grade de compagnon de La Maçonnerie disséquée de Prichard (1730), il est dit : « Où avez-vous reçu votre salaire ? Dans la Chambre du milieu. » (Le Grade de Compagnon du Métier.)

Dans les rituels continentaux, lors du passage de grade de compagnon à celui de maître, au 3ème degré maçonnique, le temple devient la chambre du milieu. Le rituel du 3ème degré du Rite Initiatique Traditionnel Écossais (R.I.T.E.), plus précis que le R.E.A.A., apporte de nombreux éléments d’enseignement : « C’est pourquoi la Veuve a réuni les maîtres en chambre du milieu. Elle les a initiés aux Grands Mystères pour qu’ils soient capables de rendre la vie au cadavre du Maître et, par son esprit, de faire naître un nouveau maître. Ce secret est celui de la vie transmise par la Veuve ».

Depuis l’institutionnalisation du grade de Maître, la chambre du milieu reste, dans les rites continentaux, le nom réservé à la loge travaillant au degré de maître. Il n’y aurait donc pas une seule chambre du Milieu, mais en réalité il y en aurait deux.

Selon les rituels anciens du Rite Français, les Maîtres accèdent à la Chambre du Milieu par un escalier qui se monte par 3, 5 et 7 marches.

On continue de croire que lors de la construction du Temple de Salomon, les apprentis recevaient chaque semaine une ration de froment, de vin et d’huile. Le salaire des compagnons se payait en numéraire, ils le recevaient dans la chambre du milieu du Temple, dans le Hekhal occupant une situation intermédiaire entre le porche et le Saint des saints.

Et pourtant, la Bible atteste que la Chambre du Milieu est située à l’étage du Temple, et non en son rez-de-chaussée, comme on le répète souvent (1Rois 6,8).
On accédait au rez-de-chaussée par une porte sur le côté sud du temple ; de là on montait à l’étage intermédiaire par des escaliers tournants, puis de même à l’étage supérieur, ce que la Bible de Jérusalem traduit par : « L’entrée de l’étage inférieur était à l’angle droit du Temple, et par des trappes on montait à l’étage intermédiaire, et de l’intermédiaire au troisième ». La Traduction œcuménique de la Bible choisit de conserver cette notion de « trappe » tandis que la Bible du Rabbinat traduit par : « L’entrée de la chambre latérale du milieu se trouvait dans l’aile droite du temple; de là on montait, par un escalier en hélice, à l’étage du milieu, et de celui-ci au troisième »

La vision d’Ézéchiel en donne une description différente en 41,6-7- 8 :
6 Les chambres latérales, contiguës l’une à l’autre, se répétaient trente-trois fois; elles pénétraient dans le mur régnant tout autour de l’édifice et des chambres latérales comme pour s’y encastrer, mais elles n’entamaient pas le mur de l’édifice .
7 Et l’édifice s’élargissait en tournant, à mesure que s’élevaient les chambres latérales; car il régnait une galerie, montant par degrés tout autour de l’édifice; aussi l’édifice s’élargissait-il en haut, et ainsi du rez-de-chaussée on montait à l’étage supérieur par celui du milieu..
8 Et je vis une élévation régnant sur tout le pourtour de l’édifice les fondements des chambres latérales mesurant une canne entière, six grandes coudées.

Pour les créateurs des Tableaux de Loge, lisant une traduction particulière de la Bible, le Temple était réellement doté d’un escalier menant à une salle dite « chambre du milieu », et, grâce au rituel, ils ont affecté à ces éléments une utilisation symbolique précise, en rapport direct avec leurs préoccupations. La classe intermédiaire des ouvriers (ou « du milieu » ?) avait droit d’accès à la salle du milieu, appelée aussi Chambre du trait [1] au Rite Français, située spatialement entre une inférieure et une supérieure, comme les Compagnons le sont entre Apprentis et Maîtres.

Heureuse coïncidence, pleine de ressources. Les rituels se sont aussi arrêtés sur la notion de milieu (middle chamber), qui reprend la fonction symbolique du centre. On comprend alors pourquoi la porte représentée au fond du vestibule est placée au centre du Tableau. La porte, comme la « chambre » placée derrière, sont visiblement affectées de toutes ces notions de centre, avec l’ensemble de l’aspect sacré que le symbolisme permet de suggérer.

La qualification de « milieu » symbolise le fait que la communauté des Maîtres, qui seuls peuvent s’y réunir, est au cœur de toute chose, et qu’elle est en capacité de Connaissance et de Sagesse (Hiram-Rite).

Le milieu, ou centre, est traditionnellement considéré comme l’endroit où se trouve le Principe, où l’énergie est la plus concentrée. C’est vers le centre que tout  converge, se réunit, se confond, se résout. Mais c’est aussi à partir de lui que tout part et que tout rayonne. Tel est le lieu d’origine des lois causales et des fonctions créatrices. Il est « l’Invariable milieu », en rapport avec l’axe du monde qui en émane. Centre de la croix formé  par les quatre éléments fondamentaux, il aussi le sommet de la Pierre Cubique à pointe par lequel passe la spirale de la vie. Pour toutes ces raisons, le milieu est d’une importance primordiale pour toute communauté initiatique. La Chambre du Milieu est le centre vital de la communauté. C’est d’elle que rayonne l’esprit du Principe créateur qui doit, au travers de la Règle, animer l’ensemble de la fraternité.

