Dans les annales des contes indiens, une histoire fascinante mêlant ruse, générosité et mathématiques circule depuis des siècles. Elle raconte l’ingéniosité d’un jeune garçon ou d’un sage qui, après avoir offert ou inventé le jeu d’échecs au maharaja, demande une récompense qui semble humble mais cache une profondeur insoupçonnée.
Ce récit, souvent attribué aux origines mythiques du jeu d’échecs en Inde ancienne – vers le VIe siècle sous le règne de l’empereur indien Chandragupta Vikramaditya –, est bien plus qu’une fable : c’est une leçon intemporelle sur la puissance de la croissance exponentielle. Plongeons dans cette légende et calculons la somme astronomique qui en découle.
L’origine de la légende

Selon la tradition orale, un jeune garçon, parfois décrit comme un sage ou un inventeur, présenta au maharaja un nouveau jeu stratégique : le chaturanga, ancêtre de l’échecs. Impressionné par cette création ingénieuse, le souverain promit de récompenser généreusement son sujet. Mais au lieu de demander des richesses visibles – or, bijoux ou terres –, le garçon fit une requête modeste en apparence : il souhaita recevoir du riz, distribué selon une règle précise sur les 64 cases d’un échiquier. Sur la première case, un seul grain ; sur la deuxième, deux grains ; sur la troisième, quatre grains ; sur la quatrième, 16 grains, et ainsi de suite, en doublant à chaque case jusqu’à la 64e. Amusé par cette demande frugale, le maharaja accepta sans hésiter, ignorant l’ampleur de sa promesse.
Le calcul de la récompense : une progression géométrique
Derrière cette demande se cache une séquence mathématique fascinante. Chaque case (n°) contient
Total=20+21+22+23+⋯+263
Cela équivaut à la somme des puissances de 2 de 0 à 63, soit 64 termes. La formule de la somme d’une série géométrique est :



Une quantité astronomique

Ce chiffre – environ 18,4 quintillions (18 suivi de 18 zéros) – défie l’imagination. Pour contextualiser, la production mondiale annuelle de riz est d’environ 500 millions de tonnes, soit environ 500 milliards de grains (en estimant 20 000 grains par kilogramme). Même en mobilisant toutes les récoltes mondiales pendant des siècles, il serait impossible de réunir une telle quantité. Un quintillion de grains représente une montagne de riz couvrant des milliers de kilomètres carrés sur plusieurs mètres de hauteur. Le maharaja, réalisant l’ampleur de sa promesse, aurait selon certaines versions offert son royaume en échange, tandis que d’autres récits le dépeignent contraint de céder ses terres au garçon, devenu symbole de sagesse.
Une leçon de mathématiques et de ruse

Cette légende transcende le simple calcul pour devenir une parabole philosophique. Le garçon, par sa demande, illustra la puissance de la croissance exponentielle, un concept que les mathématiques modernes ont formalisé mais que cette histoire rend accessible. Elle enseigne aussi la prudence dans les engagements : une apparente générosité peut se transformer en fardeau insurmontable. Dans la culture indienne, elle est souvent citée pour vanter l’intelligence face au pouvoir, le sage ayant triomphé sans violence ni arrogance.
Échos contemporains

Aujourd’hui, cette histoire résonne dans les salles de classe et les cercles intellectuels comme une introduction aux suites géométriques et à l’impact des choix. Elle inspire aussi des réflexions sur la gestion des ressources : dans un monde où l’exploitation exponentielle des biens naturels est un enjeu, elle rappelle la nécessité d’anticiper les conséquences. Des jeux éducatifs en ligne, comme ceux proposés par Khan Academy, utilisent cette légende pour enseigner les exponentielles, tandis que des artistes indiens en ont fait des fresques murales célébrant la ruse populaire.
Un héritage vivant

Que le maharaja ait tenu sa promesse ou non, cette légende perdure comme un trésor culturel, passant des rives du Gange aux récits universels. Le garçon, anonyme mais génial, reste un symbole d’ingéniosité face à la puissance. Et si, comme le suggèrent certains historiens, cette histoire a contribué à populariser les échecs en Asie et au-delà, elle a aussi offert au monde une leçon mathématique éternelle : 18 446 744 073 709 551 615 grains de riz, une récompense qui dépasse les royaumes pour toucher l’infini.
Merci pour ce « devoir » de mathématiques et sa démonstration de puissance contenue dans l’unité d’un grain de riz. Cette irruption des mathématiques et des sciences comme facteur d’éveil initiatique est un évènement majeur dans la pensée maçonnique confinée dans des réflexions de généralistes peu renouvelées.
Or seuls les spécialistes et en particulier les scientifiques peuvent apporter de l’eau au moulin des chercheurs et cherchants sincères dans les loges. Car ils s’intéressent aux détails qui obligent à apprendre et renouveler les connaissances acquises. Le diable n’est pas dans ces détails, contrairement à ce que prétendent les monothéistes. C’est plutôt la lumière que les détails cachent en leur sein, et les scientifiques sont les meilleurs découvreurs et passeurs de cette lumière.
Dans ce conte où se décomptent les grains de riz, le nombre entier 2, avant même ses puissances, n’est-il pas la clé d’accès à l’incommensurable matérialité, qui elle-même donne accès à l’infinité symbolique du lemniscate de Bernoulli et à sa spiritualité déjà là présente « en puissance » ?