jeu 20 novembre 2025 - 03:11

Parallèles entre la blessure paternelle selon Jung et la Franc-maçonnerie

Une quête archétypale commune

La Franc-maçonnerie, avec son mythe central d’Hiram, le fils de la veuve dont le père a été assassiné, offre un terrain fascinant pour explorer les parallèles avec les théories jungiennes sur la blessure du manque de père. Hiram, architecte du Temple de Salomon, est une figure symbolique d’un enfant privé de son père, un thème qui résonne, où l’absence paternelle laisse une empreinte profonde dans la psyché.

Carl Gustav Jung

Cette blessure, selon Jung, se manifeste par une quête de validation et une attirance pour des structures hiérarchiques, un trait que l’on observe également dans l’organisation maçonnique, où les membres gravissent les échelons vers des rôles comme celui de vénérable maître ou grand maître. Examinons comment ces deux domaines – la psychologie jungienne et la Franc-maçonnerie – s’entrecroisent à travers les archétypes, les rituels et la recherche d’une autorité intérieure.

Le mythe d’Hiram : un fils sans père et son écho jungien

Dans la légende maçonnique, Hiram, fils d’une veuve, perd son père assassiné, ce qui le place dans une position d’orphelin symbolique. Les Francs-maçons se désignent souvent comme « enfants de la veuve », une expression qui reflète cette absence paternelle fondatrice. Ce récit trouve un écho direct dans l’absence du père – qu’elle soit physique ou émotionnelle – elle brise l’axe de l’autorité et de la validation dans la psyché de l’enfant. Jung considérait l’archétype du père comme une force structurante, permettant à l’individu de s’individualiser en se séparant de la fusion maternelle. Chez Hiram, cette absence initiale pourrait être vue comme un vide archétypal, poussant les maçons à recréer une figure paternelle à travers la hiérarchie et les rituels.

Cette quête d’un père perdu se manifeste dans l’initiation maçonnique, où le candidat traverse des épreuves symboliques (mort et renaissance) pour renaître dans une communauté fraternelle. Cela rappelle le processus d’individuation de Jung, où l’individu intègre son ombre (les aspects refoulés, ici l’absence paternelle) pour atteindre une totalité. Le mythe d’Hiram devient ainsi une métaphore d’une blessure :

un enfant qui, privé de regard paternel, cherche à prouver sa valeur, un thème central dans les motivations des maçons.

La hiérarchie maçonnique : une compensation de l’absence paternelle

Maillet avec une famille, père, mère et 2 enfants
Maillet avec une famille, père, mère et 2 enfants

L’absence du père conduit à une quête incessante de reconnaissance, souvent matérialisée par le perfectionnisme ou la productivité. Dans la Franc-maçonnerie, cette dynamique se reflète dans l’attachement aux structures hiérarchiques et aux titres. Le Vénérable Maître, figure dirigeante de la loge, incarne un archétype paternel : il guide, fixe des limites et valide les efforts des membres. De même, le Grand Maître, à un niveau supérieur, représente une autorité ultime, un père symbolique qui offre une appartenance tant recherchée.

décors maçonniques
décors maçonniques en désordre sur un bureau

Cette aspiration à gravir les échelons peut être interprétée comme une tentative de combler le vide laissé par l’absence paternelle. Jung notait que l’enfant, face à un père défaillant, internalise une voix critique qui le pousse à se prouver sans cesse. Chez les maçons, cette voix se transpose dans l’ambition de devenir Vénérable ou Grand Maître, des rôles où ils peuvent enfin « être vus » et reconnaître les autres, inversant le schéma de l’absence. Cette quête d’approbation devient un « moteur invisible » ; en Franc-maçonnerie, ce moteur se manifeste dans l’engagement rituel et la progression initiatique, où chaque degré atteint est une validation symbolique.