Ce lieu est le cœur secret du temple, analogue au chœur de la cathédrale qui n’était pas accessible à tous. Cet endroit sert de séjour aux hommes de Connaissance. On y cherche la parole du Maître qui a été perdue. On y formule le concept ; on y prononce le Verbe qui modèle la matière. C’est un lieu de vie animée par le Secret. On y vit les Grands mystères, et le mythe créateur s’y enseigne. Seule une pensée communautaire peut y régner. La Chambre du Milieu est ainsi l’athanor où brûle le feu qui va transformer en or tous les éléments qui composent la communauté des frères et des sœurs.

C’est en son sein que l’on doit retrouver toutes les valeurs traditionnelles et éternelles de dignité, loyauté, pureté, humilité, en bref, d’Amour.

« Semblable à la fontaine qui jaillit au centre du cloître, véritable source de vie, la Chambre du Milieu a comme premier devoir de transmettre la nourriture spirituelle telle qu’elle a été prononcée, afin d’éviter des interprétations personnelles. »

Pourquoi la loge au troisième degré est appelée chambre du milieu ?

Le Temple de Salomon était constitué du Oulam, le Vestibule, du Hékal, le Saint et du Débir, le Saint des Saints. La Chambre du Milieu, si on considère qu’elle fût au rez-de-chaussée, trouverait alors dans le Hékal, dans la partie sacrée, au Milieu du Temple, entre le Vestibule et le Saint des Saints.
Cette Chambre du Milieu se trouverait donc dans la partie la plus sacrée du Temple à laquelle il soit possible d’accéder ; seul le Grand Prêtre pouvant pénétrer dans le saint des saints.

La Chambre du Milieu est aussi cette Chambre funéraire désorientée par la mort d’Hiram assassiné par les trois mauvais Compagnons et qui évoque ainsi le chaos dans lequel nous les maîtres se trouvent plongés.

Au cours de la cérémonie d’élévation, lors de la marche des neufs Maîtres, le Centre ou le Milieu a été symboliquement reconstruit à partir de la circonférence constituée lors de cette marche. C’est en ce Milieu de la Chambre funéraire que la Lumière réapparaîtra grâce au sacrifice puis au relèvement du récipiendaire qui devient « plus radieux que jamais ».

La circonférence ou manifestation se définit par rapport au Milieu, lieu également distant de la circonférence, qui porte le Centre d’où tout provient et ou tout revient. Le récipiendaire qui revit le sacrifice d’Hiram est au centre du monde, endroit où s’effectue la rupture des niveaux, par la voie d’une hiérophanie, c’est-à-dire la manifestation du sacré. Il s’opère en même temps une ouverture par le haut dans le monde divin et une ouverture par le bas dans le monde des morts d’où vient le Maître.

Sur le plan personnel, la Chambre du Milieu n’est pas moins que le lieu où se trouve le Centre de nous-mêmes, cette Chambre intérieure où l’homme fait apparaître le Mystère en Lui. C’est en cet endroit que les Maîtres tracent les plans. C’est en ce Milieu que le Maître reçoit son salaire, ou la récompense de son travail qui consiste, par sa recherche de la Parole Perdue, grâce au mot substitué et à l’éveil de sa conscience, à percevoir une Présence au plus intime de son être.
« Contrairement à ses définitions usuelles, le milieu dans son sens initiatique n’est lié à aucune notion spatio-temporelle, ni à aucun critère social. Il caractérise un jalon entre le monde manifesté et le non manifesté, le visible et l’invisible, le temps et l’éternité, la naissance et la mort » (Marc Steinberg, La chambre du Milieu, MdV Éditeur).
Le milieu, le centre, là où se réunissent tous les maîtres, là où la sagesse doit régner, là où la connaissance doit être le maître mot et vers où tout doit converger et d’où les maîtres doivent envoyer leur rayonnement à travers le monde. Les maîtres, exclusivement, eux s’y réunissent pour partager et parfaire leurs connaissances, et aussi chercher la Parole perdue du maître.

La chambre du milieu est entre terre et ciel, entre visible et invisible.

C’est un lieu de jonction, un pivot, un axe, la demeure de la règle. C’est le cœur du temple, le lieu destiné à accueillir la présence du Mystère. Il précède le naos qui est la chambre la plus secrète du temple. La géométrie de l’édifice se fait à partir de ce lieu de puissance. Cette appellation symbolise le fait que la communauté des Maîtres, qui seuls peuvent s’y réunir, est au cœur de toute chose, et qu’elle est en capacité de Connaissance et de Sagesse.

Dans la pratique, la chambre du milieu est figurée par l’espace inclus entre les trois piliers posés autour du tapis de loge. La chambre du milieu est un centre où l’intelligence s’illumine, il est le noyau d’où rayonnent la foi, la sagesse et l’amour. Cet endroit sert de séjour aux hommes de Connaissance.

De nature alchimique, cet espace ne peut  recevoir en son sein que celui qui a connu une transmutation : le Maître véritable, qui est passé par celle du mythe d’Hiram, car il est ainsi entré de plain-pied dans le monde des Grands Mystères.

[1] Dans la tradition des bâtisseurs, le maître d’œuvre conçoit le plan concrétisé par tous les compagnons réunis en chambre du trait. Les compagnons doivent donner forme à ce qui a été échafaudé en pensée. Pour réussir à donner forme à l’œuvre, il est nécessaire d’aller au-delà du trait, dans «l’abs-trait», d’aller au-delà de l’apparent jusqu’au cœur des êtres et des choses. L’art du trait est une adéquation entre la pensée et la forme.

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Solange Sudarskis
Solange Sudarskis
Maître de conférences honoraire, chevalier des Palmes académiques. Initiée au Droit Humain en 1977. Auteur de plusieurs livres maçonniques dont le "Dictionnaire vagabond de la pensée maçonnique", prix littéraire de l'Institut Maçonnique de France 2017, catégorie « Essais et Symbolisme ».

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