L’Eternel dit à Caïn: «Où est ton frère Abel?» Il répondit: «Je ne sais pas. Suis-je le gardien de mon frère?» Dieu dit alors: «Qu’as-tu fait? Le sang de ton frère crie de la terre jusqu’à moi. Désormais, tu es maudit, chassé loin du sol qui s’est entrouvert pour boire le sang de ton frère versé par ta main. » Genèse 4:9-11 Bible Segond.
Comme un Icare
Il y a longtemps, un soir d’hiver, en traversant le Pont, j’ai rencontré un homme qui regardait vers le fond. Son esprit plongeait vers l’amer des tréfonds. Il agitait ses bras en maudissant ses fantômes… il ne semblait plus que [pantin] désarticulé… une ombre parmi les ombres phalènes des orbes fantasmagoriques de la nuit… comme un Icare désespéré ne sachant plus quoi faire de la cire de ses masques de plumes, fondante à la froide chaleur de la Lumière de la nuit.
À nos pas métronomes
Ensemble nous avons marché vers l’autre rive, pas métronomes doucement cadencés aux battements de deux cœurs vibrants l’unisson, à la voix cherchant l’harmonie, les neufs sens à l’écoute. Cependant, malgré mon attention, il a créé son contretemps en brisant [la métrique] : il a sauté le parapet, la détermination de son « mésespoir » encordée autour de son cou, talisman en pierre de hune, attaché au leste de sa gravité. Peut-être pensait-il que c’est ainsi que l’on regagne le centre de sa taire… ultime sacrifice pour que douleur cesse.
Dans les sables émouvants
À son corps défendant j’ai pu le retenir par la main. Son corps étayait son vide du Zénith au Nadir. J’étais allongé sur le béton. Un instant nous étions une équerre en pleine dislocation. D’autres ont accouru et ont aidé chacun à leur façon. L’un avait même la tête dans le vide… pyramide inversée… chambre funéraire encore plombée, suspendue au fil. D’autres retenaient l’édifice qui, gagné par la gravité des [mensonges] que l’on se dit à soi-même pour se protéger des draps gonds, s’affaissait dans ces [sables] [émouvants].
L’envol de l’homme sans nom

Sisyphe voulait mourir, il l’a crié, crié et crié. Mon instinct me hurlait de ne pas l’écouter en contraignant sa liberté de la chute dans l’abîme au respect entendu de l’exploration de la [surface]. J’ai peu à peu senti que le Nadir serait la seule porte qu’il franchirait. En bon professionnel que j’étais en ce temps là je lui ai alors demandé son nom… sans nom qui sommes nous ? En réponse il a ouvert ses doigts en forçant de tout son poids… je l’ai senti glisser de mes mains… s’échapper en m’échappant… nous avons entendu le bruit de sa chute dans l’eau glacée… il a disparu ne laissant de lui que le son de son envol dans l’amer, décidé… et son empreinte… celle du poids du [vide] en [ma main].

Dans l’ambre nocturne
Il a flotté dans le fleuve une éternité, Temps de montres molles aux éléphantesques échasses. On ne percevait que sa tête flotter dans les tourbillons boueux de l’instant, éclairée par les lueurs des candélabres charognards de l’ambre nocturne. Au loin un anonyme de la berge a plongé et l’a ramené sur le bord de sa vie, en luttant pour la sienne.

Combien pèse une vie ?
Je sais maintenant Sisyphe survivant. Peut-être était-il déjà mort il y a bien longtemps. A repousser sa vie en surface comme on roule sa Pierre sans amasser de mousse. En se refusant à l’écho du cœur du gouffre on ne fait que repousser le son final de notre vert chemin de crête… je sais aujourd’hui combien pèse une vie c’est certain, pas plus que le poids du vide en ma main…

Le Verbe relève l’homme nu
Ce soir là, à plusieurs nous avons fait humanité et gagné contre Cerbère, et Charon, passeur des fleuves oubliés, n’a pas eu son tribut,. L’homme était à nu, il ne pouvait même plus s’acquitter de son passage en poids de plumes.
Il est des maux où l’esprit ne pèse rien contre le désespoir d’un corps tenu au creux d’une main sans l’alchimie du Verbe révélé en [l‘âme Un].
Dans l’ombre trouver la frontière
Depuis, de nombreux solstices ont passé. Le sac et le ressac des flots salins aux mots incertains ont transmuté les souvenirs coquillages alcalins. Je me souviens aujourd’hui de toute ces énergies, de ces si beaux élans, ceux d’anonymes Sisyphe unissant leurs mains en miroir pour sauver un reflet, celui de cet Autre qu’ils ne reconnaîtront pourtant plus tant les vents de l’oubli ont battu leurs cœurs dans l’écho de leurs marées. L’Eternité laisse son empreinte en laissant planer l’ombre du doute sur les Chemins d’incertitudes… jusqu’où suis-je le gardien de mon Frère ? Où est la limite de mon serment ? Qui porte la responsabilité de l’exil, du bannissement ? Où est sa Liberté dans les confins de son histoire ?
L’Étoile en point de mire
Hanté par les fantômes errants de mon orgueil de n’avoir pu empêcher ce saut dans l’avide, j’ai longtemps culpabilisé. J’en ai même oublié l’Étoile révélant la Lumière de l’essentiel : un soir, une chaîne d’humains unis a pu sauver l’Instant d’une vie.
Si ce n’est celle de Sisyphe, car elle lui appartient, c’est au moins l’Eau de la nôtre que nous tenons dans le creuset [écumoire] de la clepsydre de nos mains.
De la chute vient la ressource
Je connais maintenant le poids de ce vide emplissant ma main. C’est le poids d’une humanité que seul on ne peut révéler ou relever. Cependant certains font le libre choix de s’unir et de faire levier. S’équarrir permet de s’alléger et se lever sans juger. L’Initié a fait le serment d’essayer au delà de lui-même, jusqu’à l’envol du goéland , jusqu’à la ressource du lâcher-prise.
De l’Équerre au Compas : retrouver le Centre du Cercle
Seul le Compas de la Vie trace l’Equerre du Réel. C’est en soi-même qu’il faut les transcender afin de révéler ce Centre d’où l’on se relève en bourgeon méconnu. Si parfois, au cœur de la nuit le Vide est léger dans ma main c’est parce qu’aujourd’hui je reconnais que rien ne m’appartient. Ce que le [vide] ignore le [pas sait].
De qui sommes nous les gardiens ?
Qui es-tu lorsque je te [perçois] toi mon Frère du miroir… es-tu toi aussi mon gardien ?Dans ce Voyage au cœur de l’abîme, pourrai-je compter sur toi ?

Texte : Stéphane Chauvet / Illustrations : Stefan von Nemau
Note de l’auteur : dans ce texte j’ai laissé certains mots entre crochets. Ce sont des mots-portes. Dans mes autres textes j’ai pris l’habitude de vous présenter la vie et les paysages que je perçois derrière les peaux mortes de ces mots-portes du Roy heaume de l’en-vert. Ici les mots-portes sont encore vivants, les transmuter pour les explorer reste la Liberté de votre quête.