Les rituels : un pont entre l’inconscient et la reconstruction

Les rituels maçonniques, riches en symboles (compas, équerre, fil à plomb), offrent un parallèle frappant avec les exercices thérapeutiques proposés par Jung, comme la lettre au père ou la chaise vide. Ces pratiques jungiennes visent à libérer les émotions refoulées et à dialoguer avec l’archétype paternel intérieur. De même, les rituels maçonniques permettent aux membres de revivre symboliquement la mort d’Hiram et sa résurrection, un processus alchimique qui transforme la blessure en sagesse.

Jung

La pensée de jung insiste sur l’importance de nommer la douleur pour la dépasser, un acte que l’on retrouve dans les travaux en loge, où les maçons explorent leurs imperfections à travers des symboles et des réflexions collectives. L’exercice de la lettre, par exemple, trouve un équivalent dans le testament lors de l’initiation ou encore les confessions ou les débats moraux maçonniques, lorsque les membres confrontent leurs ombres pour s’élever spirituellement. Jung voyait dans ces processus une manière de rompre avec l’influence du père pour devenir son propre guide

en Franc-maçonnerie, cette rupture est symbolisée par l’initiation, qui place l’individu face à lui-même, libéré de l’autorité externe.

L’animus et l’identité masculine en Franc-maçonnerie

Animus – Anima

Jung explore l’impact de la blessure paternelle sur l’animus (l’image masculine intérieure), qui devient une voix critique chez les femmes ou un vide d’identité chez les hommes. En Franc-maçonnerie, traditionnellement masculine (bien que des loges féminines existent), ce thème est central. Les hommes, souvent marqués par un père absent ou exigeant, entrent dans la loge pour reconstruire une identité masculine équilibrée.

Le père archétypal, déformé par l’absence, est remplacé par une figure collective – le vénérable maître ou la loge elle-même – qui guide vers une force intérieure.

Cette reconstruction s’aligne avec l’idée jungienne de transformer l’animus blessé en allié. Les maçons, à travers leurs travaux, apprennent à incarner des qualités masculines positives (courage, justice, fraternité) qui compensent l’échec paternel. Il est important de noter que cette guérison réorganise la base de l’identité ; en Franc-maçonnerie, l’initiation et les degrés successifs permettent de dépasser le masque compensatoire (perfectionnisme, contrôle) pour atteindre une entièreté, un objectif qui fait écho à l’individuation.

La quête d’appartenance : un lien universel

L’un des thèmes les plus poignants est la quête d’appartenance, née de l’absence d’un père qui n’a jamais offert de place dans le monde. En Franc-maçonnerie, cette quête trouve une réponse dans la fraternité, un lien symbolique qui remplace la validation manquante. L’adulte, marqué par cette blessure, répète des schémas dans ses relations ; de même, les maçons, attirés par la loge, cherchent une famille spirituelle où ils peuvent enfin « être vus ».

Jung parlait de la pulsion à la répétition, où l’inconscient revient sur la scène du traumatisme pour le réparer. Le mythe d’Hiram, avec sa mort et sa résurrection, peut être vu comme une répétition symbolique de cette blessure paternelle, mais aussi comme une promesse de rédemption. Les maçons, en s’engageant dans ce récit, tentent de combler le vide archétypal, transformant la douleur en une appartenance choisie plutôt qu’imposée.

Une voie vers l’individuation partagée

Génération plantant un arbre
Génération plantant un arbre

Le parallèle entre la blessure paternelle décrite par Jung et la Franc-maçonnerie réside dans une quête commune : transformer l’absence d’un père en une autorité intérieure. Jung voyait l’individuation comme un retour au centre de soi, libéré des complexes ; la Franc-maçonnerie, à travers son mythe d’Hiram et ses rituels, propose un chemin similaire, où l’enfant de la veuve devient un artisan de sa propre âme. Cette convergence suggère que l’attirance pour la maçonnerie pourrait être motivée, inconsciemment, par une blessure archétypale universelle – celle d’un père perdu – et que les structures, titres et rituels maçonniques offrent un cadre pour la guérir.

Ainsi, la loge devient non seulement un espace de fraternité, mais aussi un miroir de l’inconscient, où chaque maçon peut cesser de courir après un regard absent et s’offrir à lui-même la reconnaissance tant recherchée.

