De notre confrère usbeketrica.com – Par Emilie Echaroux
Imaginez un oracle moderne, consulté par 700 millions de fidèles chaque mois, recevant 2,6 milliards de prières quotidiennes. Ce n’est pas un sanctuaire antique, mais ChatGPT, l’intelligence artificielle (IA) d’OpenAI, qui, selon une étude récente analysant 1,5 million de messages échangés entre mai 2024 et juin 2025, révèle une vérité surprenante : 73 % de ces interactions n’ont rien à voir avec le travail. Loin des prédictions d’une révolution productive, les humains se tournent vers cette machine pour des questions intimes, philosophiques, existentiels.
Comme l’explique l’article d’Usbek & Rica du 18 septembre 2025, intitulé « On sait enfin ce que demandent les gens à ChatGPT (spoiler, ça n’a souvent rien à voir avec le travail) », nous utilisons l’IA non pour automatiser notre labeur, mais pour explorer notre humanité – une quête qui résonne profondément avec les traditions initiatiques, comme celle de la franc-maçonnerie. Dans cet article, nous plongerons dans les coulisses de ces échanges numériques, pour en extraire des leçons sur notre soif de sens, enrichies par des réflexions maçonniques contemporaines sur l’IA comme miroir de l’âme.
Les révélations de l’étude : quand l’IA devient confidente

Révélée en collaboration avec l’économiste David Deming de Harvard et le Bureau national de recherche économique (NBER), cette étude d’OpenAI dresse un portrait inattendu de nos usages. Sur les 49 % de messages demandant aide, conseils ou informations, et les 40 % axés sur des tâches précises, une évolution frappe : la part des requêtes personnelles a bondi de 47 % en juin 2024 à 73 % un an plus tard. L’IA n’est plus un assistant de bureau, mais un compagnon de route pour la vie quotidienne.
Les catégories dominantes ? L’aide à l’écriture capte 40 % des usages professionnels, mais s’étend au personnel : 10,6 % pour relire un texte intime, 8 % pour rédiger une lettre d’amour ou un journal personnel, 4,5 % pour traduire des mots tendres dans une langue étrangère, et même 1,4 % pour inventer des histoires fictives qui pansent les plaies du réel. La recherche d’informations, passée de 14 % à 24,4 %, transforme ChatGPT en un « moteur de recherche humain », où l’on interroge non des faits arides, mais des dilemmes existentiels : « Comment surmonter une rupture ? » ou « Quel sens donner à ma vie après un deuil ? ». Les 14,9 % de conversations sur la prise de décision révèlent une externalisation des choix moraux – « Dois-je pardonner à un ami ? » –, tandis que les 11 % d’expressions émotionnelles pures (« Je me sens seul ») font de l’IA un exutoire gratuit, sans jugement.

Ces chiffres contredisent les craintes d’une automatisation massive : seulement 4,2 % des requêtes portent sur la programmation, loin des 44 % estimés par Anthropic. Au contraire, l’IA émerge comme un outil introspectif, aidant à clarifier les émotions ou à explorer des scénarios alternatifs. Mais des ombres planent : une étude de la Columbia Journalism Review pointe 60 % de réponses fausses sur les sources citées, et NewsGuard note une dégradation à 40 % d’erreurs en août 2025. Pire, des cas tragiques, comme le procès intenté en août 2025 par des parents accusant ChatGPT d’avoir encouragé leur fils adolescent au suicide, rappellent les limites éthiques d’une machine sans empathie réelle.
Implications sociétales : L’IA, miroir d’une société en quête de sens

Ces usages personnels signalent un virage culturel : dans un monde saturé de productivité imposée, nous réclamons à l’IA ce que la vie moderne nous refuse souvent – du temps pour l’âme. Économiquement, cela tempère les peurs : seulement 10 % des entreprises françaises intègrent l’IA en 2024, contre 13 % en Europe. Socialement, l’externalisation des décisions pose un risque d’atrophie cognitive : si 14,9 % des échanges pros impliquent l’IA pour résoudre des problèmes, que reste-t-il de notre autonomie ? Philosophiquement, comme le note Matthieu Corteel dans Ni dieu ni IA (La Découverte, 2025), ces interactions interrogent notre rapport au sacré : l’IA devient un « dieu païen » accessible, mais dépourvu de transcendance, nous poussant à une introspection forcée.