4 Commentaires

  1. Le parallèle très justement tracé est indubitable tant dans le fond que dans la forme.
    En effet, la pensée de Jung qui s’inscrit dans l’individuation comme un retour au centre de soi afin de transformer l’absence du père en une autorité intérieure est assez régénératrice et libératrice des blessures post-traumatiques.
    Sa thérapie dès lors devient une panacée qui s’offre à l’individu esseulé et isolé pour une auto-medication.
    Parallèlement ,l’orphelin doté d’un esprit élevé du sens de la fraternité et du partage se livre à la quête d’une reconnaissance paternaliste plus englobant ; et c’est là que la Franc-maçonnerie intervient en offrant un cadre de guérison par des procédés d’initiation figurés par le mythe d’Hiram et ses rituels en vu de cette même reconnaissance tant recherchée.
    En somme, le parallèle est fort saisissant et la Franc-maçonnerie se révèle être la plaque tournante où la société humaine en proie à l’adversité du monde tire son épingle du jeu.
    Très bel article de Alexandre Jones qui n’a de cesse de mettre sur la table des sujets brûlants d’actualité.

    Très respectueusement…

  2. On peut également parler, pour l’engagement, de la décision de choisir une voie (étape du processus d’individuation selon JUNG). Faire un choix, c’est renoncer à une ou plusieurs voies pour n’en choisir qu’une. Etre capable de faire un choix, c’est exercer sa liberté. (Cf les travaux de MILGRAM sur la soumission à l’autorité dans les années 1960, expérience ayant démontré, entre autres, que sans contraction, 80% des personnes vont jusqu’à la décharge mortelle et qu’il suffit d’un seul contradicteur qui dise non pour que 60% des participants soient impactés et refusent alors d’appliquer la décharge mortelle).
    Mais si on s’appuie sur JUNG, alors on doit penser en terme de synchronicité. La synchronicité peut se définir comme la manifestation d’hasards objectifs au sujet d’évènements coïncidant dans le temps parce qu’en définitive, ces hasards objectifs semblent servir une motivation supérieure. Ainsi, mon choix serait mon choix et mon choix pourrait être également le résultat d’une connexion de mon inconscient à une énergie supérieure extérieure dans le but de se mettre à son service.

  3. Article qui tombe à point, j’en discutais dernièrement avec un Frère, notamment sur le sujet de l’engagement en Loge. L’engagement dans la Loge est un processus qui se construit au fur et à mesure de notre progression à travers les différents degrés et chacun y va à son rythme. Certain professeront un engagement qui convient à la personne, d’autres y verront un moyen de dépasser sa zone de confort, une troisième sorte d’individus y verront un moyen de tenir l’autre. Quoi qu’il en soit, le fond de l’engagement est la motivation. Pour ma part, je fais le lien avec nos blessures et du coup, celle du père absent. Combien d’entre nous accepte de se soumettre et d’obéir presqu’aveuglement à une hiérarchie « lumineuse » qui finalement représente un père idéalisé. Dire oui à tout pour plaire au papa, pour que l’on nous reconnaisse, pour s’entendre dire : « oui, tu es un gentil garçon, un gentil FM. » Il serait intéressant de développer l’effet de paternalisme en Loge et dans la Franc Maçonnerie en général, ainsi que le concept de « patronizing » qui n’est pas de la condescendance mais plutôt une main mise qui dirige selon son point de vue et ses intérêts plutôt que pour le bien de l’autre. Ce qui m’amène à faire la boucle avec les effets de violence, souvent psychologique en FM, dont un article sur le site parle très bien.

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Alexandre Jones
Alexandre Jones
Passionné par l'Histoire, la Littérature, le Cinéma et, bien entendu, la Franc-maçonnerie, j'ai à cœur de partager mes passions. Mon objectif est de provoquer le débat, d'éveiller les esprits et de stimuler la curiosité intellectuelle. Je m'emploie à créer des espaces de discussion enrichissants où chacun peut explorer de nouvelles idées et perspectives, pour le plaisir et l'éducation de tous. À travers ces échanges, je cherche à développer une communauté où le savoir se transmet et se construit collectivement.

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