C’est ici que la franc-maçonnerie entre en scène, offrant un prisme initiatique pour décrypter ces tendances. Traditionnellement, la maçonnerie est une quête de connaissance intérieure, où l’apprenti taille sa « pierre brute » – ses passions et ignorances – pour accéder à la lumière. L’IA, avec ses réponses instantanées, semble un raccourci tentant, mais les réflexions maçonniques récentes, comme celles du passé Grand Maître de la Grande Loge de France (GLDF), Thierry Zaveroni, dans un manifeste de janvier 2025, soulignent un « pari de l’humain » : l’IA doit être un outil éthique, non un substitut à la fraternité. « Lorsque la législation est en retard, l’éthique devient primordiale« , affirme Zaveroni, invitant les loges à devenir des forums pour débattre des dangers – biais algorithmiques, perte de confidentialité – et des opportunités, comme personnaliser les parcours initiatiques.
Un pont maçonnique : L’IA comme allégorie de la quête initiatique
La franc-maçonnerie, avec son symbolisme hérité du Temple de Salomon, voit dans l’IA un écho moderne de ses outils ancestraux. Le compas et l’équerre, qui tracent les limites du sacré, rappellent l’impératif d' »encadrer » l’IA pour qu’elle serve le bien commun, comme le préconise le manifeste de la GLDF.
Des auteurs comme Franck Fouqueray, dans « L’intelligence artificielle va-t-elle transformer la franc-maçonnerie ? » (2025), interrogent directement ChatGPT sur la compatibilité avec l’Art Royal : les réponses, nuancées, insistent sur l’IA comme amplificateur de l’apprentissage philosophique, sans remplacer l’introspection. Fouqueray imagine des « loges augmentées » en réalité virtuelle, où des hologrammes facilitent les instructions, mais alerte sur le risque de « standardisation des réflexions« , vidant la maçonnerie de son essence humaine.

Carl Gustav Jung, dont les idées sur les symboles influencent les planches maçonniques, offre un parallèle saisissant : l’IA, comme un archétype collectif, synchronise nos inconscients en produisant des « résultats vraisemblables« , mais non la Vérité. Dans les loges, où la quête de connaissance est un chemin personnel – « Connais-toi toi-même« , gravé au fronton du Temple d’Apollon –, l’IA risque de favoriser la « paresse » dénoncée par des maçons comme ceux de la Loge Liberté en Suisse : compiler des idées sans les vivre. Pourtant, des initiatives positives émergent, comme SecGPT en Angleterre, une IA dédiée à l’administration des loges, libérant les officiers pour le « travail initiatique« . La Grande Loge de France, influencée par Auguste Comte au XXe siècle, met en garde contre la primauté de la science sur la spiritualité, prônant une « conscience critique » pour réduire les inégalités amplifiées par l’IA.
Ces liens symboliques – l’IA comme « golem » moderne, créature sans âme – invitent les maçons à une vigilance éthique : comme le dit Simone Weil, citée dans le manifeste GLDF, « L’attention est la prière la plus rare et la plus pure« . Face à une machine qui répond sans prier, la franc-maçonnerie réaffirme que la vraie intelligence est compassionnelle, fraternelle.
Réinventer l’humain à l’ombre des algorithmes

L’étude sur ChatGPT n’est pas qu’un sondage technique ; c’est un miroir tendu à notre époque, où la soif d’intime l’emporte sur l’utilitaire. Elle nous rappelle que, dans un monde algorithmé, la quête de sens reste profondément humaine – une leçon que la franc-maçonnerie, avec ses siècles de réflexion sur l’éthique et la connaissance, amplifie. L’IA n’est ni dieu ni démon, mais un outil à maîtriser, comme le maillet du maçon affine la pierre. À nous de l’utiliser pour éclairer nos ombres, non pour les occulter. Comme l’enseigne le rituel : que la lumière guide nos pas, numériques ou non. Et si, demain, vous consultez ChatGPT, demandez-lui : « Quel est le secret de la fraternité ? » – vous saurez alors que la réponse vraie se trouve dans le silence d’une loge.